Every human being is a puzzle of need. You must become the missing piece.
☾☾" Debout...Debout gros dormeur..." Le soleil lui réchauffait le visage, alors qu'une légère brise se glissait dans le creux de sa nuque. De longs ongles lui gratter la barbe, produisant un son de paille. Ou qu'il puisse être dans le monde, cette ambiance lui donnait la sensation d'être en été. Elle portait sur elle le parfum de la terre, d'une terre mouillée juste après la pluie. Lui comme un enfant se plaisait à la renifler, gonflant à en exploser ses poumons. Le bruit du monde extérieur semblait toujours plus lointain, incapable de discerner avec précision son visage c'est dans son sourire qu"il aimait se perdre. " Je vais faire du café, ne tarde pas à me rejoindre."
Comment toujours le royaume souterrain savait comment tourmenter le prince, elle était la clé pour le laisser sans défense. Baldr n'était pas homme qu'on pouvait corrompre avec des rêves de puissance, la gloire ne serait jamais un but ultime. Ni Thor, ni Odin. Une éternité à aimer une femme, ainsi était pour lui la chose la plus divine au monde. Tout le monde le regardait, la pomme au sol alors que quelques minutes avant sa main la tenait fermement. "Toutes mes excuses je..." Son coeur battait fort alors, l'homme luttant corps et âme pour retourner vers sa vision idyllique.
Il pouvait se voir descendre les marches d'une maison chaleureuse, entendant les bruits d'une cuisine pleine de vie plus bas. Du sang lui coulait de la poitrine, pas un seul instant il n'aurait pu se résoudre à prendre une pause. Si seulement il pouvait la toucher une dernière fois elle serait sauvée pour de bon, Hel moqueuse laissant faire depuis l'étage. Elle se plaisait à lui faire apparaitre des plaies sur tout le corps: J'ai une idée ! Je vais brûler ta femme !"
" Non ! " Hurla Baldr à une personne croisant son chemin alors qu'il déambulait dans Sanctum, il ne savait même plus comment il était arrivé ici. " Calme toi... ce n'est pas vrai tout ça." L'odeur de chaire calcinée était insoutenable, la déesse d'en bas sautillant autour de lui. La tête de Nanna dans une main: Danse ! Danse la princesse, tourne en l'air la jolie tête !" Baldr protégeant le corps décapité de la cruauté de la ténébreuse reine, murmurait que ce n'était pas vrai.
Les dieux avaient des pratiques bien à eux. Des réactions qui semblaient normales à leur yeux et étranges à nos pauvres profanes. Je vivais parmi eux depuis un certain temps mais ne prêtais de réelle attention à leur mode de vie que depuis peu.
La docilité dont je faisais preuve m'accordait de pouvoir circuler plus librement dans les allées de Sanctum sans être suivie par un croyant d'Ægir. Mais pour une fois, je regrettai cette confiance ; il n'y avait pas grand monde sous les arcades et une entité vint troubler le silence qui régnait entre les alcôves. Il semblait perdu, en guerre à l'intérieur de lui-même.
Qu'il soit dieu, disciple ou humain tourmenté, sa douleur me toucha lorsqu'il me cria un "non" au visage. Ses bras cherchaient à se retenir ou... à le faire tomber.. Il semblait totalement ailleurs. Il avait beau être plus grand et massif que moi, je vins saisir ses avant-bras pour le mener à l'écart. Il semblait à moitié inconscient, se parlant à lui-même pour se convaincre que ce qui le taraudait n'était pas réel.
La réalité... une notion des plus relatives et subjectives depuis ma rencontre avec les dieux et Sanctum.
La détresse de cet homme paraissait si profonde qu'elle semblait lui arracher le cœur, littéralement. "Il n'y a rien, tout va bien, respire..."Respire... On faisait plus utile comme conseil dans ce genre de moment, mais rien ne me venait. Surgit l'idée de le prendre dans mes bras, de le serrer et le forcer à se reconnecter avec le réel. "Personne ne te fait de mal, c'est dans ta tête. Capte le son de la fontaine au loin, sens la légère brise qui circule dans l'allée, sens mes bras qui te tiennent : tout va bien", m'acharnai-je avec une douceur presque maternelle.
Il me donnait l'effet d'une personne en plein rêve éveillé, un cauchemar, prison de chimères où nos démons nous hantaient... un état que je ne lui enviais guère et qui, malgré mon calme apparent, savait susciter mes propres peurs, mes propres monstres.
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☾☾Tel le chat des sirènes il pouvait entendre la femme, il comprenait son intention en cherchant la création de points d'ancrages pour le ramener dans le vrai monde. Une vraie plaie pour le dieu qui ne voulait surtout pas attirer l'attention sur lui, une grande partie de son futur plan reposait sur le fait qu'on l'imaginait mort depuis fort longtemps. Le mieux aurait été d'étrangler sa bienfaitrice aussitôt en mesure de discerner les choses, Baldr n'était pourtant pas de ces hommes. Jamais de toute son existence le dieu n'avait levé la main sur une femme, étant par nature l'image même de la bonté, il ne ferait rien de cette pulsion guidée par la peur. " Elle sent le dieu nordique à plein nez, je te le dis elle est comme eux ! C'est peut-être Hel.." Les lèvres de Nanna lui murmuraient à l'oreille pour le forcer à sombrer un peu plus dans la folie, pour lui entacher les mains de sang innocent.
Melchiah plaqua sa main à l'endroit précis ou était situé le coeur de la fragile humaine, pressant la chaire et les os pour sentir un peu plus le battement fou de l'organe: Elle sait tout imiter sauf le son d'un coeur..." Son pouvoir était capable d'aller puiser au plus profond d'un être humain pour y cueillir les émotions les plus intenses et agréables, son autre main à présent lover dans le creux de sa nuque emprisonnait sa partenaire dans une sorte de bulle. Remontant non sans mal la sensation du bas ventre, pour la répandre sur l'ensemble du corps de Deidra.
Les tremblements légers parcourant les veines, l'accélération de la respiration. Et le corps féminin sous son emprise continuait de réagir aux stimuli, gorgeant de sang les lèvres fines, dilatant les pupilles. Son but était simple donner à l'humaine une illusion d'orgasme de plus en plus proche, le coeur ne battait plus normalement mais bien plus fort. Pompant de plus en plus vite le sang pour répondre aux besoins de son hôte, les percussions cardiaque avaient avec succès fait taire la fausse voix de son épouse.
Il voyait plus clairement le monde autour de lui, puis juste avant le point de non retour relâcha son emprise solide rompant immédiatement l'effet de son pouvoir. Baldr n'aimait pas vraiment faire usage de son pouvoir pour manipuler les mortels, préférant laisser le choix à un libre arbitre. Dans la panique de ses visions il avait presque franchit une ligne de conduite extrêmement importante à ses yeux, toujours à terre il avait traîné ses fesses un peu plus loin pour rejoindre un mur: Vous devriez partir, c'est dangereux de venir ici..."
Les ancres ne semblent pas trouver leur prise... il perd pied, encore et encore sans que rien ne semble parvenir à l'en arracher. Sa main vint pourtant saisir mon cœur, ses doigts se plantant dans ma poitrine comme s'il voulait me l'arracher. Un sursaut qui enleva tout le calme dont je m'efforçais à faire preuve...
La peur vint me saisir alors que, soudainement, une immense vague de chaleur m'envahit. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait et je n'avais qu'une envie : échapper à son étreinte. La main logée sur ma nuque m'en empêchait. Mes paumes contre lui cherchaient à l'éloigner. Impossible. Sa force battait la mienne à plates coutures... "Arrête, tu m'fais mal", prononçai-je en vain. Mais la douleur se dissipa sur l'instant où je sentis tout autre chose prendre possession de mon être.
J'ignorais comment c'était possible et savais pertinemment que la réponse se trouvait dans la divinité qui se trouvait face à moi. Mes yeux se plantèrent dans les siens et s'embrumèrent d'une sensation exaltante. Mon palpitant s'acharnait contre sa cage et des frissons de bien-être vinrent conquérir mon corps tout entier. Les prémices d'une étreinte charnelle que nous ne partagions pourtant aucunement... Un plaisir qui venait prendre place dans mon esprit autant que sur ma peau frémissantes. Un gémissement qui m'échappa, non pas de peur mais de ce plaisir ressenti avant que, brutalement, tout vienne à s'arrêter.
Un geste naturel de recul que l'inconnu eut tout également. Il me fallut quelques secondes pour reprendre mes esprits et ne pas le maudire d'avoir brisé ce contact mais plutôt le maudire de m'avoir fait ça... Ma tête tournait légèrement, me causant un vertige qu'il me fallait encaisser sous ses mots. Un endroit dangereux ? Pas plus que toutes les autres allées de Sanctum. Le silence acheta le calme de mon rythme cardiaque. La curiosité me piquait de manière indécente et je ne sus la réprimer malgré la situation. "Qu'est-ce... qu'est-ce que c'était, ça ?" Une réponse, ne serait-ce qu'une bribe, pouvait certainement me suffire. Que ce soit sur ce qu'il m'avait fait ou ce qui l'avait ébranlé. Cette deuxième partie m'intéressait bien plus à vrai dire... Il avait donné l'air d'être enfermé dans une transe sans fin. J’ignorais ce qui était parvenu à l'en délivrer.
Tout autant d'interrogations qui me firent m'approcher de lui et non m'en éloigner. Je me mis à sa hauteur, accroupie face à lui.
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☾☾La réalité était percutante, décevante et vide comme toujours. Pour Bladr Sanctum était le dernier vestige d'une divinité malade, le refuge des égos de ces immortels sans dignité. Tel un phare à la lumière verte, l'endroit attiré à lui les âmes des mortels pour une ultime illusion. La promesse faite ne se réalisait jamais, cette femme devant lui ne serait rien de pus que le dernier agneau sur son autel. Il faisait tout son possible pour retrouver son calme, laissant comme une bouteille à la mer le son du coeur de Deidra s'éloigner de lui.
" Rien de plus qu'une illusion, comme tout le reste ici." Sa réponse était froide, criante d'une vérité certaine. Rien en ce lieu ne pouvait être touché, tout été fait dans le but de glorifier les immondes. Pas un dieu sans titre, pas un adorateur sans écorchures sur les genoux. De partout le culte était le maître mot, une statue d'Athéna ou une arche pour Odin. L'une avait condamnée une femme violée à la monstruosité et le second, la liste serait bien trop longue sur le père de tout. Il se releva sans mal saisissant la jeune femme pour qu'elle puisse faire de même sans serrer son poing outre mesure, une fois en paix il était difficile de prêter une mauvaise intention au prince tant sa bonté émanait de lui comme les rayons du soleil.
" Ici ils aiment tous porter un titre pompeux, ici tous te demandent de vénérer. Sache que je ne suis pas comme eux, je te demande de marcher avec moi pour la fin de mon chemin." Marcher ensemble comme devrait être depuis l'origine, un humain en totale égalité avec le divin. Une main placée dans le dos de la blonde pour Lui faire prendre la bonne direction, il lui offrait un sourire discret à chaque regard sans pour autant lui rendre l'attention d'un iris. Lui n'avait aucune prêtresse pour murmurer sa grandeur, aucun fidèle capable de mourir pour lui rendre hommage. Il était dépouillé de tous les attributs d'un roi et pourtant, le silence lui discrètement s'inclinait devant lui comme un sujet admiratif et la lumière le sublimait juste assez pour ne pas l'offenser.
Finalement il avait cessé d'avance une fois proche du panthéon nordique, de cet endroit se dégageait un vent glacial.
" Tu vas y entrer avec moi, contrairement aux reste, moi je vais te montrer la seule vérité derrière le mythe."
Sa présence dans le sanctuaire donnait l'impression d'être légitime, il sembla même sourie quelques secondes. Comment un enfant qui une fois de retour chez lui, savait ou trouver le placard à gâteaux. Le seul acte divin est d'éclairer l'humanité.." une sorte d'aura échappa de ses paumes pour envelopper les statues et créer au plafond une aurore aux couleurs variées, illuminant par la même occasion une statue dans le fond. Une sculpture attirant toute l'attention du dieu, la seule capable de lui faire courber la tête doucement: Ils ne connaissent rien à l'amour, ils sont tous seuls. "
Le ton sec de sa voix me laissait entendre que c'était là un mal récurrent, que tout ceci n'était qu'une illusion. Je me laissai relever à son geste, écoutant ses paroles pour déceler qui il était, ce qu'il faisait ici et où il pouvait bien aller. Une certaine curiosité qui ne pouvait sans doute rien m'apporter de pire que ce qui m'attendait déjà...
Le dieu se faisait énigmatique et mystérieux. Je ne comprenais pas où il souhaitait en venir. Ce qui me laissait à la fois perplexe et intéressée. Alors je marchai à côté de lui. Durant ce bout de chemin fait ensemble, je passais en revue dans mon esprit les dieux que je pouvais connaître de mes vieux cours d'histoire. Difficile de trouver le moindre indice valable... tous étaient susceptibles d'avoir tellement changé... Ou tout simplement de ne pas correspondre aux représentations qu'on a pu s'en faire.
Nous suivions les arcades jusqu'à nous arrêter devant l'entrée du panthéon nordique. De quoi préciser mes pensées. Mais aucune réponse ne se dégageait entre toutes ces possibilités. Attentive, je le suivis. Légèrement tendue. J'avais l'impression de ne pas avoir le droit d'être ici et en même temps je m'y sentais presque... à ma place. Les belles paroles d'Ægir avaient-elles déjà semé Ran dans mon esprit ?
Toujours est-il que je me laissais guider vers cette Vérité que le dieu mystérieux voulait me faire découvrir. Le froid se faisait mordant à l'entrée, mais hormis un frémissement, cela ne me gêna pas outre mesure. De ses mains jaillit une aura qui dessina des courbes vacillantes au plafond. Je les observai avec admiration jusqu'à suivre du regard la statuette mise en avant. De pas lents, j'approchai d'elle. "Nanna", vins-je reconnaître comme l'amour que les autres ne connaissent pas selon ce dieu. Je me retournai, yeux plissés tournés vers mon hôte. "Baldr ?" L'interloquai-je en pensant avoir trouvé ma réponse. "Celui dont toute chose et être vivant devait pleurer la mort mais que le refus d'une géante condamna à l'errance au Hellheim jusqu'au Ragnarök", récitai-je en revenant vers lui comme un restaurateur approchant une œuvre d'art.
C'est qu'il y avait de quoi admirer... Baldr était d'une beauté et d'un raffinement rare. De ces êtres précieux que l'on souhaite préserver du moindre défaut. "Tous n'ignorent pas l'amour", vins-je à déplorer en me tournant vers la statuette de Ran. M'éloignant de quelques pas de Baldr dont mon observation pouvait paraître un peu trop pesante. Ses mots n'avaient pu que faire écho dans mon esprit. L'amour qu'Ægir portait à Ran était fort, très fort. Assez pour offrir une part de sa divinité à celle qu'il destine à accueillir sa promise. Un sacrifice dont je percevais de plus en plus la valeur.
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☾☾La statue ne rendait pas justice à la beauté de son épouse, faite par un incapable tout juste bon à servir la bière de Thor. L'art était une extension de l'amour, qui mieux que lui aurait pu la sculpter. Le prince n'avait plus aucun souvenir du visage premier de Nanna, son coeur lui aurait été d'en décrire le moindre trait. L'enfer avait su lui anéantir l'esprit, chose fragile même chez un dieu à défaut d'avoir dévoré son palpitant.
- Une statue ou elle n'a pas le sourire, c'est comme peindre le soleil en retirant le jaune.
Qu'il était vieux alors, l'ultime regret d'un immortel. Baldr avait tout fait et tout vu dans le monde des morts et celui des vivants, seul miroitait son image trouble ou tout le reste avait été engloutit depuis. Un géant aux épaules lasses, majestueux qu'une brise pourrait faire chuter. D'un ton académique elle lui avait racontée sa petite histoire, c'est donc tout ce que la postérité gardait de lui ? C'était pour lui comme découvrir le corps d'un vampire, n'en retenir que le cerceuil ridicule. Il n'en voulait pas le moins du monde à la jeune femme, ici n'était pas le lieu pour les rectifications de mises.
- Et premier fils de Odin, prince héritier d'Asgard et de tous les royaumes. Un sourire narquois comme bouclier, destiné une fois encore à la disciple des adorés.
- Mais je ne chipote pas vraiment sur la liste des titres, Baldr sera amplement suffisant. Enchanté.
Tel un daim en alerte il avait observé la belle partir en direction d'une représentation de Ran, elle rêvait à la vie de velour. Hôte de la divinité probablement, elle croyait savoir à travers la pierre qu'elle mystique un jour elle serait. Il la connaissait bien, la voleuse des mers. La décision n'était pas la sienne, de toute façon l'humaine envoutée par Aegir ferait comme bon lui semble. Ran était avide d'or et capricieuse, une femme versatile. Cependant touchante à sa manière: Pourquoi abandonner ainsi ta vie ? En la laissant revenir jamais tu n'auras un enfant, tu disparaitras tout simplement.
La mélancolie se lisait sur le visage du dieu. Baldr confiait de simples mots le piètre hommage que représentait cette statue. J'essayais d'imaginer cette déesse, grâce aux traits et au sourire.
Les titres... Les dieux nordiques en avaient pour le moindre de leur fait d'arme. Même pour chaque fruit mangé. Tant d'attributs que l'Edda ne pouvait certainement en conter. Il y devait y avoir tellement de chose à apprendre au travers de ces êtres immortels... Ils ne pouvaient se résumer aux lignes écrites par quelques disciples dont on ignorait finalement la véritable nature. Une mysticité dont la portée ne pouvait que m'échapper. Tout ceci était bien trop récent et je ne survivrais certainement pas assez dans ce monde pour prétendre parvenir à élaguer la surface des connaissances à assimiler sur ces êtres divins.
Mes efforts seraient sans doute vains, de toute façon. A mon approche de la statuette, air pensif et éloigné, Baldr sembla comprendre ce que je n'avais dit. Je baissai la tête, tournant mon menton vers lui sans pour autant chercher à me retourner. Ainsi je ne voyais pas même le bout de son pied. Mon oreille se faisait simplement plus alerte à son intonation. "Lis-tu au travers de ma conscience pour avancer l'idée que j'étais prête à faire ce sacrifice ?" Demandai-je sur un ton peut-être trop sec. C'est que le sujet était complexe et l'aborder avait tendance à très vite m'exaspérer.
J'aspirais à une vie, à une famille, à une ambition humaine on ne peut plus normale. Malgré cela, je me retrouvais dans la trentaine célibataire, sans enfants ni aucun de mes rêves d'accomplis. Ægir pourrait facilement passer pour la solution de rechange ; la branche à laquelle me rattraper. Je n'avais pas fait de ma vie ce que je souhaitais alors on m'offrait la possibilité de servir une cause bien plus grande que ma personne, que mes ambitions risibles.
L'Amour. Après tout, c'était la raison de l'acharnement du dieu de la mer de faire revenir Ran... Une motivation en laquelle je voulais croire mais à laquelle j'étais incapable de me dévouer. "Quand bien même je le voudrais, disparaître m'effraie bien trop..." me mis-je à réfléchir à voix haute comme si Baldr était assez proche de moi pour comprendre et m'aider à trouver la lumière au bout du chemin. "Cette peur de mourir est devenue physique, un cadeau d'Ægir, paradoxalement. Quand on y pense, c'est absurde... Me faire sa disciple n'aura fait qu'ajouter une barrière de taille à son projet." Un sourire abusé habita mes lèvres un bref instant. La nature était chaotique, même chez les dieux...
Je me tournai vers Baldr en croisant les bras, pensive. "L'amour n'est-il pas un poison ? Peut-il réellement valoir la douleur qu'il nous force à ressentir lorsqu'on perd l'élu de son cœur ?" Que ce soit la détresse d'Ægir ou celle dans laquelle Baldr se retrouvait, je me sentis soudainement chanceuse d'avoir été épargnée par ce sentiment.
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☾☾" Tu as le regard de l'autre." Avait-il formulé à voix basse pour ne pas troubler la réflexion de son interlocutrice, l'amour avait bien des visages et aucun ne lui était inconnu. Baldr de par sa longue expérience avait su lire en elle avec la facilité d'un livre d'enfant, elle était au croisement de sa vie et l'amour cherchait par-dessus tout à en être le guide discret. Le dieu portait une attention particulière à la distance le séparant de la disciple, pour être à la fois l'invisible confident et le bruyant écho de ce qu'elle ne voulait surtout pas entendre.
- Qu'il est beau cet Aegir non ? Petite humaine comme les autres qui d'un coup est remarquée par un dieu. Il te regarde et voilà que tu existes enfin, il parle à ton oreille et ton coeur vibre plus fort. Pour la première fois de ta vie enfin tu approches de la grande vérité, alors que ce n'est que ton dernier mensonge. Son regard ne déniche rien d'incroyable en toi, tu n'es qu'une vitre transparente et Ran se trouve de l'autre côté. Tu as les yeux de l'autre, celle qui aime mais ne sera jamais aimée à son tour par son élu.
Il la voyait toute entière, ne laissant pas sa vision troublée par une Nanna ou le vague souvenir d'une Ran. Capable avec recule de voir tout ce qui composait de près ou de loin la fragile blonde, pour Baldr elle existait ici et maintenant par elle-même: Oui mon épouse me manque, comme Ran manque à son époux. Là s'arrête notre ressemblance, un amour qui renait sur une vie sacrifiée est une terrible honte. Aucune déesse ne vaudra jamais une seule vie humaine, j'ai eu ma chance en amour ce n'est plus à mon tour."
La chute valait la peine pour avoir ne serait-ce qu'un temps la plus belle vue du monde, marcher avec Nanna restait encore aujourd'hui son privilège le plus grand. Souffrir des siècles de sa perte était pour le prince un prix bien modeste en comparaison, mais ça Deidra le comprendrait sur son propre chemin avec la bonne personne. Tout ce que lui pouvait faire était de lui offrir un bref aperçu de ce que l'amour avait en réserve: Tu marches dans la rue, soudain tu croises cet homme. Ton coeur sait immédiatement qu'il est le bon." De par son pouvoir il pouvait piocher dans toute une gamme d'émotions, toutes déjà présentes chez la disciple.
- Votre premier baiser, votre première nuit ensemble et l'odeur du café le matin dans votre maison des années plus tard." Elle devait savoir ce à quoi elle disait adieu pour l'éternité, par le jeu des sensations et des souvenirs de son passé tout était presque réel pour la jeune femme. Profitant de chaque phrase pour l'éloigner de la statue de Ran, lui offrant le cadeau de découvrir pour elle uniquement ce qu'elle pouvait encore trouver dehors.
- Ton enfant posé contre ton sein, tu le vois grandir et prononcer pour la première fois maman." Une main du dieu venant se poser sur la poitrine mentionnée, éparpillant sa chaleur sur la chaire pour rendre la sensation de vie plus présente encore. Aucune intention malhonnête n'émanant de lui, il n'était alors rien de plus que le messager de quelque chose de plus profond. Touchait également par les sensations, Baldr n'avait pu s'empêcher de déposer un baiser sur le front de la disciple avant de s'écarter pour lui faire digérer les choses: Un jour Ran va venir te prendre tout ça, tu vas disparaître pour de bon. Tu es toutes les possibilités, va et découvre par toi-même le prix de l'amour, ne laisse pas quelqu'un t'en priver.
La blessure de Baldr semblait profonde. Bien trop profonde pour être réelle... Égaré, déboussolé. Comme si cette déesse était son guide, sa lumière. Et qu'elle s'était éteinte, le plongeant dans le profond cauchemar de ses craintes et ses douleurs. Une torture que je me bénissais de ne pas connaître. Un noir si intense que j'en venais à comprendre les projets fous d'Ægir. La vie d'une humaine ne pouvait pas avoir la moindre importance face à l'Amour d'une éternité. Et je devais certainement m'estimer heureuse d'être, finalement, si bien traitée...
Je cillai à la réflexion abstraite du dieu. Le regard de l'autre ? Silencieusement, je l'écoutai sans délier mes bras. Baldr se trompait... Il ne pouvait que se tromper. Ma compassion envers Ægir n'était pas due à un quelconque amour. Ce n'était que l'empathie créée par notre lien, rien de plus. Pourtant, mon cœur battait de plus en plus vite, à se briser lorsqu'il déposa sur ses lèvres la blessante description d'être celle qui aime sans jamais l'être en retour. De quoi attiser une colère intense en moi dont mes tripes devenaient l'âtre. "Si aucune divinité ne vaut le sacrifice d'une vie humaine, alors pourquoi vous réincarner en habitant nos corps et balayant nos âmes ? Pourquoi certains se renforcent par la disparition des nôtres ? Ce n'est pas une question de valeur ni de mérite, uniquement la nature et sa chaîne alimentaire", osai-je interrompre ses mots. Une vision qui ne me plaisait pas particulièrement, mais qui se faisait pragmatique. Fatalement pragmatique.
Soudain, à ses paroles, une vague vint m'envahir. Je savais que cela venait de lui, d'un de ses pouvoirs. Je voulais m'y soustraire mais lutter était vain. Ce que Bladr cherchait à m'inspirer devint subitement si réel que mes paupières se fermèrent pour en apprécier chaque sensation. Mon souffle était saccadé, irrégulier, mais si profond... Le contact de Bladr ne fit qu'accroître ce sentiment de plénitude. De ces rêves dans lesquels nous souhaitons restés prisonniers. Les larmes qui s'extirpèrent de mes cils étaient de joie ou de peine ? Aucune idée. Quand Baldr s'éloigna, la vision se dissipa. Une descente raide accompagnée par ses mots sévères. "Pourquoi fais-tu ça ?" Échappai-je alors que d'autres larmes sans sanglots venaient ternirent mes joues. Ma voix était basse, défaite... Tout était perdu. "M'inciter à retrouver l'espoir d'avoir une porte de sortie c'est une torture que je ne pense pas avoir mérité. J'ai juste voulu t'aider", vins-je plaider en ne voyant pas en lui le messager neutre qu'il devait être. Simplement le mauvais augure détaché et cruel au vu des mots prononcés.