Thaddeus avait toujours eut horreur du froid. D'une humeur maussade, il s'était revêtu d'un épais chandail à col roulé qui suffisait à peine à le réchauffer. Les temps actuels devenaient de plus en plus durs pour les dieux, réduits à errer parmi la population, en quête de croyants qui se faisaient de plus en plus rares. Et ce début de printemps, loin de l'aider à un regain d'optimisme, ne faisait que le plonger un peu plus dans la mélancolie. Au volant de sa vieille voiture, une véritable antiquité, il s'était rendu au garage le plus proche, sans se soucier des coups de klaxon et des hurlements de frein des autres véhicules, ni des conducteurs hystériques qui lui hurlaient dessus. A vrai dire, il ne les entendait même pas. Thaddeus se fichait bien du code de la route, il roulait allègrement sur les trottoirs, prenait les sens interdits et passait systématiquement au rouge. Il collectionnait également les contraventions, mais heureusement il avait un très bon avocat.

Quand il sortit de voiture, il dût attendre un bon moment avant qu'un mécano ne daigne enfin s'occuper de lui. Quelle ne fut pas sa surprise quand il vit arriver une jeune femme blonde, fort courtement vêtue, qui fit le tour de sa voiture, visiblement émerveillée par la machine. Sans l'interrompre, Thaddeus attendit, la laissant admirer sa voiture pendant que lui-même admirait ses courbes. Ainsi, chacun avait quelque chose à observer. Quand elle retourna son attention vers lui, il ne pensa pas à lui rendre son sourire, conservant une mine impassible et quelque peu rêveuse.

- Merci, répondit-il d'une voix suave. Vous êtes sublime, également. Bien que je me demande comment vous faites pour survivre à un tel froid en étant si courtement vêtue. Je ne m'en plains pas, ajouta-t-il, un sourire plissant ses yeux en amande.

Thaddeus retourna son attention sur la voiture avant de reprendre.

- Savez vous que les machine ont une âme ? Je pense que Josepha a le vague à l'âme. C'est son prénom, précisa-t-il, en effleurant la surface métallique du bout des doigts. Que peut-on faire contre ça, à votre avis ?

Tout était une question de confort évidemment mais Dionysos était un dieu de feu et c'était peut-être la raison pour laquelle, il aimait tant se prélasser au soleil. Mais aujourd'hui, il ne faisait pas assez chaud pour lézarder, malheureusement. Pourtant, pour cette mécano, le temps avait l'air assez ensoleillé à son gout. Bizarre. Il hocha doucement la tête à ses commentaires.

- Il faut croire que je suis frileux. Et quel est votre pays d'origine ? Demanda-t-il poliment avant de retourner son attention sur la voiture.

Thad s'était attendu à voir arriver un gros bonhomme moustachu aux mains caleuses et recouvertes de cambouis, alors forcément cette jolie blonde ne correspondait pas trop à l'image qu'il avait en tête. Pourquoi ? Parce que les jolies filles qu'il connaissait n'aimaient pas se salir les mains, habituellement. Mais au vu de son sourire ravi, celle-ci avait l'air de beaucoup apprécier les belles machines.

- Oh je comprend. Se pourrait-il qu'elle se sente délaissée ? Il m'arrive souvent de marcher à pied, alors peut-être qu'elle s'ennuie, seule dans son garage. A la fois, je ne voudrais pas la fatiguer.

Il la regarda faire le tour de la voiture avant de hocher la tête.

- Vous voulez regarder sous les jupons de Josepha ? Bon soit, après tout c'est pour son bien.

A la demande de la mécano, il avança donc la voiture jusqu'à la plateforme un peu plus loin. Une fois arrivé au bon endroit, il sortit de voiture et vit la jeune femme le rejoindre, visiblement admirative de la bonne tenue de la Chevrolet.

- J'en suis très fier, je l'admets, affirma-t-il sur un mince sourire. Comme je vous l'ai dit, elle roule peu, nous sortons une ou deux fois semaine, pas plus. Ça fait très longtemps qu'on est amis, elle et moi.

Evidemment, il n'allait pas lui avouer qu'il en avait fait l'acquisition l'année même de sa construction, en 1929. Dire qu'à l'époque, cette machine était à la pointe de la modernité, alors que maintenant, elle faisait figure d'antiquité... Mais Thad n'avait aucune envie d'en acheter une nouvelle, il aurait trouvé horrible d'abandonner cette pauvre voiture sous prétexte qu'elle était vieille, ça lui aurait brisé le cœur.

- Merci, dit-il en offrant un regard attendri à sa voiture avant de retourner son attention sur la mécano. C'est naturel de prendre soin de ceux qu'on aime, non ? Pourtant, je ne m'y connais pas du tout en mécanique. Bien-sûr, je choisis toujours les meilleurs garagistes pour prendre soin de Josepha mais... le précédent a pris sa retraite.

Une façon moins dramatique pour dire que le vieil homme était mort de vieillesse. C'était un de ses croyants, un vieillard charmant qui adorait le bon vin. Il ne se souciait pas du fait que Thaddeus ne vieillissait pas et ne changeait pas au cours des années.

- Vous comptez rester longtemps à Philadelphie ?

Si c'était le cas, il pourrait éventuellement l'embaucher de manière beaucoup plus régulière. En espérant qu'elle aime le vin, elle aussi.

- Quel est votre nom ?