ft. Pedro Pascal
♆ Enveloppe charnelle ♆Âge : 45 ans
Date et lieu de naissance : Le 2 avril 1928, à Santiago, au Chili
Lieu de résidence actuel : Un petit appartement à Philadelphie
Occupation : Fraîchement débarqué à la « City of brotherly love », il s'essaie à être brocanteur. Il est aussi un diseur de bonne aventure du dimanche. Ce sera un début. La légende veut qu'en Amérique, on peut tout devenir, de toute façon...
Orientation sexuelle : Hétérosexuel
Situation matrimoniale : Célibataire. Il y a longtemps qu’il a perdu la trace de sa compagne originelle. Et puis, l’éternité est trop longue pour n’être passée qu’avec une seule personne.
Nature : Dieu
Dieu incarné/créateur/vénéré :Xiuhtecuhtli, dieu associé au feu, à la chaleur, aux volcans. Au temps. À l’idée de la vie après la mort. De la lumière dans les ténèbres. On l'associe aussi parfois aux marchands.
Panthéon du dieu : Aztèque
Alliance : Indépendant
Rôle au sein de Sanctum : Aucun
Pouvoir(s) :Donde hay humo, hay fuego ~ Il peut contrôler et intensifier la fumée qui se trouve près lui. Ce pouvoir, dans son effet maximal, peut emplir les poumons d’un ennemi et l'asphyxier, mais il lui arrive plus souvent désormais de s’en servir comme écran pour se dérober.
Compléments *Ce qui explique, par la bande, pourquoi il a cette vilaine habitude d’avoir une perpétuelle cigarette au bec. De nos jours, cependant, il n’est peut plus possible de fumer à sa guise dans les lieux publics, ce qui l’agace au plus haut point.
Piromancia ~ Par l’observation attentive de feux rituels, il arrive à entrevoir un peu du passé, du présent et de l’avenir dans la danse des flammes. Notons que l’usage de sacrifices comme matière combustible amplifie l’acuité de la divination.
Compléments * À son grand dam, ses prédictions sont de plus en plus floues (étant donné que les sacrifices humains sont désormais vivement réprouvés en société). En général, il arrive à voir quelques années dans l’avenir ou dans le passé par le respect de rituels stricts. Par désir de fantaisie, il aime coupler l’usage d’autres méthodes divinatoires pour parfaire son effet.
Xiuhcoatl ~ Il arrive à convoquer Xiuhcoatl, un serpent de feu, qui peut s’avérer un animal de compagnie utile lorsqu’il s’agit de déclencher des incendies. Sous l’influence de son maître, il laisse de longues trainées de flammes dans son sillage avant de disparaître.
Compléments * Xiuhcoatl, c’est un peu l’as dans sa manche de León auquel il fait appel en dernier recours et qui lui nécessite beaucoup d’énergie. Le serpent ne peut être invoqué que pour une durée limitée et une fois par jour au grand maximum.
Point faible : Xihuitl ~ La source de son pouvoir demeure la turquoise. Pour espérer accéder à sa pleine puissance, il lui faut en permanence un talisman en cette matière tout contre sa peau. Plus c’est massif, mieux c’est.
Compléments * Symbole du feu chez les aztèques, cette matière lui demeure primordiale, mais, en toute franchise, il se sait un dieu ancien qui vivote et qui s’éteint peu à peu. Fumer cigarette sur cigarette, les feux de foyer, les journées caniculaires le réconfortent et l’aident également à accéder à son essence divine. Cependant, il s’efforce de le cacher.
♆ Mythes et légendes ♆Orgueilleux ♆
Volontaire ♆
Roublard ♆
Énigmatique ♆
Indépendant ♆
Chaleureux ♆
Sanguin ♆
Charmeur ♆
Observateur ♆
Individualiste ♆
Dissimulateur ♆
Formaliste ♆
Téméraire♆
Un hurlement qui déchire l’air, atteint le sommet du ciel, là, sur la montagne Huixachtlan. Une supplication à l’adresse de ces étoiles indifférentes, cette constellation nommée « La bâton de feu», dont l’arrivée à cet endroit précis de la voûte céleste a sonné le glas du prisonnier sacrifié. Sa cage thoracique ouverte, offerte aux prêtres et à l’assistance. Son cœur arraché, pour qu’on puisse faire naître un feu en lui. Faire de son corps mutilé un brasero pour satisfaire les dieux et pour empêcher la mort du Soleil. Ce sort, cet homme ne l’a pas mérité, mais le cycle de cinquante-deux années s’est achevé et les traditions doivent être respectées. Grâce à lui, le monde revit.Il existe une poésie inhérente à ce rituel, à la Cérémonie du feu nouveau, mais tu vas sans doute trouver cette observation d’un goût douteux. Sache que pour le meilleur et pour le pire, on a tendance à romantiser les époques révolues. Et, pour moi, les années dorées de l’empire aztèque, c’est celle de mes premiers siècles. De mon enfance, en quelque sorte, même si j’ai souvent été représenté sous les traits d’un vieil homme. Huehueteotl. Un Abuelito. Le décorum de cette cérémonie et ses rites, c’était en grande partie mon idée, même si je n’étais pas l’unique jubilé de cette fête. C’était aussi l’occasion de porter aux nues Huitzilopochtli et Tlaloc. Non, en fait, ce que je tiens à ce que tu comprennes, c’est ce que le feu signifie pour toi. Le feu, c’est la destruction, la Mort, bien sûr. C’est ce qui t’asphyxie, couvre ta chair de cloques, te lèchent la peau jusqu’à te tuer. D'indénombrables cités et forêts ont péris sous l’assaut des flammes. Je ne t’apprends rien. Il s’agit, pourtant, aussi de la Vie, la transformation. Du renouveau couvé au creux des cendres et de la braise. Tu le sais aussi, ça. Ne me mens pas, je sais combien tu aimes le feu de foyer, sa chaleur salvatrice au sein des nuits froides. Sa lumière et sa danse dans les ténèbres, ses chuchotements tout en crépitements, qui t’apaisent et t’hypnotises. Tu lui dois beaucoup au vieux Tío Fuego…
Je ne m’éterniserai pas là-dessus, cependant. Je ne place pas des espoirs fous en l’humanité, à vrai dire, mais j’ai compris que vous détenez bien assez de sagacité et d’amour pour le symbolisme. Le feu, vous vous l’êtes universellement approprié par votre science et vos mythes. Tu comprends donc sans doute déjà toute la dualité de ma nature. Pense ce que tu veux, mais les aztèques, en tout cas, eux, l’ont bien compris. Je suis forcé d’admettre que je n’ai jamais été aussi fort et vigoureux que sous leur gouverne. Aujourd’hui, c’est différent. Et… Une partie de moi ne se remettra jamais de ce qui leur ait arrivé. Avec ce bâtard de Cortés et tout le reste. Tout, tout le reste. Mais... voilà… Les hommes de mon âge traînent beaucoup de sales blessures, en général. Je dis ça sans réelle amertume. Je me suis fait une raison. Así es la vida.
Pour ma part, depuis leur déclin, je continue à me débrouiller comme je peux. Ici et là. Bien que le monde m’oublie, je subsiste à petits feux, dans les trois Amériques. Tu n’as pas fini d’entendre parler de moi, mano... Mon crépuscule est là, je le sens dans mes os, mais la nuit ne m’a pas encore avalé. Crois-moi, je peux encore incendier le ciel. Livrer un feu d’artifice de tous les diables.
Alors, un conseil : ne t’approche pas de trop près…
***
Mexique, 1915 ~-Je ne pensais pas te revoir de sitôt. Tu as du cran d’être venu me débusquer, ici, pícaro. Comment m’as-tu trouvée?
Les mains en l’air en signe de reddition, l’homme soupira, mit un instant avant de répondre :
-Tu connais mes méthodes. J’ai interrogé les flammes, elles m’ont indiqué ton emplacement, mais, au fond, je ne suis pas du tout surpris de ta présence près de Culhuacán. Un peu de déduction aurait suffi.
La femme le scruta par-dessous son chapeau à large bords, la mine sévère. Avec une lenteur circonspecte, elle releva le canon de son colt et l’appuya sur son épaule sans cesser de jauger l’intrus qui s’était aventuré sur sa propriété, une vieille chapelle abandonnée, bordée de tombes effritées. Elle savait entretenir son sens de la mise en scène.
-Et puis, j’ai vu le portrait que José Guadalupe Posada a tiré de toi, poursuivit-il. C’est joli, ça m’a plu, et j’ai eu envie de savoir ce que tu devenais. Juste pour pouvoir prouver aux racontars qu’ils ont tort de croire que
La Calavera Garbancera renie ses origines.
-Je vois... D’accord, viens.
Ils étaient assis de part et d’autre d’une table bringuebalante, dehors, derrière la chapelle. Dans le cadre de ces retrouvailles impromptues, pour faire bonne mesure, ils avaient posé quelques victuailles de misère entre eux. L’hôtesse avait aussi placé son magnifique chapeau orné de fleurs opulentes à sa gauche et son arme en fer blanc, chargée d’une menace à peine voilée, à sa droite. Pour cette incarnation, Mictecacihuatl avait choisi l’apparence d’une femme osseuse au teint blafard et aux grands yeux de velours noir, presque perdue dans sa robe étriquée et son large châle aux milles couleurs. Prudent, son invité l’observait derrière la fumée de son cigare. Drapée dans son élégance tapageuse, vaguement ironique, il se surprit à la trouver plus belle que jamais.
-Je n’ai rien renié de mes origines, mano, tu le sais bien. Je me transforme. C’est différent. Et puis, ne fais pas l'hypocrite, regarde-toi à me parler dans la langue des conquistadors...
-Je sais, je sais... De nous tous, tu es sans doute celle qui s’en tire le mieux, en plus. Ce nouveau siècle semble t’aller à ravir.
-La révolution menée par Villa, Zapata et les autres m’arrange, oui…, concéda son interlocutrice. Elle contribue, au moins, à me donner un second souffle. À refaire mon image. Et ce n’est qu’un début.
-Hum…Il fallait bien la Reine de la Mort pour se réinventer et renaître comme tu l’as fait, n’est-ce pas? Je suis impressionné. Et jaloux.
Vive, elle lui arracha soudain son cigare des mains et se rabattit avec désinvolture contre le dossier de sa chaise. Elle porta le rouleau de tabac à sa bouche, puis expira de lourdes volutes par-delà un rictus grinçant, sans lâcher l’homme des yeux.
-Embaucador, va… Viens-en aux faits. Qu’est-ce que tu veux, exactement?
Il garda le silence et soutint son regard, répugnant à exposer si vite ses motifs au grand jour. Après un instant, lasse, l’hôtesse coiffa son chapeau, rengaina son revolver, puis s’éloigna de quelques pas, en direction d’une stèle.
-Tu sais ce que, moi, j’ai entendu? poursuivit-elle. Des racontars soutiennent que tu vivotes et tu t’éteins, mais que tu te prépares pour un exil. Un voyage initiatique ou je ne sais quelle chimère, dans les profondeurs de l’Amérique. Le feu ne me fait aucune confidence, mais, crois-moi, j’ai quand même mes sources… Tu n’es pas aussi mystérieux que tu le voudrais.
-Je compte me diriger vers la Terre de Feu. Tout au sud. C’est là que je désire aller, au moins pour le reste du siècle. Ici, tout ce que j’arrive à discerner dans les flammes, c’est toi, désormais. La Mort.
-Ah! Tu viens quémander un sursis, alors? siffla t-elle. Tu veux que je ferme les yeux pour que tu puisses filer? Tant de mortels ont tenté de marchander avec moi. Toi, un être de ton rang, tu t’abaisses à ça?
-Je… Non, tu ne comprends pas. Je ne cherche pas à me défiler, au contraire, se défendit-il. Avec précipitation, il abandonna sa place, vint la rejoindre dans l’herbe.
À son approche, les panaches de fumée se mirent à gonfler autour de l’hôtesse, s’enroulèrent comme de lourds boas languides autour de son cou, son buste et ses hanches. D’humeur gouailleuse, elle laissa faire, impassible.
-Non, plutôt, ce que je voudrais te proposer, c’est d’unir ta force à la mienne. Juste pour un instant. Nous avons souvent marché main dans la main. Nous sommes porteurs des mêmes idéaux, du même héritage. La vie, la mort, le renouveau. Le sang et les flammes… Avec toi, rien ne m’arrêtera jamais.
Les yeux profonds de la femme s’illuminèrent, elle esquissa un sourire doux, complice.
-C’est vrai que nous sommes capables de former un fier tandem, toi et moi. J’ai toujours apprécié travailler avec toi.
-Alors, je t’en prie, viens avec moi, Calaverita…,souffla-t-il, poussant l'audace jusqu’à la prendre par la taille et à la ramener tout contre lui.
Même gorgé de fumée, l’air entre eux sembla crépiter au creux de leur étreinte. Pour elle, en cet instant, il aurait tout donné. Sans arrière-pensée. Avec une sorte d’hésitation revêche, la Dame effleura des doigts la joue du Tío, descendit la main jusqu’à son torse pour poser la paume à plat contre son cœur. Elle effleura ses lèvres des siennes, puis commença à appuyer, ses ongles comme des serres contre sa chair.
L’homme frémit avec violence, comprit que le piège venait de se refermer sur lui. Elle lui offrit un sourire tout en dents, ricanant. Il échoua à se dégager, son regard magnétisé par les orbites d’un noir abyssal de Mictecacihuatl.
Jamais il ne parvint à départager la part de réalité et celle d’illusion de cet instant. Pourtant, dans les affres de cette petite mort, il sentit les doigts de squelette de la Dame pénétrer la peau de sa cage thoracique et se refermer sur son cœur. Elle l’embrasa tout entier pour qu’il éclaire la nuit. Pour elle seule. Il aurait voulu hurler.
-Je ne me joindrai pas à toi. Pas cette fois. Merci pour l’offre, mais tu auras remarqué que je me débrouille bien mieux toute seule. Adiós, Tío del fuego. Xiauh ica cualtzin.
Lorsqu’il revint à lui, la Dame ne se trouvait nulle part et l’avait abandonné au milieu des tombes. Il passa une main sur son visage et avisa un cigare écrasé sur le sol, à quelques pas. Par réflexe, il plongea les mains dans les poches de son veston et s’empressa d’en allumer un nouveau. Là-haut, malgré l’aube naissante, les étoiles composant le « bâton de feu » s’échinaient encore à briller. Sans davantage de cérémonies, satisfait de s'essayer à une nouvelle vie, Xiuhtecuhtli prit la direction du Sud.
***
Chili, 1973 ~Pendant plusieurs années, il avait ratissé l’Amérique Centrale, puis celle du Sud. Son culte moribond, il tentait d’en entretenir distraitement les braises, plus désireux de se consacrer à son périple que n’importe quoi d’autre. Sa figure existait sous quelques variantes dans différentes religions locales, de sorte que, sur la route, il s’adressait parfois à des convertis. Il détenait des attributs et des noms différents selon les lieux, mais ça suffisait pour qu’il subsiste aux dépens de fidèles qui n’y voyaient que du feu. Son projet de joindre la Terre de Feu n’avait été, pour l’essentiel, qu’un prétexte pour partir. Une part de lui-même soupçonnait pouvoir trouver là-bas une fontaine de jouvence, une sorte de puit de magie capable de revigorer une entité telle que lui, mais il abordait sa propre hypothèse avec circonspection. Ses feux rituels, à la manière d’une boussole, lui avaient simplement murmuré de prendre la direction la plus australe possible. En outre, un condor venu du nord s’apprêtait à étendre son ombre sur cette partie du monde. Il ne voulait pas rater le spectacle.
Au bout du compte, au cours des dernières décennies, il avait donc surtout couru les événements d’origine humaine propres à faire trembler les terres et les îles. Il avait exécuté un long arrêt sous le chaud soleil des Caraïbes, à jongler entre la République Dominicaine et Cuba. Dans une politique personnelle de non-intervention d’abord, entre de longues taffes de cigares havanais, il avait observé les débordements des gouvernements Trujillo et Batista, puis, ulcéré, il avait pris le parti des sœurs Maribal, du Che et consorts. À sa manière. Il n’était, certes, pas parvenu à faire pencher la balance de l’Histoire, mais il avait cumulé les victoires et méfaits. En vieux roublard, un peu trop chanceux et bien informé pour être tout à fait honnête. Semant des incendies pour contrer les revers de fortune. Lorsque les révolutions s’étaient résorbées (ou, en tout cas, lorsque les idéaux s’étaient butés à un mur un trop grand), il avait mis le cap ailleurs pour, enfin, atteindre le Chili.
Ainsi, il évoluait à Santiago depuis trois ans, ayant élu domicile dans un logement anonyme de la capitale. Une femme d’ascendance mapuche, habitée par un esprit
pillan, avait fini par le repérer dans les rues, un soir de printemps, et avait proposé une alliance. Il s’était prêté au jeu de bonne grâce, pour faciliter son intégration à sa nouvelle terre d’accueil. Sans s’en rendre compte, au fil de leurs échanges, il se prit aussi d’affection pour elle. Rosalinda Muñoz s’avérait une alliée précieuse, pleine de ruse et de vivacité. Journaliste et activiste politique de gauche, elle arpentait les rues, demandait des comptes aux autorités chiliennes et remplissait des fonctions traditionnelles de
machis lorsque personne ne regardait. Non dénuée d’humour et dotée d’un goût certain pour la provocation, elle avait inscrit la citation « la religion est l’opium du peuple » au-dessus de son espace à prières, jugeant que l’humanité n’en était à une contradiction près. Malgré l’offre, trop fidèle à ses matriarches ancestrales, elle avait refusé de devenir disciple de Xiuhtecuhtli, mais, par grandeur d’âme, elle lui réservait souvent quelques offrandes (surtout du tabac) pour lui faire plaisir. En retour, il s’empressait de lui accorder ses bonnes grâces aussitôt qu’elle le demandait. Ce partenariat heureux, proche du concubinage, durait depuis un temps. Cependant, il savait que l’enfer ne tarderait pas à s’ouvrir sous leurs pieds. Il avait vécu bien assez de temps politiques troubles pour le sentir dans l’air. Tout bouillonnait autour de lui et il répétait sans cesse à Rosalinda des avertissements, incapable de suivre son propre conseil et de déserter. Et puis,
Tanquetazo, la tentative de coup d’état survenue en juin, annonçait déjà les couleurs. La journaliste le savait et, fidèle à elle-même, elle aiguisa ses lames avec méthode.
Pourtant, comme tant d’autres, elle devint une
desparecida, avalée par le régime d’un général parvenu.
***
-Quelques gris-gris en turquoise, un assortiment de cigares cubains de luxe et aucun papier. Mais je parie que tu n’es pas vraiment d’ici, weón. Hein? T’es quoi? Péruvien? Bolivien? Sache que même si tu es un étranger, à moins d’être Américain, personne ne pourra rien pour toi.
En silence, le prisonnier et le représentant des
Fuerzas Armadas s’affrontèrent du regard.
-Surtout que t’as une gueule d’Indien, acheva le geôlier avec mépris.
L’interrogatoire commençait à peine, caché dans les entrailles du stade de soccer improvisé en prison par le nouveau gouvernement. Au même titre que bien d’autres, le captif avait été raflé à la suite du coup d’état du 11 septembre, mené par Pinochet. Parfois, dans les corridors où on le traînait de force, il discernait un chant dissident entonné à plusieurs voix, les coups d’une fusillade, puis le silence. La musique d’un massacre. D'exécutions sommaires.
Une parcelle de lui, secrète, jubilait de se retrouver à nouveau aussi immergé dans le feu d’action. Même en aussi mauvaise posture. À vrai dire, il s’était laissé piégé. On lui avait confisqué ses talismans, porteurs de sa force, mais il s’appliquait à donner une expression de total stoïcisme.
-On te sait acoquiner à Muñoz, annonça le soldat. Cette garce de journaliste qui n’avait rien de mieux à faire que de rêver de communisme. Une marxiste-léniniste, c’est ça…? Tu parles!
Il attrapa son otage par les cheveux. Menotté à sa chaise, le visage déjà tuméfié, il se trouva bien en mal de répliquer, mais il se retint tout juste d’esquisser un rictus arrogant.
-Culiao! Tu la suivais dans ses réunions du
Movimiento de Izquierda Revolucionaria dans l’espoir de te la taper, c’est ça? Donne-moi des noms! Et peut-être que je te laisserais vivre assez longtemps pour me voir la baiser, ta belle Rosa.
Pour ponctuer sa tirade, le geôlier le gratifia d’un violent coup à la mâchoire, de sorte que le captif dut prendre un instant pour cracher du sang sur le sol avant de répondre.
-J’ignore où elle se trouve. Pour autant que je sache, elle est peut-être ici. À votre place, je resterais prudent, jeta le prisonnier dans un rire caustique. Écoute, je sais comment ce genre de démonstrations de force fonctionne. Tu veux me sacrifier sur l’autel de ton précieux petit général. Mais, en bout de ligne, vous n’arriverez à rien. Ce genre de culte ne survit pas au temps. Crois-moi. Seuls ceux que vous aurez transformés en martyrs finiront encensés.
Il ricana encore, puis se pencha vers lui, un sourire mauvais étalé en travers du visage.
-Alors, vas-y, tire, cobarde. Tu vas seulement tuer un homme.
Piqué, le capitaine León Ignacio Balmaceda attrapa son arme et fit feu dans le genou droit de son prisonnier.
Un cri.
Entre le rire et la souffrance.
Infernal.
Déstabilisé, Balmaceda accusa un mouvement de recul. Tira à nouveau dans le ventre du prisonnier, qui bascula vers l’arrière. Des secondes lourdes passèrent pendant lesquelles il entendit l’homme à l’agonie respirer par à-coups.
Puis, l’impossible se produisit. Au creux de la blessure, dans le sein même des tripes, une tête de serpent incandescente émergea. Le dos plaqué contre un mur, le soldat perçut un nouveau cri envahir la salle. Le sien. Assourdissant. Mais, depuis plusieurs heures, dans l’Estadio de Chile, plus personne ne répondait aux appels à l’aide.
Le sol se couvrit d’une traînée de flammes, alors que l’animal ondulait vers lui, dardait sa langue étincelante comme un tison. Xiuhcoatl escalada les jambes du capitaine pour se hisser à la hauteur de son plexus solaire. Avec précision, il fit fondre la chair, entra pour venir s’enrouler autour du cœur et le consommer dans un nid de flammes.
Là, l’essence de Xiuhtecuhtli se mit à couver pour renaître une nouvelle fois.
***
Depuis plusieurs jours, il hantait le Parque Balmaceda, encore en état choc, le regard perdu dans le vide. La conscience de son nouvel hôte se rebiffait, sous la surface, mais il parvenait peu à peu à l’étouffer. Cette réincarnation en catastrophe s’était révélée laborieuse et il se savait amoindri. Jamais plus il n’aurait la force d’un coup d’éclat aussi téméraire. Il… Il devenait trop vieux pour tout ça…
Il avait appris un peu plus tôt que le corps du poète Victor Jara, les mains mutilées, avait été recraché hors de l’Estadio Chile. Réaliste, il avait vite compris le message lancé par l’armée à la population chilienne et avait renoncé à trouver Rosalinda. Il n’aurait pas dû s’attacher à une mortelle pour commencer, même aussi remarquable qu’elle. Il se trouva lâche.
Dans la brunante, à quelque part au fond d’une rue, une radio crachotait clandestinement
El derecho de vivir en paz. La gorge serrée, León Ignacio Hogueras tira sur sa cigarette, laissa le mince filet de fumée s’évaporer dans l’air.
Les premières étoiles brillaient, indifférentes, tout au-dessus du monde.
***
États-Unis d’Amérique, 2020 ~León tapota de l’index le cendrier près de lui, sur le comptoir de son local encore fermé. Il ouvrait dans une heure et prenait le temps d’examiner l’amulette en turquoise qui s’affichait sur l’écran de son mauvais portable, vendue au plus offrant. Il soupira, peu convaincu, puis préféra aller se poster à la fenêtre pour observer cette partie sans charme de la ville, couverte de béton gris, de publicités défraîchies et grouillantes de voitures pressées. La brocante qu’il avait reprise était encore jeune sous sa coupe, son arrivée en terres nord-américaines ne remontant qu’à quelques mois. En souriant pour lui-même, il se prit à penser que Rosalinda aurait moqué sa dérisoire tentative de s'immiscer dans le jeu truqué de l’American Dream. La Calavera aussi, où qu’elle soit. (À voir, cependant, comment l'esthétique relié au Día de los muertos réussissait à séduire les Américains, il soupçonnait qu'elle s'en tirait fort bien dans la compétition.) Il comptait refourguer des artefacts précieux en tous genres, profanes ou dangereux, dans un procédé légal ou non, à ceux qui voudraient bien négocier avec lui. Il ne savait pas s’il y croyait vraiment. Ce serait un début. Le passé militaire de son hôte s’était déjà relevé utile par le passé et continuerait sans doute de l’être à Philadelphie. En outre, il cultivait auprès des uns et des autres une réputation de shaman bizarre et fatigué, spécialisé en pyromancie et en astrologie aztèque. Au moins, ça se révélait un à-côté distrayant.
Au terme de son voyage, sans surprise, la Terre de feu s’était révélée belle, mais épuisée. Depuis le tout début de son périple, il s’était douté que ce serait moins la destination que le voyage en lui-même qui s’avèrerait riche en enseignements. Sans urgence, usé par ses déboires, il avait remonté par l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay qui, de concert, avaient tremblées à la fin du vingtième siècle, collées les unes sur les autres. Il avait commencé le nouveau millénaire avec le Venezuela, la Colombie, le Guatemala et, enfin, avait atteint le bercail trop familier, doux-amer, du Mexique. Il n’y était resté que pour préparer en douce son immigration aux États-Unis – comme tant d’autres de ses compatriotes – et il n’avait pu qu’observer de loin les manifestations d’octobre 2019 au Chili, manifestement encore hantée par son passé.
Pour l’heure, il avait néanmoins résolu de rester à Philadelphie, mais tardait à chercher Sanctum, trop fier et indépendant pour demander l’asile. En lui-même, il couvait une sale envie de faire payer à l’Oncle Sam certaines de ses interventions politiques en sol étranger. Son traitement sans pitié envers les immigrants d’origine hispanique, aux familles déchirées. Cette vendetta cachée, pernicieuse comme du poison, avait de quoi le motiver dans l’ombre. Peut-être arriverait-il à découvrir la part de responsabilité des Nouveaux Dieux dans ces regrettables bévues. Ou des Anciens. Quoi qu’il en soit, quelqu’un finirait par le repérer. Peut-être même une connaissance de son lointain passé. Il avait tout son temps devant lui.
Pris d’une impulsion, il ouvrit la porte de son antre, offrit sa peau à la chaleur du soleil pour s’en repaître, savoura une cigarette avec une délectation féroce. León les attendait. Il les attendait tous. Au fond, qu’ils approchent, donc… Qu’ils osent venir danser avec les flammes.
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Ça fait vraiment, vraiment chaud au coeur de voir que León attise autant de curiosité! 
