Au pied du mur

Sanctum était loin d'être un enfer, mais je n'y étais pas à ma place... Une atmosphère bien plus irrespirable pour les humains dévots que pour les disciples revêches. La crainte du pouvoir concret, celui qui se faisait visible et palpable, devait grandement jouer.

Je n'étais pas de ces dieux ou disciples dont on se méfiait pour leurs pouvoirs. Le mien se faisait discret tout comme je me faisais petite. En même temps, mes possibilités étaient plus que restreintes... D'avoir tenté par deux fois de m'échapper, la méfiance était de mise. Difficile d'en vouloir à mon créateur ; je ne lui donnais pas vraiment de raisons pour me faire confiance. Ce qui était loin de défendre ma cause : cela pouvait être une raison d'accélérer le processus, d'invoquer cette Ran à qui j'étais censée offrir mon enveloppe charnelle. Une histoire si folle que même aujourd'hui, il m'était difficile de trouver crédible. Et ce, malgré l'idée d'être entourée de divinités venues de tous les horizons.

À y repenser, installée là contre un mur faisant face à la tour qui abritait le portail d'Heimdall, je me demandais ce qui se passerait une fois retournée dans mon monde. Avec tout ce que je savais, tout ce que mes yeux avaient vu, parviendrai-je à retrouver le cours normal de ma vie ? C'était le genre d'expériences qui vous changeait sans que vous ne le sachiez. Ces événements marquants qui changeaient votre vision du monde. Je leur en voulais d'avoir brisé cette innocence qui me gardait, cette ignorance préservatrice qui me semblait si précieuse à présent...

J'avais envie d'essayer, de me rendre compte, de saisir ma chance. Mais ne serait-ce que franchir l'encadrement de l'entrée risquerait de me faire atterrir dans une geôle pieds et mains liées, à ne plus pouvoir savourer la lumière du jour. Je n'avais pas de troisième chance : ça passait ou ça cassait. Gaspiller cette dernière chance en tentant de traverser ce portail mystique était un suicide pur et simple. Pourtant, je continuais de lorgner dessus, bras croisés à laisser ma tête et mon épaule se reposer sur les pierres froides de ce mur. Un comportement qui pouvait paraître suspect, quand bien même mes intentions étaient vierges de tout reproche.

Au pied du mur

Týr arpentait les sentiers du bastion divin depuis tant d’années qu’il pouvait traverser l’île d’une extrémité à une autre sans ouvrir les paupières. Depuis qu’il endossait la charge de Vice-Primat, le dieu de l’Ordre n’avait pas gaspillé une minute de son temps à plonger dans un sommeil inutile. Ses yeux perçants, affûtés par les âges comme la pointe d’une lance, guettaient chaque objet incongru. Surveillait le moindre geste équivoque, fouillait les regards à la recherche d’une trace de culpabilité.
On ne remarquait plus le dieu silencieux aux cheveux clairs, compagnon du vent qui s’engouffrait dans les ruelles, sinon lorsqu’on désirait se soustraire à sa vigilance.

Ou qu’on s’affaire à préparer un mauvais coup, songea-t-il en avisant une femme au comportement suspect.

Deidra. La disciple rebelle d’Ægir, hôte séculaire des divinités de son panthéon. Un panthéon dont Týr était proche à l’aube de la civilisation, pour s’en éloigner définitivement au milieu de la matinée.
Týr ignorait quel imbroglio perturbait la relation du dieu avec sa disciple. Quel qu’il fût, Deidra avait enfreint les lois de la cité à deux reprises en essayant de s’enfuir.
Le Vice-Primat ne lui laisserait pas l’opportunité d’une troisième tentative.

Son corps s’éleva au-dessus du sol, chassant le léger bruit de sa foulée. Il contourna Deidra, lévita derrière elle. Se posa dans un silence absolu.

— Tu regardes dans la mauvaise direction, disciple d’Ægir.

La femme sursauta, se retourna. Leva des yeux effrayés sur le dieu à la taille imposante. À la voix calme et profonde comme une source d’eau souterraine, ferme et rigide comme la surface d’un lac gelé.

Parfait. Deidra devait comprendre, ressentir dans ses tripes que l’Ordre veillait. Que rien n’échappait à sa vigilance.

— Pourquoi t’entêtes-tu à chercher une issue ? Quelle motivation te pousse à vouloir retourner dans ce monde que tu croyais connaître ? Ton avenir ne se joue plus au-delà de ce portail, mais dans le domaine de ton dieu et maître.

Au pied du mur

Le souffle d'une présence par des mots délicatement déposés dans mon dos. Une voix qui suffit à imposer un respect certain. Un frisson qui se propagea dans ce sursaut que me provoqua cette interruption de mes pensées.

Tyr.

De ces têtes que l'on apprend à craindre. Que l'on soit humain, disciple ou même dieu. Le Vice-Primat de l'Ordre portait bien son titre, un rôle façonné pour lui. Le cœur serré à ses paroles, je pinçai mes lèvres l'une contre l'autre. Mes prunelles céruléennes levée vers le ciel pour percevoir son regard inquisiteur.

Difficile de ne pas ciller lorsque le dieu condamne mes pensées. Nul besoin d'être télépathe pour savoir ce que j'avais en tête, cependant cela restait gênant. Mes aspirations ne regardaient que moi, il ne pouvait pas m'empêcher d'y songer. "Rester ici c'est accepter le sort qu'Ægir me réserve. C'est accepter de mourir pour qu'une autre vienne habiter mon corps. Il est aussi cruel de demander mon abdication que de m'empêcher d'espérer un miracle qui me servirait d'échappatoire", répondis-je non sans audace.

L'espoir était l'arme des impuissants. De ceux qui n'avaient pas les armes pour mener les combats que la vie leur imposait. Affronter les tissages que les nornes avaient fabriqué pour nous... voilà que je venais à penser comme ces dieux nordiques qui m'entouraient depuis que Freyr m'avait ramenée ici.

"Je doute que vous n'ayez un jour ne serait-ce que songé vous mettre à notre place, celle des humains de qui vous vous jouez. Alors malgré vos siècles d'existence, vous ne pouvez pas comprendre à quel point c'est injuste et nuisible", ajoutai-je en toute connaissance de cause face au dieu de la justice. Une certaine insolence enrobée d'une voix cristalline. "Si vous étiez à ma place, accepteriez-vous d'être ainsi volé ?" Demandai-je en fronçant légèrement les sourcils, appuyant le sérieux de ma question et l'appréhension de la réponse.

Au pied du mur

Les lèvres de Týr remuèrent de façon imperceptible. Il avait aussitôt fait le lien entre le « sort » qui attendait Deidra et l’absence de Ran, dont l’étincelle divine brillait quelque part dans l’immensité du cosmos. Loin du monde des humains. Loin de Sanctum. Loin de son époux Ægir.

— Ta prétention à la vie est légitime, Deidra, autant que celle de Ran. De même que vous condamnez les animaux à la mort pour vous nourrir, que vous massacrez vos semblables pour un lopin de terre cultivable, nous avons besoin d’investir un hôte humain pour évoluer en ce monde. Un corps que notre incapacité à nous reproduire nous empêche d’engendrer par nos propres moyens.

Týr détacha son regard las des yeux de l’humaine pour embrasser la cité du regard.

— Détrompe-toi, ce n’est pas un jeu pour nous. Nous sacrifions également une part de nous-même en prenant le contrôle d’un corps. Un corps que nous habitons jusqu’à plusieurs siècles, pour certains d’entre nous, quand vous êtes des milliards d’êtres humains à naître et mourir dans un mince fragment de l’histoire. L’obole est somme toute modeste.

Une obole pourtant injuste, la majorité du temps. Rares étaient les divinités à choisir des hôtes volontaires ou condamnés. Certaines choisissaient un corps comme les humains choisissent un manteau de fourrure – le plus dispendieux qui fût.

Le visage de Týr se tourna à nouveau dans la direction de la captive. Un voile de nostalgie ternissait l’éclat de son visage.

— Tu te trompes également sur notre ignorance. Nous assimilons tous les souvenirs de l’hôte en qui nous nous incarnons, de leur premier cri à leur dernier souffle. Nous savons ce que vous éprouvez. Nous le vivons aussi à travers le lien qui nous lie à nos disciples. De toute évidence, le lien qui te lie à Ægir n’est pas celui que beaucoup d’entre nous tissent avec leurs fidèles. A-t-il laissé entrevoir une alternative ?

Malgré le calme résolu de sa voix, un sentiment d’indignation nouait les entrailles du dieu sage. Un sentiment qu’il éprouvait dans tous les cas similaires – Deidra n’était ni la première, ni la dernière disciple vouée au sacrifice.
Comment une divinité pouvait s’abaisser à une pratique aussi barbare ? Élever une humaine au rang de disciple, c’était lui offrir une part de soi-même. Le plus beau cadeau qu’un dieu puisse offrir à un mortel. Un serment indéfectible de loyauté, de protection et de fidélité. Une promesse d’éternité. C’était tout, sauf le moyen d’enchaîner un véhicule de chair à un rocher dans l’attente d’un rituel sacrificiel.
Néanmoins Týr savait que son point de vue ne faisait pas l’unanimité parmi les dieux.

Au pied du mur

La voix douce et sage de Tyr m'exaspérait. Son propos également. D'autant plus qu'il semblait tenir la route. Je n'étais pas crédule au point que cela me suffise à accepter le sort qui m'était réservé, restant toute aussi indignée. Mais il y avait dans ses paroles une certaine logique : ils étaient l'espèce supérieure. Devais-je me sentir honorée d'être choisie comme hôte d'une entité supérieure ? Je me moquais bien du pouvoir et de la grandeur : à quoi bon avoir ces attributs si moi-même je n'étais pas là pour les savourer ?

La présence des dieux défiait à elle seule le principe d'évolution que la nature prônait : une espèce faite pour perdurer devait être capable de se reproduire. Sinon, c'est qu'elle n'est pas viable. Leur survie est artificielle, retardant une échéance inéluctable que leur longévité rendait interminable du point de vue d'un être humain...

Le dieu supposé sage souleva un point qui me fit ciller. Cette présence que chaque vie occupée marquait l'esprit du dieu. Telle une communion mélangeant ce qu'il était et ce que les corps occupés étaient. Effectivement, les dieux pouvaient sans doute savoir. Se rendre compte. Mais de leur piédestal, les événements n'avaient guère la même saveur ni le même impact... Nous n'étions pas faits pour nous comprendre, humains et divins. Notre côté éphémère était un frein qui maintiendrait constamment ce fossé qui nous séparait. De quoi, cependant, me rendre curieuse de ce qui restait en Tyr des hôtes qu'il avait choisi. Au même titre que les réminiscences d'd'Ægir.

L'évocation de ce dernier me fit serrer le poing. Notre lien supposé ne marchait pas comme il devrait pour la simple et bonne raison que je m'étais entêtée à le refuser. Qu'encore aujourd'hui, je m'échinais à ne pas vouloir le ressentir. Par dépit ou par considération, Ægir semblait me laisser du temps pour assimiler et accepter ces changements.

De ma nature humaine, je ne concevais pas encore à juste titre le sacrifice que représentait le geste d'élever un humain au rang de disciple. J'ignorais ce que, concrètement, ça avait coûté à Ægir. Tout ce que je savais, c'est qu'il espérait avec ferveur que cet intermédiaire me ferait changer d'avis, me donnerait envie d'accueillir volontairement Ran. La déesse était affaiblie et sans hôte consentante, sa réincarnation risquait d'être la dernière.

Il n'avait pas le droit à l'erreur. Et il ne prendrait pas le risque de la perdre... il l'aimait. D'un amour que n'importe quel être humain jalouserait. "Ce qu'il m'a offert est un cadeau empoisonné qui ne fait que m'enchaîner un peu plus à lui. Un moyen de me garder entre ses griffes acérées même si je m'obstine à ne pas vouloir jouer son jeu. M'abandonner pour qu'il retrouve Ran ou refuser et être condamnée à vivre ici. Il n'y a pas de réelle alternative et il n'est pas du genre à laisser la moindre porte de sortie, pas vrai ?" Exposai-je à l'ouïe de Tyr en m'attendant presque à un éclair de génie, à une solution tombée du ciel qui traverserait ses fines lèvres.

Au pied du mur

Deidra voyait le monde à travers la fenêtre étroite de sa jeune humanité. De sa personnalité trouble.
Lorsqu’il avait investi le corps de Godric Egilsson, Týr avait absorbé tous les souvenirs d’une vie humaine. Une vie tumultueuse, agitée d’émotions contradictoires. Pléthore d’humains traversaient l’existence comme son hôte, à la manière d’un navire franchissant les eaux déchaînées du cap Horn. Certains avaient la chance de trouver la tranquillité d’une mer calme, le plus souvent à deux ou trois coudées du trépas.
Une chance qui s’offrait à Deidra, et qu’elle ne voulait pas saisir.
Týr ne s’étonnait guère des frémissements nerveux qui agitaient les muscles de son visage, de la rage contenue dans ses poings serrés. Les humains capables de maîtriser leurs émotions, planifier et garder un cap efficace appartenaient à une minorité. Une élite de décideurs dont la disciple d’Ægir ne faisait pas partie.

— Tu m’as demandé ce que je ferais à ta place, et j’ai déjà souligné que ta porte de sortie, si elle existe, ne se trouve pas en ces lieux. (Týr tendit un bras en direction de la tour.) Même si par miracle tu réussis à franchir le portail d’Heimdall, nous te retrouverons sans aucune difficulté. Ægir te retrouvera sans aucune difficulté, et tes conditions de vie empireront. Le lien qui unit un dieu et son disciple est puissant, indéfectible.

Il ramena son bras vers lui, leva trois doigts devant lui.

— Tu peux effectivement te résigner au sort qui t’attend. Profiter autant que possible de chaque moment qu’il te reste. C’est ce que font quantité d’humains condamnés à mort, à cause d’une maladie incurable ou un autre caprice du destin. Cette attitude a le mérite de satisfaire tout le monde du mieux possible.

Le majeur s’abaissa, laissant deux doigts face à Deidra.

— Tu as également le choix de mettre un point final au dernier chapitre de ton existence. De t’ôter la vie et mettre fin à tes tourments. Chez les humains autant que chez dieux, certains y verraient un acte de lâcheté, d’autres de grand courage. Ou d’un ultime pied de nez adressé à Ægir – piètre et infantile consolation lorsqu’on meurt. En outre, te suicider condamnerait une autre femme à subir ton sort. C’est l’option où tout le monde est perdant.

Le pouce se replia et Týr leva l’index d’un geste solennel, captivant l’attention de sa vis-à-vis.

— Enfin, il te reste la possibilité de te battre. Non pas avec des lames ou des fusils, mais avec ton intelligence et ton cœur. Respecte les lois divines, notre mode de vie ancestral. Apprends à nous connaître. Gagne l’estime de ton dieu, épaissis le lien qui vous unit, et peut-être – je dis bien peut-être – qu’Ægir renoncera à te sacrifier. Certes, il cherchera un autre corps pour son épouse éternelle, mais son choix pourra être orienté sur une femme volontaire, ou qui n’attend plus rien de la vie.

Le dieu avança d’un pas en direction de l’humaine. Son charisme divin exaltait, mais il ne cherchait pas à priver Deidra de son libre arbitre, de la pousser contre son gré dans la direction qu’il souhaitait.
Si la disciple réussissait à changer l’attitude de son dieu, non seulement elle se sauverait elle-même, mais Deidra inspirerait un comportement plus juste à Ægir et, par effet de contagion, à son cercle de divinités.
Une lueur d’intelligence dansa dans les yeux du dieu de la stratégie. C’était le genre de coup, de manœuvre qui parvenait encore à le stimuler malgré la profonde lassitude qui rongeait son âme. Un coup qui avait très peu de chance de fonctionner, mais qui valait la peine d’être tenté.

— Si j’étais à ta place, Deidra, je ne tenterais pas de lutter en vain contre des pouvoirs qui me dépassent. Je ne perdrais pas mon temps à croiser les bras face à cette tour inaccessible. Je puiserais dans mon courage, dans les ressources de mon âme pour bâtir un meilleur futur. Un futur où j’existerais, en tant que personne digne de vivre. Ægir ne te laisse aucune ouverture ? Retrousse tes manches et creuse la tienne. Avec les ongles, si nécessaire.

Au pied du mur

Bras tendu vers la tour abritant le portail d'Heimdall, Tyr me donna sa réponse. Ce n'était pas une option, ou alors la pire... Ils me retrouveraient sans mal. Notamment grâce à cette condition qu'Ægir m'avait contrainte d'accepter.

Ce lien si fort et intense. Cette connexion que je ressentais au fond de mes tripes malgré tous les efforts que j'avais engagé pour l'ignorer. Son évocation orienta ma main sur mon estomac, comme si le nœud de cette connexion s'y situait et m'y démangeait. De quoi me faire comprendre qu'il y avait encore un chemin, une étape à franchir pour que je vienne à réellement me prêter à ce lien.

La résignation fut sa première option. Une option commune et qui semblait limiter la casse des deux côtés. La deuxième qu'il évoqua a été dans mes pensées plus d'une fois. Comme si d'aigreur je venais à me condamner pour m'assurer qu'il n'aurait jamais mon enveloppe. Mais Tyr avait cette même réflexion qui m'avait fait cesser d'y songer : Ægir ne s'arrêterait pas à chercher un hôte pour la déesse qu'il aimait... La troisième solution qui baissa son dernier doigt fit vibrer mon palpitant. Une solution certes, difficile, mais qui offrait une réelle opportunité de survivre et qui sait, d'agir sur quelle personne il choisirait alors pour que sa femme vienne à revenir parmi nous... Ça pouvait marcher. C'était plus compliqué à dire qu'à faire, mais ça avait le mérite d'être viable.

Le discours de Tyr était poignant et son intimidation naturelle devait certainement jouer en faveur de ses mots. Mais mon attention lui avait été toute dévouée. Il avait une aura face à laquelle on se sentait rapidement vide et insignifiant, comme bon nombre de ces dieux. Je ne pouvais lutter de front ni échapper à Sanctum de manière définitive. Ægir m'avait offert de nouvelles cartes et je devais m'en servir. Cultiver ce lien de dieu à disciple. Parvenir à changer la donne pour tirer mon épingle du jeu. "Si votre troisième solution était vraiment réalisable, je suppose qu'il s'agirait du meilleur des compromis... S'il doit y avoir une chance de réussir une telle entreprise, c'est certainement de faire partie de ses disciples. Une étape qu'il a lui-même décidé de franchir..." réfléchis-je à voix haute. "Que le résultat soit favorable ou non, je vous remercie du conseil. Je me doute qu'un dieu tel que vous a mieux à faire que de s'occuper des âmes errantes de cette île... Je vous suis redevable. Enfin je pense..." ajoutai-je avec une assurance mesurée.

Je ne fréquentais pas de nombreux dieux et j'ignorais énormément de choses sur leur fonctionnement, leurs pratiques et leur mode de vie. Des lacunes qu'il me faudrait combler. Et j'avais peut-être une personne toute trouvée pour m'aider dans cette démarche...

Au pied du mur

Depuis des temps immémoriaux Týr s’efforçait de guider les humains vers un idéal d’ordre et de justice. De leur faire adhérer à des valeurs et des causes sur lesquelles bâtir un monde civilisé. De leur inculquer le respect des lois fondamentales, le sens du sacrifice.
En vain.
Les humains songeaient avant tout à prolonger leur brève existence, ou jouir au maximum du temps qui leur était imparti. Voire les deux à la fois.

Deidra était une disciple. Une part de divin brûlait en elle, l’élevait à une condition que peu d’humains oseraient imaginer. Pourtant sa bouche dédaigneuse ne s’entrouvrait que pour murmurer son espoir, son désir de vivre plus longtemps. La survie pour seule préoccupation, à l’image d’une bête sauvage.
Pathétique. Déprimant.

Týr aligna son visage sur l’immensité du ciel lumineux, dont il fut jadis un des maîtres. Le dieu avait accompli son devoir, mais des siècles de chaos et de morts inutiles avaient consumé ses espérances comme un feu dévorant.

— Nous nous quitterons donc sur un accord, Deidra. J’ai en effet plus important à faire que m’occuper de disciples vagabonds. (D’un geste lent, Týr porta à nouveau son regard sur la condamnée. Un regard dur comme la glace.) Et si tu te sens redevable envers moi, alors fais en sorte de ne plus t’exposer aux châtiments de Sanctum.

Týr s’attarda un fugace instant, silencieux. Puis il s’envola, oiseau de proie qui planait au-dessus de la cité des dieux, de ses résidences qu’une petite étincelle suffirait à embraser.
Même le faible éclat d’une âme humaine.