27 Juin 2020


Cela faisait quelques temps que Faith travaillait sur cette affaire. L’un de ses clients était poursuivi par une autre entreprise avec laquelle il entretenait une relation commerciale. Les chefs d’accusations étaient multiples. Mais ce qui était sûr, c’est que la jeune femme avait tiqué lorsqu’on lui avait dit qu’il y avait une histoire d’harcèlement moral et physique dans l’histoire. Bon nombre de ses clients serait très certainement capable de cela. Mais l’avocate avait de gros doutes concernant Billy Hawkings. Quadragénaire, il avait repris la petite entreprise familiale et l’avait développé pour la transformer en l’une des plus grosses affaires de Philadelphie. Il était l’un de ses plus anciens clients à vrai dire. Lors de sa première année, la brune s’était chargée sans mal de la transmission d’entreprise de son père à lui. Et au final, ils avaient tous deux évolués en même temps, permettant à l’avocate de le conserver comme client, suivant chacune de ses évolutions et chacun de ses ratés, l’accompagnant dans chaque opération nécessitant son intervention. Elle en aurait presque éprouvé de l’affection pour lui. Quand à Billy, la choisir au tout départ comme avocate avait été l’une de ses plus grandes et bonnes décisions pour son entreprise depuis ses débuts en tant que président directeur général. Seulement, s’il y avait bien un motif pour lequel il n’aurait probablement pas pensé venir la voir, c’était ce genre de soucis. Malgré son haut statut, il avait toujours fait en sorte de garder les pieds sur Terre. Ses employés étaient plutôt bien lotis. Et pourtant, aujourd’hui, l’une d’entre eux avait été amené à l’accuser de harcèlement moral et physique, jugeant son patron comme un pervers qui n’avait de cesse de lui faire des avances plus irrespectueuses les unes que les autres. Lorsqu’elle avait vu le rendez-vous dans son agenda, mais surtout le motif du rendez-vous, Me Sherman avait failli tomber de sa chaise. Helen, l’une des assistantes du bureau, celle qui avait pris le rendez-vous, fut appelée immédiatement pour connaître les détails de ses échanges avec Mr Hawkings. Et puis finalement, le verdict tomba. La Redwood Company était derrière l’accusation de base. Seulement pour appuyer leur dossier, ils avaient déjà ratissé le terrain afin d’avoir de solides éléments.

Connaissant que trop bien son client, la jeune femme fit appel à un détective privé qu’elle connaissait bien. Son rôle, ou plutôt son objectif, était de trouver le lien entre l’employée de Hawkings qui l’accusait soudainement de harcèlements et la Redwood company. Que les avocats débiles de cette grosse entreprise à la dirigeante méconnue aient pu trouver aussi facilement un tel élément, totalement incompatible avec son client, était complètement ahurissant voir impossible.Et puis finalement, au bout d’une bonne semaine, alors que le procès approchait à grand pas et que Faith faisait tout pour garder son client calme, le professionnel revint avec des preuves accablantes à son tour. Le témoin avait été en contact à plusieurs reprises avec un gros bras de la compagnie Redwood. Si ces photos permettraient aisément de mettre le doute aux jurés, cela ne serait pas forcément suffisant pour remporter le procès. Les heures supplémentaires s’accumulèrent tandis que la jeune avocate faisait des pieds et des mains pour monter sa défense. Et puis un soir, un appel d’un numéro inconnu sur son téléphone portable la surprit. Il s’agissait de la secrétaire de Mme Redwood elle-même qui désirait la rencontrer à 22h deux jours plus tard au Divina Bar, l’une de ses entreprises. Evidemment, la première réaction de Faith fut de décliner, poliment étant donné que la pauvre secrétaire n’était qu’une intermédiaire. De toute évidence, son interlocutrice avait pour ordre de ne pas accepter autre chose qu’un accord volontier. Le plus gros souci était que l’avocate risquait une mise en défaut si jamais la moindre chose qui se passait pouvait laisser croire qu’elle se faisait corrompre ou qu’elle passait un arrangement sans la présence de l’avocat de Madame Redwood.

Mais finalement, pouvoir rencontrer la détentrice de la compagnie Redwood était une occasion à ne pas laisser filer. Après tout, elle pourrait peut être même avoir des indices sur le lien entre Mr Gros Bras et Miss Menteuse. Seulement, si Faith avait “accepté” l’invitation, cela ne serait pas selon les conditions de son hôte, sûrement pas. Prudente, méticuleuse, elle n’allait pas mettre sa carrière en péril pour satisfaire sa curiosité. Et puis, elle ne pouvait pas laisser tomber Billy. Aussi, le soir venu, elle enfila une robe blanche et une paire d’escarpins dorés avant de se rendre en taxi au Divina Bar. Une fois arrivée sur place, découvrant pour la première fois les lieux, la brune prit le temps de faire le tour du propriétaire. Après tout, elle avait presque une heure d’avance. Une fois chose faite, elle commanda un verre de vin rouge en attendant l’heure fatidique. Au moment venu, elle interpella la personne au bar pour faire prévenir qu’elle avait rendez-vous avec Mme Redwood. Quelques minutes plus tard, on vint la chercher pour l’accompagner jusqu’à une salle privée chose que Me Sherman refusa bien évidemment.

J’ai accepté de rencontrer Mme Redwood mais pas en privé. Je l’attendrais ici avec mon verre.

Faith ne fut pas étonnée de voir le visage de son interlocuteur légèrement se décomposer mais le ton de sa voix tout comme son attitude toute entière ne laissaient pas la place à la discussion ni à la négociation.

27 Juin 2020


Depuis qu’elle était arrivée, Faith n’avait que peu touché à son verre de vin rouge. Si elle se délectait facilement de ce genre de breuvage, elle ne pouvait clairement pas se le permettre dans ce genre de situation. Rester en public permettait de couvrir ses arrières. En plein procès, rencontrer la partie adverse n’était pas forcément bien vu, sauf en cas de proposition pour trouver un arrangement à l’amiable. Si maître Sherman savait d’avance qu’elle n’entendrait pas une proposition décente, étant donné que c’était son client qui était accusé et qu’elle ne comptait pas plaider coupable, cela restait un alibi totalement viable qui lui permettrait de justifier cette entrevue. La brune avait déjà trouvé une parade au fait qu’on pourrait l’accuser de manque de professionnalisme du fait de la non présence des avocats de Mme Redwood. Seulement, elle n’était pas celle qui avait provoqué cet entretien. Elle n’avait même pas émis de conditions à cette rencontre avant que l’on ne l’invite à rejoindre la gérante dans un salon privé. Comme à son habitude, la brune avait tout calculé pour que son intégrité ne puisse être remise en cause. Si sa curiosité avait été piqué au vif lorsqu’elle avait été contacté pour rencontrer la grande Gabrielle Redwood, l’une des rares femmes dans un monde masculin. Elle n’en avait pas pour autant oublier de réfléchir aux conséquences que pourraient engendrer un tel rendez-vous. Elle ne savait que trop bien que pour survivre dans ce milieu de requins, la belle blonde n’était pas le plus doux ni le plus gentil des êtres qui peuplent cette planète. La jeune femme était toutefois à des années lumières de la vérité concernant la cruauté de sa future interlocutrice ainsi que de sa véritable nature. Sa tenue plutôt voyante ne laissait pas réellement de doute quant à son envie d’être vue quasi en permanence. Si elle avait déjà utilisé cette façon de faire pour attirer un homme, cela n’était nullement le cas ce soir et son attitude le démontrait pleinement. Très professionnelle et fermée, seuls son verre et son téléphone avaient son attention.

Cependant, si elle avait déjà repoussé les avances d’un mâle, ses yeux repérèrent rapidement la belle blonde en robe noire qui avait pris place à côté d’elle. Difficile de ne pas la voir, sa voisine de bar était l’exact opposé d’elle physiquement. Il était clair que cela allait attirer encore plus les regards, ce qui n’était pas un mal aux yeux de maître Sherman. Mais alors que son attention n’avait dérivé qu’un instant de son verre, ce dernier fut à nouveau happé par les paroles de sa voisine. Un sourcil se souleva légèrement, analysant mot à mot la phrase prononcée par son interlocutrice, sans laisser paraître la moindre information sur sa réaction intérieure exceptée un soupçon de surprise lors de la prise de parole de la blonde. Un faible sourire s’afficha à la commissure de ses lèvres avant qu’elle ne reprenne son air sobre et professionnel. C’était l’hôpital qui se moquait de la charité en tant qu’impératrice d’un énorme lobby. Faith ne releva toutefois pas et s’abstint de tout commentaire. Si l’idée lui avait traversé l’esprit que cette belle blonde puisse être son interlocutrice, c’est évidemment sa première réplique qui lui avait confirmé son identité. La remarque suivante fusa et fit rire intérieurement l’avocate. Elle soignait tellement son image que les gens la prennaient une personne totalement coincée et isolée, une véritable accro au boulot. Dans un sens, ils n’avaient pas tort. Depuis qu’elle s’était lancée dans des études de droit, la brune n’avait qu’un objectif : mettre sa famille à l’abri du besoin. Elle avait un appartement plutôt confortable mais sans fioritures. Elle donnait tout à sa famille pour les études de ses petits frères et pour les soins médicaux de sa mère, gardant seulement l’essentiel pour elle.

Je ne crois pas que mon avis est une quelconque importance en la matière, surtout pour une femme comme vous.

L’avocate avait l’habitude d’être jugée par quiconque la croiser, surtout dans le milieu professionnel. Des femmes de leur trempe à toutes les deux, c’était plutôt rare. Et pourtant, elles étaient loin de jouer dans la même catégorie, même si ça, Faith était loin de le savoir. Elle n’était pas une dirigeante de grosse entreprise mais elle côtoyait ce milieu au quotidien au vue des clients qu’elle avait à gérer dans son métier.

Etant donné que je semble avoir fait preuve d’impolitesse en acceptant votre invitation et en faisant le déplacement jusque ici, me feriez-vous le plaisir d’être impolie à votre tour en me disant le pourquoi de ma venue ?

Faith était curieuse. C’est pour cela qu’elle était là. Et clairement, elle n’était pas déçue. La dirigeante de la Redwood company ne se cachait pas par manque de force ou d’aplomb, bien au contraire. Seulement, la jeune femme avait voulu lui rappeler qu’elle s’était pliée à ses demandes jusque là et que la faire se déplacer de quelques mètres du salon privé au bar n’avait rien d’impoli contrairement à cette invitation mystérieuse et au pied levé. L’avocate était attentive à tous les détails et elle n’avait aucunement peur de tourner les talons dans les cinq minutes qui allaient suivre pour se diriger vers la sortie si ce que Gabriel avait à lui dire ne lui plaisait pas.

27 Juin 2020


Faith était venue par curiosité. Être invitée par une personne de cette envergure, dont le nom était aussi connu et en même temps le visage aussi méconnu, n’était pas une chose anodine. Gabriel Redwood était connue pour son côté impitoyable en affaires. Aussi, l’avocate était venue voir ce qu’elle pouvait bien lui vouloir, la pensant différente de ses homologues masculins. Portant son verre à ses lèvres, elle se faisait légèrement insolente, juste ce qu’il fallait pour faire comprendre qu’elle avait beau être sur le territoire de son hôte, la brune était là de son propre chef. Elle restait maître de ses paroles et de ses agissements, que cela plaise ou non à son interlocutrice. Probablement que la sublime blonde était habituée à ce que ses employés se jettent à ses pieds et s’exécutent à la moindre de ses directives. Seulement, aucun lien du genre ne les liait à l’heure actuelle. Et à vrai dire, l’avocate n’avait absolument pas pensé à ce genre d’éventualité. Elle avait clairement un avis sur la dirigeante de Redwood Company qui était bien au-dessus de la réalité et lorsque les magnifiques lèvres de la propriétaire des lieux se mirent en mouvement, la jeune femme fut tout simplement abasourdie. Elle ne s’attendait pas à ce qu’elle lui propose un job, à ce qu’elle agisse comme la majorité de ses adversaires avaient déjà essayé avant elle. Le meilleur moyen de battre un adversaire trop fort était de lui faire rejoindre l’autre camp. C’était une technique des plus basiques et simples. Or, Gabriel était plutôt connue pour ses machinations indéchiffrables, probablement illégales mais qui fonctionnaient. Elle arrivait régulièrement si ce n’était tout le temps à ses fins.

Lorsqu’on lui avait confié l’affaire, la belle avait grincé des dents. Ce n’était pas la première affaire dont elle avait hérité en lien de près ou de loin avec la Redwood Company. Seulement, si Faith était réputée pour être douée, elle n’avait pas fait de sans faute dans sa carrière, loin de là. Jusqu’à présent, jouant un peu trop dans les règles et surtout ne fouillant pas assez dans la vie personnelle, elle n’avait jamais réussi à mettre en échec l’armée d’avocats dont Gabriel s’était entourée. Cette affaire était la première où elle avait réellement trouvé une faille dans laquelle elle avait commencé à s’engouffrer. Histoire de faire taire les choses, elle avait pensé que cette invitation allait servir de début de négociation pour stopper les poursuites au tribunal et trouver un terrain d’entente avant qu’elle n’ait réellement mis la main sur quelque chose. Mais de toute évidence, la piste qu’elle avait trouvé était encore plus croustillante et important qu’elle ne l’avait cru. Plutôt que proposer une conciliation, son adversaire la voulait dans ses rangs pour qu’elle n’ait plus personne à affronter dans cette affaire. Regardant son verre dans lequel elle faisant tourner le liquide carmin doucement, elle ne put s’empêcher de commenter à demi-mots.

Si je m’y attendais ...

Portant le verre à ses lèvres, elle avala une gorgée du délicieux vin avant de reposer son verre et d’orienter son regard directement dans les yeux de son interlocutrice.

Je dois vous avouer être légèrement … déçue. Votre réputation m’a laissé longtemps croire que vous êtiez au-dessus du lot. Mais finalement vous agissez de la même manière, probablement à cause de votre manque de possibilités ?

Finissant son verre, elle le reposa délicatement avant de se pencher vers la belle blonde.

Si j’avais accepté ce genre de propositions, cela fait plusieurs années que je travaillerais pour une entreprise et non mon cabinet. Je suis donc navrée de vous informer de mon refus immédiat. Vous direz à Me Gotra qu’on se retrouve au tribunal. Très bonne soirée à vous.

Et sans demander son reste, l’avocate s’élança vers la sortie. Déçue de cette entrevue, elle savait que le peu de temps qu’elle avait passé là ne serait pas recevable devant un juge et qu’il ne serait de toute façon question que de la parole de Redwood contre la sienne si jamais elle voulait s’y risquer. Sans preuve, rien ne serait recevable. Par contre, dans l’esprit du juge, l’irréprochable Me Sherman aurait un point d’avance si cette conversation était révélée au grand jour.