Janvier 2020

Les fêtes de fin d’année avaient été extrêmement longues, un peu comme chaque année. Habituellement, Hope faisait partie des volontaires pour être de service la veille de Noël ainsi que le jour de Noël. Depuis la disparition de ses deux parents, les fêtes familiales n’avaient plus du tout le même attrait ni la même raison d’être aux yeux de la brune. D’un point de vue externe, il y avait un gros avantage à cela. Le budget cadeaux chaque année était des plus allégés. Elle n’avait même jamais songé à se faire un petit plaisir rien que pour elle, à utiliser ce moment pour s’offrir ce dont elle avait envie. Elle ne le faisait pas non plus pour son anniversaire. A vrai dire, depuis la mort de ses parents, son argent dormait sur un compte, ayant pu grâce à son héritage s’acheter son appartement. Depuis des années elle vivait avec le minimum et quand enfin elle avait trouvé un bonne raison d’utiliser ses fonds, cela lui avait valu une engueulade monumentale avec son ancien meilleur ami. Cherchant à mettre son temps libre à contribution, elle n’eut finalement pas le coeur de se rendre serviable au point de devoir faire passer un bon moment aux autres alors qu’elle affichait que très difficilement un sourire sur son visage. Aussi avait-elle fini par rester seule dans son appartement sans aucune décoration. Le soir du réveillon, elle le passa dans son canapé, à boire une bouteille de vin rouge, un grand cru que son père avait dans sa cave, devant un feuilleton de Noël à l’eau de rose qui lui rappelait si bien le fait que les contes de fée n’existaient que dans les fictions.

L’amour résonnait dans son esprit avec le terme souffrance. Avoir des émotions pour une personne, c’était lui donner la possibilité de lui faire du mal. Toutes les personnes pour qui elle avait éprouvé des sentiments d’affection l’avaient fait souffrir, involontairement la plupart du temps. Mais la dernière déception en date n’était pas involontaire, ce n’était pas l’impression qu’avait la belle brune. Melchiah lui avait collé aux baskets quasiment chaque soir, souhaitant l’aider d’après ses dires lors de ses expéditions nocturnes. L’avantage certain c’est qu’elle avait un dieu invincible à ses côtés si jamais cela tournait mal. Mais au départ, elle avait eu peur qu’il ne s'immisce dans ses affaires personnels, qu’il mette le nez dans ses enquêtes officieuses et même dans sa vie tout court. Seulement cela ne fut pas le cas et très vite, ils firent équipe de manière naturelle, sans vraiment se mettre d’accord, à force que le cardiologue s’impose à sa nouvelle partenaire. Sa présence était devenue normale et n’influençait plus ni le comportement ni le coeur de la jeune femme. Il y eut certains soirs où ils discutaient autour d’un verre, cherchant à en savoir plus sur les dieux par son biais. Mais cela ne dura pas. Bien vite, Hope se renseigna de son côté, ayant l’impression de déranger, de l’obliger à se remémorer des choses qui ne lui étaient pas agréables ou du moins qui ne l’étaient plus.

Une chose était certaine, l’entendre parler de Nanna, son épouse disparue, donnait presque envie de croire que le grand amour existait. Mais c'était aussi une preuve supplémentaire que la souffrance naissait des sentiments. Et alors, une semaine tout au plus avant Noël, il avait franchi ce dernier pas une fois de plus. Ils étaient rentrés de leur escapade, un peu égratignés. Enfin, évidemment, seule la brune était égratignée. Ils avaient bu un coup et de fil en aiguille, elle s’était retrouvée ses lèvres contre les siennes, échangeant un doux baiser qui attisa bien vite plus d'envie qu'autre chose. Mais la lieutenante avait une règle d'or : ne pas avoir de relations intimes avec une personne de son entourage professionnel. Et à présent, Melchiah rentrait dans cette catégorie aussi lui mit-elle un olà. Elle lui expliqua à quel point elle pensait que c'était une mauvaise idée et finalement, le cardiologue rentra chez lui.

Ce qui était sûr, c'est que le dieu était changeant à un point qui perturbait clairement la jeune femme. Alors pendant plusieurs jours où ils ne se virent pas, cela fit mal. Elle ne pensait pas qu'il garderait ses distances de la sorte par la suite. Avait-elle des regrets quand au fait de ne pas avoir cédé ? C'est une question qu'elle se posa pendant quasiment toute la durée des fêtes de fin d'année. La distance qui se creusa entre eux naturellement, jour après jour, ne la surprit plus avec le temps. Plus les jours passaient et moins elle ressentait l’envie de le voir, craignant qu'il ne lui en veuille d'avoir eu peur. Bientôt elle reprendrait le travail et pourrait se noyer sous les dossiers qu’on lui confierait. Elle n’avait pas perdu ses bonnes habitudes et continuait de s’entraîner tous les matins avant même que le soleil ne soit levé à cette période de l’année. Le sommeil n’avait jamais été réellement son truc et c’est ce qui lui avait toujours permis d’éviter les lendemains matins avec les hommes d’un soir, les rares qu’elle avait eu. Cela faisait un moment que cela n'était pas arrivé à vrai dire. Durant les jours de solitude, alors qu'elle songeait au pourquoi de sa décision, elle ne trouvait plus une réponse unique à la question.

Ce matin là, elle avait fait son entraînement comme à son habitude, se moquant éperdument du fait qu’elle allait avoir des examens de contrôle en fin de journée. Son médecin allait finir par ne plus avoir de cheveux tant elle lui faisait du soucis en écoutant son corps plutôt que les conseils avisés du spécialiste. Elle avait repris une activité physique bien plus vite qu’il ne lui aurait recommandé. Mais ça avait été bon. Il n’y avait aucune séquelle liée à sa commotion cérébrale et la plaie de son abdomen s’était bien refermée même si elle avait laissé une cicatrice à la belle. Sur le chemin qui la menait à son rendez-vous, elle attrapa un café au Moon & Star. Ce qu’elle avait appris sur la propriétaire des lieux ne l’avait pas repoussé, au contraire. Si elle craignait cette nouvelle vérité, sa curiosité maladive était toujours bien présente. Une fois les tests passés, alors qu’elle allait sortir du bâtiment, espérant ne plus y remettre les pieds avant un long moment, elle entendit des infirmières parler de la collecte de fonds qui était en train de s’y dérouler. A priori le docteur Valeyard était donné grand gagnant à l’avance et elles regrettaient que cela soient ses derniers jours. Intriguée par cette dernière remarque, ses pas la menèrent sans qu’elle n’ait pris le temps d’y réfléchir plus longuement au lieu de la réception, une petite brasserie qui ne payait pas de mine. Franchissant la porte, elle découvrit rapidement où se trouvait le dieu nordique dont la jolie voix arrivait jusqu’à ses oreilles. L’homme qui était sur scène était séduisant certes, mais il y avait également ce charme attractif, cette aura divine qui agissait et maintenant qu’elle en était consciente, il était d’autant plus facile de voir l’impact que cela avait sur les personnes présentes, d’autant plus les femmes. Alors qu’un serveur venait lui demander si elle souhaitait boire quelque chose, Hope se rendit compte qu’elle n’avait rien à faire là.

Non merci je vais repartir.

Les applaudissements s’élevèrent dans la salle alors que la jeune policière était en train de tourner les talons pour franchir la porte dans l’autre sens.

Janvier 2020


Pourquoi diable sa curiosité la menait-elle toujours dans des situations délicates ou dangereuses ? Le simple fait d’avoir entendu ces infirmières parler du fait que le docteur Valeyard allait remporter la première place à un karaoké pour une oeuvre de charité l’avait poussé à venir ici. Elle avait également entendu dire qu’il semblait être sur le départ. Evidemment, ne s’étant pas vu depuis un certain temps, la belle n’avait pas échangé sur ce point avec lui. Est-ce qu’il était possible qu’il la fuit ? La lieutenante chassé immédiatement cette idée stupide et impossible. Avait-il retrouvé trace de sa chère et tendre ? Après l’avoir entendu parler de Nanna plusieurs fois, la jeune femme avait eu la sensation de redevenir plus jeune, de retourner dans la peau de cette adolescente plate comme une planche à pain qui aimait s’évader à travers la lecture et souvent à travers des romans d’amour, un peu à l’eau de rose. Elle n’avait pas été capable de remettre sa parole en cause rien qu’une seconde parce que sa voix, ses mots, son attitude, tous transpiraient l’amour pur, le bonheur et surtout, le manque de l’autre. Elle qui fuyait sans arrêt l’amour sous toutes ses formes : amitié, famille, véritable amour, elle était incapable de ne pas voir l’évidence même. Seulement, elle craignait, redoutait même ce sentiment bien trop fort et bien trop douloureux par moment. C’était de ses sentiments pour ses parents qu’était née la souffrance de les avoir perdu. C’était l’importance qu’elle accordait à Amos qui la faisait se triturer l’esprit chaque jour depuis ce fameux soir de Septembre où il lui avait avoué avoir tenu en prison en pensant à elle. Cette histoire n’avait cessé de la travailler, de lui accaparer l’esprit jusqu’à dans son inconscient au cours de ses courtes nuits. La brune n’avait pas revu son vieil ami depuis les événements du 1er Octobre où il s’était interposé pour la protéger. Et clairement, ça la rongeait au quotidien, même si elle ne voulait pas se l’avouer parce que le jeune homme comptait bien plus à ses yeux que ce qu’elle voulait bien penser.

Cachée dans la foule, la lieutenante n’avait plus qu’une idée en tête, tourner les talons et prendre le large. Seulement Melchiah fut plus rapide qu’elle. Il semblait n’avoir quitté la scène que depuis une seconde à peine et pourtant, il était déjà là, face à elle, lui soufflant de simples mots qui pourtant avaient déjà le don de l’énerver. Ce qu’elle avait découvert vis à vis des dieux grâce à la gérante du Moon & Stars Coffee ne l’avait pas ravi, bien au contraire. Le dieu nordique s’était envolé, la laissant seule face à ceux du même acabit que lui qui avaient des intentions bien moins honorables. C’était Mercy qui lui avait expliqué les risques inhérents à sa connaissance de l’existence des divinités. Elle le suivit sans savoir trop pourquoi. La brune n’attendait pas grand chose de cet échange à part une prise de tête quasi certaine. Alors qu’elle atteignit la table, une serveuse vint apporter un verre et une serviette griffonnée au médecin, chose qui fit rapidement lever les yeux à la belle. S’installant dans le coin de la salle, pouvant ainsi voir tout ce qu’il se passait dans le bar, la serveuse lui demanda si elle souhaitait boire quelque chose, proposition qu’elle déclina poliment avant de déposer sa veste sur le dossier de sa chaise et de s’y adosser, plantant son regard océan au fond des prunelles similaires de son interlocuteur.

Je ne suis pas certaine que cette conversation va réellement nous servir.

Laissant le dieu nordique boire un peu le contenu de son verre, Hope en profita pour regarder les environs. Elle se remémorait en même temps les nombreuses soirées qu’ils avaient passé ensemble au cours des derniers mois. Pourquoi n’avait-il pas commencé par tous les aspects négatifs afférents à cette découverte ? Pourquoi lui avait-il la vérité aussi simplement et facilement en sachant ce qu’elle allait risquer par la suite ? Il y a quelques mois de cela, elle n’aurait pas vu les choses de la sorte. Mais à présent, bien qu’elle avait tout fait pour ne pas s’attacher plus que nécessaire à qui que ce soit, Amos était revenu dans sa vie et elle ne souhaitait qu’une chose : l’aider à aller de l’avant. Niant au plus profond d’elle le fait qu’elle puisse tenir à lui plus qu’elle n’était capable de se l’avouer, il était la chose la plus importante dans sa vie depuis quelques mois, ne cessant de s’inquiéter de son manque de nouvelles.

Avec les recherches que j’ai fait, j’ai vite pensé que certaines choses avaient existé mais n’étaient probablement plus d’actualité. Seulement, j’en ai rencontré une qui m’a au contraire affirmé que tous les actes ignobles dont certains d’entre vous étaient capables étaient toujours réels et pire … acceptés par les autres. Comment as-tu pu juger bon de me laisser dans une telle ignorance pendant plusieurs mois ?

Les prunelles azurées étaient sévères. La colère qui grondait au fond d’elle était réelle. Des risques, Hope en prenait au quotidien dans son métier, même si actuellement elle était en arrêt. Pour autant, elle ne s’était jamais mesurée à des personnes qui ne jouaient pas dans la même catégorie, qui ne respectaient pas les mêmes règles physiques. Savoir que sa pile de dossiers irrésolue ne ferait probablement que grandir à cause des divinités qui réduisaient à l’esclavage ou sacrifiaient des hommes l’enrageait. C’était d’une injustice sans pareille et tout ça pour … leur survie millénaire ? Il était peut être temps de laisser la place aux autres.