15 Novembre 2019


L’avocate experte avait une longue journée devant elle. Comme à son habitude, elle fit sa séance de yoga puis de pilate avant de prendre sa douche et de s’habiller pour aller travailler. Regardant l’intérieur de sa penderie, elle décida d’opter pour un tailleur version pantalon slim du fait de la saison. Aussi enfila-t-elle un slim noir, une chemise à manches trois quarts blanche et une veste de tailleur noir. Sur le point de sortir, elle glissa ses pieds dans une paire de bottes à talons aiguilles pour compléter sa tenue et mit un long manteau noir. Une fois installée derrière le volant de sa Chevrolet, la belle conduisit comme tous les autres jours de la semaine pour se rendre sur son lieu de travail. Elle n’appréciait guère d’être jugée d’après les apparences mais son métier exigeait qu’elle se présente sous son meilleur jour en toutes circonstances. Rien ne devait laisser paraître la réalité qu’était sa vie privée. Derrière ses beaux habits, sous son chemisier blanc immaculé, se cachait plusieurs traces de morsures à son bras droit. La veille au soir, la brune avait fait une nouvelle crise dépressive, se mordant le bras à répétition, jusqu’au sang. Cela dura plus d’une heure jusqu’à ce qu’elle se sente finalement à peu près bien et qu’elle s’occupe de nettoyer le chantier qu’elle avait mis chez elle. Généralement, lorsque Faith avait un épisode de crise en phase dépressive, elle retournait tout chez elle, mettant en boucle cette chanson qui la plongeait au fin fond de ses démons : Eternal de Evanescence. C’était une chanson sans parole mais chaque note de musique de la mélodie avait le don d’hérisser les poils des bras de la jeune femme et de lui rappeler combien elle était seule ici à Philadelphie, regrettant cet éloignement de sa famille qui était cependant nécessaire pour la maintenir financièrement à flot. En plus des morsures qui étaient la seule chose à ce jour qui lui permettaient de surmonter ses crises, la belle avait tendance à se griffer les bras également de manière régulière mais involontaire. Des bleus parsemaient également son corps à cause des chocs. Seuls ses avants-bras demeuraient intacts, permettant le port d’une chemise manches trois-quarts. Jamais personne n’avait encore soupçonné la possibilité que son sale caractère ne soit pas seulement du mauvais caractère et c’était tant mieux. Hautaine, distante, Maître Sherman faisait tout de même de l’excellent travail reconnu par tous au sein du cabinet. D’un autre côté, elle avait plutôt réussi à passer à travers les envies d’achats compulsifs. Elle se faisait plaisir, c’était évident au vue de ce qu’elle gagnait. Mais la brune gagnait suffisamment pour subvenir tout de même aux besoins de sa famille, finançant rapidement les études de son frère et de sa soeur en plus des siennes, malgré l’endettement que ça lui générait. Par contre, ce que personne ne savait au travail, c’est qu’elle adorait son bolide pour se faire des virées sur l’autoroute et enfoncer le champignon. De plus, ses fréquentations personnelles étaient assez nombreuses et surtout totalement aléatoire. Lorsqu’elle ressentait ce besoin puissant qui venait la titiller au fond de son estomac et au creux de ses reins, l’avocate finissait systématiquement par sortir boire un verre, généralement seule, jusqu’à trouver l’homme qui lui conviendrait pour faire son affaire, de préférence chez lui.

Cela dit, cela arrivait malheureusement que cela ait lieu chez elle. Sauf que lorsqu’elle avait un épisode de crise dans la foulée, elle ne voulait clairement pas rester en compagnie de quiconque. Aussi, être chez l’homme lui permettait de se barrer en trombe, ce qui lui avait valu plus d’une fois l’appellation de “complètement barge”. Mais la jeune femme s’en moquait éperdument. Elle n’avait aucunement l’intention de les revoir. Sa condition faisait qu’elle ne pourrait en aucun cas fonder une famille. Contrairement à sa mère, elle ne se sentait pas capable de prendre le risque de transmettre son trouble à son enfant. La matinée se déroula comme à son habitude et lorsque la fin approcha, elle passa voir son patron pour lui souhaiter un bon week-end en bonne salariée qu’elle était avant de prendre sa voiture pour se rendre chez son client. Tryggvi Vetrlidisson était un homme d’affaire, comme beaucoup de ses clients. Propriétaire d’une boîte de nuit, ce dernier avait recours à ses services depuis l’été 2019 pour quelques cas basiques de condamnations de videurs pour abus de position ou de force. Lorsque ce dernier était venu pour la première fois, il l’avait aperçu passant dans le hall pour se rendre à une réunion et l’avait demandé personnellement. Sauf que les affaires qu’il lui avait confié jusque là auraient été à la portée de n’importe quel autre avocat du cabinet. De plus, son attitude de manière générale, sa façon de faire de petits compliments pour brosser dans le sens du poil ne lui plaisaient guère. Beau garçon aux cheveux d’or et aux yeux d’un bleu hypnotisant, il semblait toujours cacher quelque chose, quelque chose sur laquelle l’avocate experte n’avait jamais réussi à mettre le doigt. Aujourd’hui, il avait une nouvelle affaire à lui confier, une de plus grande envergure. A cet effet, il lui avait demandé de passer chez lui pour pouvoir lui remettre tous les éléments de manière plus simple. Même si Faith n’était pas fan des rendez-vous au domicile du client, le client était roi aussi faisait-elle au mieux pour bichonner ses riches clients qui versaient des sommes astronomiques au cabinet.

Une fois arrivée sur place, il la débarrassa de sa veste et la laissa garder ses chaussures et ils purent se mettre au travail. Si les fois précédentes, il s’agissait de simples abus de force, là, deux de ses gars allaient être poursuivis pour coups et blessures avec faits aggravés sur un homme et sa petite amie. A priori, il était même question de potentiels attouchements qui auraient conduit l’homme à attaquer les deux videurs qui l’auraient rétamé en deux-deux. Le plus gros soucis était la présence de témoins qui allaient renforcer la valeur des propos des victimes. Suspicieuse quand à la façon dont le jeune homme avait obtenu toutes ses informations sur les éléments de la partie adversaire avant même que la procédure soit ouverte, cela n’empêcha pas Faith de se plonger dans le dossier pour poser toutes les questions qui lui venaient à l’esprit. Il allait falloir de toute façon qu’elle rencontre les deux hommes qui allaient être accusés à un moment donné. La journée touchait à sa fin et finalement, son client lui proposa de boire un verre pour entamer comme il se devait le week-end et la remercier d’avoir passé tout ce temps ici pour avancer sur cette affaire à venir. Malgré un premier refus, Tryggvi renouvela sa proposition en l’incitant à se détendre. Il était vrai qu’avec la veille au soir stressante, frustrante et déprimante, un petit verre ne pourrait pas lui faire de mal. Après une crise dépressive, la jeune femme avait tendance à rester chez elle pour regarder un film ou une série sous un plaid dans son canapé. Elle était loin d’imaginer que son week-end aurait une toute autre trame qui lui serait imposée. Acceptant de boire un petit Cuba Libre qu’elle avait demandé léger, elle était loin d’imaginer l’ingrédient supplémentaire que le divin avait ajouté. Portant le verre à ses lèvres pour boire une bonne gorgée, elle entendit alors Tryggvi marmonnait dans une langue aux sonorités famillières sans toutefois être capable de mettre le nom sur cette dernière. Puis très vite les choses s’accélèrèrent, échappant son verre, ses jambes ne purent plus supporter son poids alors qu’un courant électrique vint l’assaillir de l’intérieur la poussant à la chute et vers l'inconscient. Elle ne sut comment sa chute vers le sol dur et froid fut amortie mais ce qui la frappa, c’était le froid de sa manche imbibée de boisson et cette douleur insupportable qui s’attaquait à elle, comme si on essayait de s’immiscer en elle par la force.

Lorsqu’elle se réveilla enfin, l’avocate était allongée dans un grand lit, sous une couette bien chaude. Elle ne portait plus que ses sous-vêtements ayant à priori été changé. Elle avait du mal à bouger, même à ouvrir les yeux. Au toucher, elle avait la sensation de porter des vêtements trop grands pour elle. Malgré la chaleur de la couette, un froid saisissant menaçait son corps à tout instant tandis que cette douleur était toujours présente. Remettant ses idées en place, son regard émeraude finit par trouver les prunelles azurées de son interlocuteur. L’avait-il drogué ? Tryggvi lui parlait de fièvre. Pourtant elle ne se sentait pas brûlante mais au contraire glacée. Que faisait-il ici ? Etait-elle toujours dans sa demeure ? Le fait qu’il éponge ses sueurs froides la rendait d’autant plus frissonnante. Puis il commença à parler. Le simple fait d’écouter et d’assimiler chacun de ses mots était d’une extrême difficulté. La douleur qui la traversait était insupportable, la faisant geindre par moment. Pourquoi diable lui parlait-il de la famille de sa mère ? En fait, la vraie question était pourquoi il s’était renseignée sur elle ? Est-ce qu’il était un psychopathe en puissance ? Les mots s’enchaînaient les uns à la suite des autres tandis qu’elle tentait tant bien que mal de se redresser observant son environnement. Elle était dans une chambre à coucher, certainement la chambre d’ami. Pourquoi ne l’avait-il pas emmené à l’hôpital vu son état ? Les dents serrés, Faith avait du mal à supporter cette douleur, cette sensation d’être envahi à l’intérieur. Pourquoi cet idiot lui parlait-il de dieu ? L’entendre prononcer son prénom la fit frémir alors que son regard se porta de nouveau sur son hôte. Puis il lui avoua savoir qu’elle souffrait et pourquoi elle souffrait. Si la jeune femme avait une envie irrépressible de lui gueuler dessus de l’enguirlander voir de l’insulter, c’était d’une voix fébrile qu’elle arriva à s’exprimer :

Mais ça va pas dans votre tête. Vous êtes un malade, un psychopathe. Vous m’avez drogué ou quoi ?

Plus la colère s’emparait de son être, plus la douleur dans son corps s’intensifiait à tel point que son cerveau finit par se déconnecter, la faisant à nouveau sombrer dans l’inconscience pour éviter de ressentir toute cette souffrance. Tombant à l’opposé du dieu, ce dernier dut se lever pour la réinstaller confortablement jusqu’en plein milieu de la nuit. Elle se réveilla alors que Loki n’était pas dans les parages, toujours tordue par la douleur, elle se hissa comme elle put jusqu’à son sac à main qu’elle avait repéré pour attraper ses pilules de lithium. En les attrapant dans son sac, elle perdit l’équilibre et tomba entre le lit et le mur. La brune eut tout juste le temps d’avaler les cachets que Tryggvi fit son entrée, pensant qu’elle l’avait alerté avec le bruit de sa chute. Tirant frénétiquement sur la manche du grand tee-shirt pour dissimuler par réflexe les traces de ses morsures récentes, la douleur ne lui permit pas de se relever seule.

Vous voulez quoi au juste ? Qu’est-ce que j’ai bien pu vous faire ?