Les quelques jardiniers qui s'affairaient après la fermeture avancée de cette zone essayaient de ne pas prendre garde à l'original. Ils le voyaient de temps à autre, cet homme à l'aura mystérieuse qui traînait comme peu importe l'heure comme si ce domaine était le sien. Cela faisait bien longtemps que personne n'osait lui faire une remarque, à part peut-être de temps à autres les petits nouveaux qui ne savaient pas que celui-là était dans les petits papiers de la grande manitou. C'était donc sans gêne aucune qu'après des heures à piétiner sous sa belle blouse blanche Dagda était venu marcher sur les pelouses soigneusement taillées du pavillon japonnais avant de retirer ses chaussures pour s'asseoir sur un muret et glisser ses pieds dans l'eau.

Satisfait de son installation, la divinité profitait des derniers rayons du soleil estivale, ne tardant guère à s'allonger pour observer avec un sourire béa le ciel se parer de chaudes couleurs. L'espace d'un instant, il sentit un frôlement dans la fraîcheur de l'eau et n'eut guère de peine à imaginer la curiosité d'une des carpes japonaises qui ne devaient pas être habituées à voir des petons aussi charmants barboter dans leur mare. Si cette procrastination n'était pas pour lui déplaire, il fallait avouer que Dagda attendait surtout le résultat de la belle loyauté d'un garde du parc qui n'avait guère tarder à attraper sa radio lorsqu'il avait identifié ce visiteur tardif. Nul doute qu'il avait répondu là à un ordre et que le Dieu pourrait bientôt voir apparaître celle qu'il était venu chercher jusque dans son antre champêtre.

Car croyez-le ou non, Dagda était parfois obligé de se déplacer lui-même pour pouvoir tourmenter ses âmes préférées ! Cela faisait presque quarante-huit heures qu'il n'avait pas vu celle-là, l'absence n'était pas loin d'être impardonnable ! Ou pas, cela dépendrait probablement de l'inspiration du Dieu à l'instant T de leurs retrouvailles. En attendant il s'amusait seul du spectacle de cette enclave japonaise au crépuscule du jour. N'arrachant son regard du ciel que pour lancer un coup d'œil à une silhouette qui passait sur le chemin non loin, le jardinier eu alors le droit au plus charmeur des sourires qu'il sembla ne pas savoir comment interpréter. Mais même ce bref spectateur fila sans demander son reste, laissant Dagda seul alors qu'il n'était pas véritablement d'humeur à l'être. Abandonné, il songea un instant à laisser son corps suivre ses pieds et à piquer une tête dans cette mare mais avant de s'emballer pour cette idée il put entendre d'autres pas approcher, une démarche qu'il reconnaîtrait probablement entre mille.

▬ " Il fut un temps où tu te serais précipitée à ma rencontre. " Un mensonge ? Non il faudrait plutôt plaider pour une altération de la vérité mais Dagda semblait cependant fier de sa remarque, toujours allongé sur le vert parterre. " Aurais-je perdu de mon attraction ? "

Assise à mon bureau, je m'enfonce dans mon fauteuil alors que je continue à lire mon dossier. Son objectif est de convaincre d'autres grands parcs à faire des échanges d'essence afin de préserver la biodiversité. S'il s'agit d'une masse de données compilées par l'un des employés du parc, mon job est désormais de faire le tri entre ce qui pourrait être utile maintenant, ce qui pourrait se faire pour plus tard mais encore ce qui n'est pas du tout envisageable. Aussi afin d'y voir plus clair, je tâche de surligner selon un code couleur précis ce que je pense de chacun des éléments. S'il est vrai que l'argent a pris une proportion considérable ces dernières décennies, celui n'a pas encore pris totalement le contrôle de cette science et les pratiques ancestrales du troc peuvent encore s'appliquer.

Je suis à peu près au quart du document lorsque mon téléphone sonne. Soupirant, je m'en empare avec un air profondément ennuyé sur le visage. Cette expression devient de plus en plus appuyée à mesure que mon interlocuteur parle.

-C'est bon, j'arrive.

J'ai dit ces quelques mots avant de raccrocher en essayant de ne pas faire percevoir l'ennui dans ma voix. C'était la sécurité m'avertissant d'un étrange individu se baladant dans le parc à cette heure fermée. Sans même avoir besoin d'une description physique, je sais déjà qui c'est. Il n'y a que de toutes façons lui qui se permet de venir au parc de cette façon.

Dagda. Ou Seth Mortimer si on veut utiliser son identité de ces dernières années. Cela fait désormais plusieurs siècles que j'ai accepté son offre d'être sa disciple. Jamais je n'ai regretté d'avoir prise cette décision. Néanmoins, malgré tout ce temps passé à ces côtés, je suis toujours heureuse que de savoir qu'il souhaite me retrouver en venant me retrouver sur mon lieu de travail. C'est toujours gratifiant pour l'égo pour savoir qu'un dieu continue à vouloir daigner poser son regard sur moi, simple humaine. Si cela fait plaisir à l'égo, ce n'est pas pour autant que je vais en rougir comme une ado devant son premier béguin amoureux. Outre le fait que je n'ai jamais été réellement ce genre de fille, je pense que j'ai clairement passée l'âge pour ce genre de comportement, merci beaucoup.

Après un temps d'hésitation, je me décide à mettre le rapport dans mon sac pour l'amener chez moi. Vu l'heure, ça m'étonnerait qu'il me laisse retourner sagement ici pour continuer à travailler. Est-ce que j'aurais la volonté de continuer après une pause ? Je ne sais pas mais au moins, je l'aurais à porter de main si j'ai soudainement la foi.

Arrivée dehors, j'aperçois le vigile qui m'a alerté s'approcher vers moi. Légèrement paniqué car ne sachant pas quoi faire, je lui réponds avec un sourire que c'est quelqu'un de sûr et qu'il n'a pas à s'inquiéter. Relativement rassuré par mes paroles, il s'éloigne en bredouillant des excuses. Pour ma part, je me décide de poursuivre ma route vers le dieu. A sa proximité, je n'ai pas le temps de saluer qu'il s'inquiète d'avoir perdu de son charme. Sa remarque me fait hausser un sourcil alors que je le regarde ostensiblement de haut en bas comme pour l'évaluer.

-Pas que je sache depuis la dernière fois. Après, je comprendrais si tu as besoin d'aide pour pallier à ta vieillesse.

Un léger sourire moqueur apparaît sur mes lèvres à ma remarque. Après tout, sans être une divinité comme lui, je suis également à classer dans les catégories des personnes âgées. Enfin, dans mon cas, il faudrait ajouter plusieurs très avant âgées pour que cela colle à la réalité.

-Je crois que je vais finir par te faire faire un badge d'employé ici, ne serait-ce pour que la sécurité cesse de paniquer toutes les cinq minutes.

Ma remarque est dite sur le ton d'une constatation. A débarquer aussi fréquemment en-dehors des heures d'ouverture, cela ne serait qu'une manière de faciliter les choses. J'ai rien contre le fait qu'il fasse des allers-retours si ça l'amuse. En revanche, c'est un chouia agaçant que la sécurité me dérange à chaque fois.

Après un instant d'hésitation, je me décide à m'assoir. La distance entre nous est faible sans que je sois collée à lui.

-Tu as fini ton service ?

La question est banale par certains aspects mais est surtout révélatrice que je n'ai pas vu le temps passé en travaillant aujourd'hui.

Il n'avait pas à s'en faire, il savait qu'il ne serait pas seul bien longtemps. Mieux que cela: il le sentait. Le Dieu sentait cet ennui berçant cette fin de journée, la demoiselle devait se heurter à une réunion sans enjeux ou à un dossier trop laborieux pour l'heure, quelque chose qui méritait amplement la visite de Dagda. Car il n'était guère acceptable que sa Erlina ne s'égare dans les turpitudes de l'ennui lorsque son Dieu prêt à passer des jours et des nuits de folie. Le spectacle auquel se livrait le ciel ne suffisait d'ailleurs pas au Dagda qui ne retint guère un sourire lorsqu'une autre sensation plus satisfaisante se mêla à la lassitude. Ces émotions, cette empathie avait été de tout temps un divertissement, une manière de vivre une autre vie loin de ses propres agitations et parfois même une ancre bien heureuse qui l'avait amarré à la réalité pour ralentir sa chute. Le Dieu ne cachait guère son affection pour ce lien qui l'unissait à ses disciples et ne se privait pas de cet "espionnage émotionnel" qui le berçait avec délices même après tous ces siècles. Néanmoins il ne leur retournait que rarement la faveur, ou du moins il filtrait ce que ces chers et tendres pouvaient ressentir émaner de sa propre personne, n'usant bien souvent de cela que pour les influencer. Comme à cet instant d'ailleurs où seule sa douce allégresse se glissait dans l'air.

Elle était là, il n'avait guère besoin de se tordre le cou pour le vérifier, c'était un fait. D'un air satisfait qui se teintait d'un soupçon de contrariété le Dagda glissa ses mains sous sa tête en distillant sa remarque interrogative.

▬ " Pas que je sache depuis la dernière fois. Après, je comprendrais si tu as besoin d'aide pour pallier à ta vieillesse. " Cette fois amusé, le Dieu consenti à une légère contorsion pour apercevoir le minois impertinent.

▬ " De quel genre d'aide parlons-nous ? " A l'affût de la moindre activité distrayante, il est vrai que l'intérêt divine était naturellement piqué par cette charmante remarque.

▬ " Je crois que je vais finir par te faire faire un badge d'employé ici, ne serait-ce pour que la sécurité cesse de paniquer toutes les cinq minutes. ""Employé", le Dagda tic irrémédiablement à ce terme, comme s'il pouvait se satisfaire d'une telle position et cela même pour tranquilliser la demoiselle. D'ailleurs pourquoi la tranquilliser ? N'était-ce pas amusant de tourmenter sécurité et responsable par sa simple présence ? Non la silhouette allongée dégagea une main de sous son crâne pour balayer cette idée qui n'avait absolument rien pour plaire avant de reporter son attention sur la jeune femme qui décidait de s'asseoir à ses côtés.

▬ " Tu as fini ton service ? " Pensivement absorbé par la chute de reins qui se dessinait à présent dans son champ de vision, Dagda mit un bref instant à remarquer l'interrogation. Ceci fait il s'arracha à sa contemplation avant de réanimer doucement ses pieds qui traînaient toujours dans la fraîcheur de l'eau.

▬ " Il me semble... " Son intérêt pour le sujet était tout aussi vague que sa réponse, son attention revenant toujours sur ce dos qu'il dessinait machinalement dans l'air avec sa main. " J'ai néanmoins rencontré une charmante créature, qui m'a accusé de... "manque de professionnalisme" il me semble. Un caractère presque envoûtant. " De toutes évidences le Dieu était bien loin de s'offusquer de ce souvenir qui s'était essentiellement résumé à se faire incendier par une demoiselle trop inquiète pour cet imbécile heureux qu'elle avait traîné jusqu'aux urgences. De quoi charmer avec efficacité le Dagda qui en souriait toujours autant. Et sous le coup de cette satisfaction qu'il ressentait face à cette rencontre le Dieu se redressa, rencontrant l'épaule de sa compagne alors qu'il s'asseyait sur son séant afin d'observer avec intérêt le minois de Erlina.

De manière assez prévisible, Dagda m'interroge sur quel genre d'aide je peux bien faire allusion.

-Je ne doute pas que tu sauras trouver le moment venu. Après tout, on est là pour ça.

Si mon ton peut apparaître sec, c'est avec une forme d'amour que je dis ces mots, l'amour un peu étrange que je porte au dieu. Tantôt un frère un peu agaçant, tantôt l'amant passionné mais surtout l'amour d'un disciple envers son dieu qui le côtoie depuis si longtemps.

Je roule des yeux lorsque je le vois agiter la main pour signifier qu'il n'est pas intéressé. Je ne vais pas insister mais c'est légèrement agaçant qu'il ait du mal à saisir qu'être la directrice du parc est un job plus facile quand on est pas dérangé régulièrement car la sécurité ne sait pas quoi faire. Et je reconnais que je suis fatiguée ce soir et je n'ai pas envie de me lancer dans une tentative perdue pour le raisonner à ce sujet.

Lorsque je l'interroge sur son travail, Dagda m'évoque une rencontre faite à l'hôpital.

-Ah ? Dans quel sens le caractère envoutant ?

Mon ton est une invitation à ce qu'il développe sa pensée. J'ai beau le connaître depuis un long moment, je sais qu'il y a différents sortes d'envoûtant : il y a envoutant et envoutant. Je préfère lui demander des précisions pour éviter le moindre quiproquo même si j'ai clairement une petite idée de ce qu'il souhaite me dire.

-Et c'était dans quel contexte le "manque de professionnalisme" ?

Clairement, Dagda en a dit trop ou pas assez. Et j'espère qu'il aura la décence de me détailler ce qu'il a en tête assez rapidement.

▬ " Je ne doute pas que tu sauras trouver le moment venu. Après tout, on est là pour ça. " La déception fut avalée par la déité qui avait pourtant consenti une contorsion de son divin cou pour jeter un regard plein d'espoir vers la demoiselle qui ne désirait finalement faire preuve d'une imagination croustillante. Dans sa mansuétude le Dagda ne lui en tenait pas rigueur, tolérant cette lassitude que même sa présence ne semblait dissiper. Il remit donc son visage dans l'axe, retrouvant son observation du ciel avec un sourire machiavélique qui consentait sans peine que sa propre imagination était parfaitement capable de combler la peine de celle de Erlina.

La belle s'installa ensuite à ses côtés attirant irrémédiablement l'attention du regard pâle qui détaillait cette silhouette en délaissant le sac qui l'accompagnait. Le Dieu ne tarda guère à occuper sa main libre en dessinant dans l'air les courbes qui se lisaient dans le dos de la jeune femme et alors qu'il n'était plus trop loin d'effleurer cette silhouette une autre idée parvint jusqu'à son esprit qui s'emballa aussitôt aux souvenirs de sa dernière rencontre. Cette évocation lui donna même l'inspiration nécessaire pour se redresser afin de voir par lui-même ce qu'il osait titiller avec un sourire enthousiaste.

▬ " Ah ? Dans quel sens le caractère envoutant ? " La demoiselle semblait chercher à confirmer ses doutes, amusant le Dieu dont l'expression se teinta d'une lueur équivoque alors qu'il posait durablement son épaule sur sa voisine délicate. " Et c'était dans quel contexte le "manque de professionnalisme" ? " Pour la peine le regard de Dagda s'arracha au minois féminin, se baissant dans un léger rire emprunt de fierté.

▬ " Je crois qu'elle trouvait que j'apportais plus d'importance à mes collègues qu'à son "cher et tendre", enfin son ex-cher et tendre maintenant. " Un nouveau rire passa brièvement entre les lèvres divines avant qu'il ne daigne relever ses traits vers son interlocutrice et interrogatrice. Et il n'avait qu'à peine influencé cette histoire d'ex, juste à peine cela ne pouvait lui retirer son titre d'innocent. Quant-à cette affaire de collègues, il n'avait fait qu'arbitrer une charmante dispute entre deux infirmières. Non vraiment il n'avait rien à se reprocher... Sauf peut-être d’abandonner Erlina dans le flou artistique de ses paroles.

Jouant avec les intuitions féminines qui tentaient de se conforter, Dagda décida sur un coup de tête de se laisser glisser dans l'étang. Descendant le long du muret ses pieds nus rencontrèrent bien vite le fond qui ne faisait que monter l'eau au-dessus de ses genoux. Peu intéressé par l'état de son pantalon le Dieu se tourna de nouveau vers la demoiselle pour enfin l'aider à y voir plus clair.

▬ " Elle était parfaite. La personnification d'une lionne s'offrant à sa tribu. " L'enthousiasme éclairait son visage en songeant à cette parfaite candidate. Il n'était pas passé loin de se faire croquer une main lorsque l'autre énergumène avait feint une mauvaise manipulation du médecin, un caractère affuté qui séduisait irrémédiablement Dagda. Dans son emballement la silhouette masculine se livra à une pirouette aquatique avec le léger renfort de quelques éclaboussures alors qu'il effectuait un tour complet sur lui-même. " Du moins jusqu'à ce que la duperie de son ami se dévoile, le retour à la maison a dû être cocasse. " Le Dieu ne resta pas longtemps de nouveau face à la demoiselle avec son sourire, il se détourna bien vite pour faire quelques pas vers le centre de la mare afin d'observer de plus près un éclat qu'il avait aperçu. " Cette chose n'est même pas une pataugeoire acceptable. " Passant du coq à l'âne sans aucune transition, la critique s'éleva sans appel sans aucune considération pour le fait que cette réserve d'eau était avant tout décorative.

Dagda semble être dans un jour plutôt bon puisque je ne mets pas trop de temps à avoir un début de réponse à mes questions. Néanmoins, lorsque je commence à les avoir, je ne peux m'empêcher de soupirer.

-Ah ? Autant c'est louable de vouloir s'assurer que les soins soient administrés le plus rapidement possible, autant ralentir l'organisation des soins c'est contreproductif.

Je sais que Dagda me dit plus que sûrement pas tout et que mon commentaire est dit sur une situation dont je n'en ai qu'en partie connaissance. Cependant, en quasiment cinq ans d'existence, je pense que mon constat est assez vrai. Cela dit, quand on voit les personnes râlaient pour un oui ou non ces dernières années, je me dis qu'ils ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont d'avoir autant de facilités. Ils aborderaient les choses bien autrement s'ils devaient avoir le spectre de la famine et de la guerre au-dessus d'eux à tout instants.

-Ta journée a été effectivement plus sympathique que la mienne.

Je le reconnais bien volontiers : entre l'arbitrage d'une prise de bec entre un couple et se farcir des piles de dossier, mon choix est vite fait. Après, je sais que ce n'est que c'est un moment amusant parmi d'autres qui le sont beaucoup moins. Au final, je suis bien mieux dans cet emploi qu'à ses côtés à l'hôpital.

-Parce que son but n'est pas d'être une pataugeoire mais un bassin pour poissons ? Et que si tu veux vraiment aller dans un bassin intéressant, il y a d'autres lieux bien plus appropriés où je serai ravie de t'accompagner ?

Ma réponse a fusé du tac au tac à la suite de sa remarque. Quelque part, je me sens un peu vexée qu'il désigne ainsi une partie du lieu où je travaille.

Passant une main dans mes cheveux, je finis par lui demander sur un ton badin.

-Tu comptes la revoir ?

Si je pose la question sans donner l'impression que cela m'affecte, Seth peut aisément voir au travers que je m'inquiète légèrement. Pas que je sois jalouse qu'il puisse prendre du bon temps avec d'autres personnes : je sais que je ne suis pas sa partenaire exclusive depuis bien des siècles. En revanche, je suis sincèrement inquiète pour lui car je sais à quel point il peut se montrer volatile dans ses émotions et j'aime savoir un minimum à l'avance à quoi m'attendre.

L'éclat aperçu était en réalité inintéressant, un malheureux morceau d'un outil entraîné là par une nature que l'on avait voulu dompter. De nouveau immobile, la vision des carpes colorées ne suffit pas à dispenser son auditoire de son avis sur cette mare soi-disant asiatique. Avis qui suscita une réponse vive et sans appel qui releva aussitôt le nez taquin du Dieu.

▬ " Parce que son but n'est pas d'être une pataugeoire mais un bassin pour poissons ? Et que si tu veux vraiment aller dans un bassin intéressant, il y a d'autres lieux bien plus appropriés où je serai ravie de t'accompagner ? " Il y a bien des choses qui tombaient assurément dans le creux de son oreille, ceci en faisait clairement partie. L'air se fit intéressé, le sourire s'habilla de charme alors qu'il faisait demi-tour en direction de la demoiselle.

▬ " Vraiment ? Cela sonne si prometteur... " La curiosité et l'intérêt étaient piqués, il allait falloir envisager de concrétiser ce qui avait été miroiter car la divinité allait probablement quémander cette expérience sous peu. Dagda rejoignait doucement la jeune femme, se mouvant patiemment dans l'eau sans véritablement troubler l'onde.

▬ " Tu comptes la revoir ? " Avait-on véritablement besoin de partager une empathie avec cette chère Erlina pour comprendre ce qui se tramait. Cette attitude n'avait qu'un but: maintenir une stature, une apparence, tout cela pour dissimuler, peut-être même à elle, cette autre sensation qui n'avait pas grand chose à voir avec un quelconque détachement.

▬ " J'espère bien en effet, notre histoire n'est pas achevé. " Dagda jouait, il ne fallait pas en douter, après tout il était venu ici et avait daigner attendre, cela n'était pas pour rien. Cependant il ne jouait pas avec un mensonge, son intention était véritable et ne rendait son sourire que plus amusé. Arrivé à destination, le Dieu s'arrêta au pied du muret, face à sa disciple aux inquiétudes attachantes et divertissantes. Toutes ces années, ces siècles passés à ses côtés et pourtant elle ne se lassait pas de se préoccuper de sa divine personne. Mieux encore parfois il sentait l'expression doucereuse de la jalousie avec laquelle il se plaisait à jouer il fallait bien avouer. Cependant, il prenait aussi à cœur de ne pas dépasser les frontières qui pouvaient mettre à mal cet antique pacte et cela même si il avait régulièrement trouvé le moyen de repousser ces dernières un peu plus à chaque fois. C'est pourquoi, entre taquinerie et charme, Dagda vint délicate poser ses mains sur les genoux féminins à sa portée, laissant son regard animé dans celui de son interlocutrice. " Mais ce n'est pas elle que j'ai attendu ce soir. " Brièvement notre divinité se fit rassurante, caressante avant de bien évidemment reprendre sa superbe pour aborder le fond de cette idée émergente. " J'ose d'ailleurs espérer que cette attente sera récompensée, après tout j'ai dû subir les affres de l'ennui pour ensuite me faire assimiler de simple "employé" par celle qui se faisait ainsi désirée. " La soirée ne faisait que commencer et Dagda avait décidé qu'il ne choisirait pas ses divertissements nocturnes. Après tout Erlinea était à même de s'en charger, d'autant plus qu'elle avait laissé apercevoir au moins une idée. " Alors ? " Charmeur, la divinité observait les traits délicats en quête de la teneur de son destin, plaçant tous ses espoirs en la belle.

J'esquisse un sourire joueur à la réponse de Dagda suite à ma remarque sur le bassin à poisson. Il faudrait être un aveugle sourd pour ne pas avoir compris que le dieu n'aurait assurément rien contre une forme d'intimité ce soir. Il n'est pas le seul d'ailleurs.

Néanmoins, ma curiosité me pousse à l'interroger sur ce qu'il compte faire par rapport à cette jeune femme. Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils lorsque le dieu me fait part de son souhait de la revoir. Elle a dû faire vraiment une forte impression. Mais est-ce que ce sera un intérêt fugace de la part du dieu ou cela sera quelque chose de plus long ? Impossible pour moi de me prononcer pour le moment.

Je mets dans un coin de ma tête l'information qu'il vient de me donner alors qu'il vient de se rapprocher sensiblement de moi. Malgré toutes les années que je le côtoie, je ne peux m'empêcher de réagir alors qu'il a déjà pu agir de la sorte par le passé. Il est toujours infiniment plaisant de se savoir aimé, désiré par un dieu aussi extraordinaire que Dagda. Je n'ai bien entendu pas la prétention de vouloir devenir une déesse. Ma vie actuelle me convient très bien ainsi et je ne cesserai jamais de chérir le lien que je peux avoir avec Dagda.

Légèrement hésitante car je ne sais pas comment le dieu va réagir, je me rapproche de lui. Lentement, ma main va effleurer sa joue dans un geste intime. Lorsque je le regarde, j'essaye de lui confier mes intentions. Notre relation a pris tellement de formes par le passé : meilleurs amis, fraternel... Pourtant, ce soir, je ne veux rien être de tout cela. Ce soir, s'il le désire, j'accepterai de prendre le rôle de l'amante. Néanmoins, je me garde bien d'imposer cette possibilité. Il reste mon dieu et il serait plus qu'inconcevable pour moi de m'imposer de la sorte.

-Et bien... On pourrait aller chez moi et nous faire livrer ? J'ai des connaissances qui ont de cesse de vanter un français. On pourrait peut-être tester ?

Et intérieurement, je me mets à prier pour qu'il accepte ma proposition et qu'il comprenne que ce ne serait qu'une partie de ce qu'on pourrait faire.

Barbotage et charme, peut-être que seule une divinité pouvait allier les deux. Dagda était revenu vers la belle et exposa la quête qui l'avait entraîné jusqu'ici. Il n'était pas rare que l'ennui le saisisse et il savait bien souvent y remédier par lui-même. Néanmoins, le Dieu se plaisait aussi à sonder d'autres possibilités, à placer son destin entre des mains prometteuses comme celles de Lugh, lorsque cet indigne personnage daignait se souvenir de son existence, ou bien Erlina. Et lorsque ses attentes n'étaient pas comblées la divinité n'avait guère de scrupule à reprendre les choses en main. Mais pour l'instant il n'en était pas là, non dans l'immédiat il souriait à la belle qui tentait une approche et une caresse.

▬ " Et bien... On pourrait aller chez moi et nous faire livrer ? J'ai des connaissances qui ont de cesse de vanter un français. On pourrait peut-être tester ? " Était-il nécessaire d'user de son lien pour comprendre l'inspiration de la jeune femme ? Absolument pas. C'est ainsi que, profitant de cette nouvelle proximité, les mains de Dagda glissèrent des genoux de la demoiselle jusqu'à ses hanches avec un sourire tout aussi intéressé qu'amusé.

▬ " Appelons donc ce français alors. " Le Dieu laissa alors une de ses mains s'envoler vers leur consœur qui s'était aventurée sur sa joue et qu'il attrapa pour la guider vers ses lèvres, déposant un baiser sur ces doigts fins et voyageurs. " Néanmoins, je me permettrais de garder une option sur le dessert. " Ainsi les désirs de la belle semblaient être adoptés à l'unanimité et Dagda ne tarda guère à sceller ces accords d'un baiser qu'il déposa à la commissure des lèvres délicates alors qu'il prenait un élan nécessaire à l'extraction de son corps de cette mare dans laquelle il barbotait naïvement depuis plusieurs minutes.

L'extraction dignement effectuée, la silhouette pu de nouveau se tenir debout sur l'herbe soigneusement taillée et alors que le temps se pliait pour sécher pantalon et chaussures, Dagda se pencha pour tendre une main vers la jeune femme encore au sol. Il était impossible de coller une étiquette sur la relation qui unissait ces deux êtres, les conventions humaines ne pouvaient assimiler l’existence divine alliée à l'immortelle Disciple. Heureusement pour eux, l'abolition des frontières sociales n'était plus un véritable problème pour la jeune femme qui s'était remarquable faite aux humeurs de sa divinité qui elle avait trouvé un de ces rares êtres capables d'accepter ses facettes sans lui en tenir véritablement rigueur. Une alliance qui avait tout pour être encore pérenne durant une nouvelle éternité.

▬ " Dis moi, quel était ce sujet si ennuyant dont je t'ai libéré ? " Il avait récupéré Erlina, ainsi que le sac de cette dernière avant de glisser une main au-dessus de la courbe de ses hanches pour prendre sereinement le chemin de la résidence de la demoiselle. Faisant cela, Dagda choisi de s'enquérir de cette perturbation lassante qu'il avait senti chez la jeune femme, bien avant qu'elle ne soit au courant de sa présence sur son territoire. On pourrait alors l'accuser d'une conversation badine d'un être désintéressé alors que cela n'était pas véritablement le cas. Même lorsque le sujet n'était pas passionnant, la divinité accordait toujours une oreille à la belle et à ses éventuels déboires, tous ne pouvaient pas se vanter d'un tel privilège ici-bas.

Avec une certaine satisfaction, Dagda accepte ma proposition. S'il émet une réserve concernant le désert, je la lui concède fort volontiers.

-Je suis sûre que tu sauras te montrer créatif le moment venu.

Si les humeurs de Dagda pouvaient aisément être qualifié de changeantes, les qualificatifs de manque d'imagination sont clairement loin de lui correspondre. Bien au contraire. Définitivement non. Et ce n'est clairement pas le chaste baiser que le dieu me donne qui va me détromper.

Je dois bien reconnaître que j'ai besoin de quelques instants pour reprendre mes esprits. Il est peut-être vrai que j'ai laissé divaguer légèrement mes pensées sur la suite de la soirée. Si feu le curé de ma paroisse (celui qui m'a marié il y a cinq cents ans) entendait mes pensées par rapport au dieu, je crois qu'il en aurait été foudroyé d'horreur avant de m'asperger de toute l'eau bénie qu'il a pu possédé au cours de sa vie. Maintenant que je vis depuis tant d'années,je me rends compte à quel point la vie était si peu intéressante pour une femme lorsque je suis née. En soi, devenir une disciple de Dagda a été une véritable libération avec énormément de découvertes enrichissantes. Définitivement, je ne regrette pas mon choix et je ne le regretterai jamais.

Alors que je savoure la proximité retrouvée avec mon dieu, Dagda m'interroge sur ce que je pouvais faire avant qu'il vienne me retrouver. Je lui adresse un sourire rassurant. Rassurant car je ne veux pas qu'il pense que je sois trop épuisée pour vouloir profiter pleinement de la soirée.

-Je prépare des arguments afin de procéder à un échange d'essence avec d'autres grands parcs. Cela augmenterait l'attractivité du parc avec un échange de procédé des plus intéressants.

Et un échange d'essence aurait l'immense avantage de ne pas avoir recours aux nouveaux dieux. Je trouve d'autant plus aberrants d'avoir recours à leurs méthodes alors qu'on peut interagir dans ce domaine avec des procédés ancestraux. Par contre, il est vrai que l'argent papier est particulièrement pratique comme invention, surtout quand on a vécu une très grande partie de sa vie en se baladant la bourse bien pleine au côté.

-Cela va être un travail particulièrement long car j'ai déjà repéré une ou deux essences plutôt rares mais qui serait une addition des plus appréciables pour le parc.

Je n'en rajoute pas plus de peur que l'un de mes employés m'entendent. Si je parviens effectivement à obtenir ce que je veux, ce serait absolument magnifique. Mais cela nécessite une certaine discrétion.

-Et toi ? Cela a été à l’hôpital hormis cette rencontre ?

Je pense que de nous deux, c'est sûrement lui qui doit exercer le métier le plus à risque. Après, je me garderai bien de préciser de quels risques il s'agit...