La chaleur est étouffante, écrasante, son corps souffre de tel désagrément. L’été n’est pas sa saison favorite lorsque la chaleur est si accablante. Toutefois, une légère brise secoue les feuilles de l’île, la déesse en profite pour en faire le tour et assurer sa garde quotidienne. La vigilance doit être constante, même si rien ne laisse présager une attaque extérieure, la déesse guerrière ne laisse aucune place à l’élément de surprise. Il s’agit bien de protéger leur sanctuaire, une retraite dorée où ils peuvent vivre en paix. Du moins, lorsque les divins, disciples ou croyants ne sont pas en conflit. Croyez bien que ça peut vite dégénérer concernant certains, devenir assez sévère, ou au contraire fort cocasse aux yeux de la gardienne.

Pour aujourd’hui, rien ne semble entacher la tranquillité de la cité, ce qui arrange bien la belle qui n’attend qu’une chose, pouvoir se rafraîchir. Pour se faire, elle prend la direction du Sud-ouest pour se rapprocher du lac qui s’y trouve. L’eau paisible lui apporte une certaine sérénité et rare sont ceux qui viennent s’y baigner, ou la déranger si elle s’y trouve. A moins de croiser la route d’un divin à l’humeur facétieux… Fort heureusement, elle n’en croise aucun.

Arrivée sur place, elle dénoue le noeud de sa robe cache coeur qu’elle laisse retomber à ses pieds et se glisse directement sous la surface de l’eau. Elle se moque bien qu’on la voit nue, la pudeur est un concept totalement inconnu pour une essence divine et d’autant plus pour une hédoniste. L’eau du lac percute sa peau avec une douceur infinie et rafraîchie ce corps échauffé par son tour de garde, un plaisir plus que bienvenue en ce milieu de journée. Le corps de la déesse entame plusieurs brasses pour s’éloigner de la rive, le temps n’a plus d’importance tandis qu’elle se perd dans cette eau limpide.

Lorsqu’elle sort la tête de l’eau, elle sent une présence. Elle aperçoit une chevelure blonde et une délicieuse silhouette sur la rive, la tête hors de l’eau, la déesse s’en approche et reconnaît sans difficulté la disciple indiscipliné de son vieil ami. Cette jeune femme qui a retenu son jumeau si loin d’elle si longtemps… “Deidra.” Lance-t-elle en guise de salut pour attirer son attention. Sans doute perdue dans ses songes, la jeune femme tourne la tête dans sa direction. La déesse prend garde à maintenir une certaine distance, afin que son collier reste hors de vue.

“Que viens-tu faire ici ?” S’enquit-elle d’une voix doucereuse, mais accusatrice à la fois. A quoi joue-t-elle encore ? Tente-t-elle encore une fois d’échapper à son dieu ? Etant donné ce qui lui est arrivé la dernière fois, la déesse espère qu’elle a retenu la leçon, on n'échappe pas à Aegir. Freyja a beau ne pas cautionner la manière dont il a fait de cette humaine sa disciple, qui diverge tellement de son propre rituel basé sur le consentement en premier lieu, elle ne le condamne pas pour autant. Elle comprend.

Ne préfère pas le vent à l'eau

La chaleur se faisait prenante. Ma tête s’alourdissait et j'étais de moins en moins productive. De moins en moins agréable... Sous les conseils de Tyr, je devais me faire petite, me fondre dans la masse. Correspondre à ce qu'on attendait de moi tout en amadouant Ægir et espérer lui faire entendre qu'il pourrait trouver une autre enveloppe pour Ran. Qui serait consentantes...

Si vivre au milieu des dieux me rendait de plus en plus curieuse et quelque part envieuse - sans que je ne sois prête à l'assumer face à qui que ce soit - je n'étais pas capable de me résoudre ne serait-ce qu'à accepter l'idée d'être habitée par une divinité. Lui donner mon corps, ma vie... Tyr m'avait expliqué que l'humain et le dieu ne faisaient plus qu'un, l'un avec l'autre, que l'âme de l'hôte n'était pas tout bonnement chassée, cela m'apparaissait encore comme une forme de mort. Et c'était un concept qui m'effrayait de manière maladive depuis ma transformation.

L'adaptation se faisait encore difficilement, un chemin parsemé d'embûches. Et aujourd'hui, les croyants eux-mêmes m'insupportaient... Je menaçais d'exploser, de m'en prendre à l'un d'eux. Alors innocemment, j'ai tenté de demander à Ægir s'il pouvait me laisser aller prendre l'air près du lac. Requête à laquelle il concéda, méfiant mais sans hésitation particulière. Comme si le dieu comprenait que je m'étais résolue à ne pas faire de vagues.

Je me suis dirigée vers le havre de paix de Sanctum sans m'attendre à croiser qui que ce soit. Je savourais simplement la fraîcheur du sous-bois jusqu'à atteindre les contours du lac. Sans attendre, je me mis à genoux dans l'herbe, soupirant en fermant les yeux. Une inspiration profonde, un calme salvateur. Cette étendue d'eau me donnait envie d'essayer... je regardais mes mains. Pensant un instant à ce pouvoir qui était à présent en moi. Don d'Ægir que je devais bénir et cesser de haïr...

Dans mon manque de vigilance, je ne constatai la présence de quelqu'un qu'à son approche de la rive. Un sursaut mesuré, un regard tendant vers le sien. Lentement, je me relevai pour faire face à Freyja. Rien qu'être en sa présence, un frisson me parcourut l'échine. Je déglutis avec peine... difficile de retenir mon regard qui se voulait happé par sa voluptueuse silhouette. La déesse maintenait une distance, arborant la froideur naturelle qu'elle me vouait. "Je viens juste m'aérer l'esprit. Ægir est au courant de ma présence ici", me sentis-je obligée de préciser comme une enfant que l'on s’apprêtait à houspiller. En même temps, face à des dieux dont la vie se calculait en siècles, nous pauvres humains, nous n'étions que des nouveaux nés... "Loin de moi l'envie d'importuner qui que ce soit..." ajoutai-je en détournant mes yeux de ses courbes gracieuses.

Il faut bien admettre que cette humaine est une beauté au premier regard, de celle qui vous envoûte et dont vous ne pouvez détourner le regard.  La déesse n’est pas insensible de ces choses là, mais elle ne se laisse pas charmer si facilement par le physique, du moins pas lorsque cela doit durer sur le temps et il se trouve que cette humaine est destinée, selon son frère et son ami, à recueillir Ran. Cette amie si chère, mais disparue depuis si longtemps…

L’incompréhension était totale, pour quelle raison faire de cette humaine une disciple et non la réincarnation de Ran sans perdre de temps ? Entre temps, Freyja et Aegir avaient eu une conversation et éclairci certaines choses, il avait confié ses doutes, ses craintes quant à la suite du rituel qui leur ramènerait la déesse de l’océan et des tempêtes, depuis, Freyja est plus disposée à la patience par rapport à la délicatesse de la situation.

L’humaine se justifie sur sa présence, Aegir est informé, c’est tout ce qu’elle a besoin de savoir. Ce n’est pas qu’elle a mieux à faire, mais devoir ramener la disciple à son dieux ne fait pas partie de ses attributions. Peut-être a-t-elle compris que le choix ne lui était plus donné ? Certains dieux n’ont pas besoin de consentement contrairement à elle. “Si tu crois que tu importunes de ta présence, tu n’as pas encore saisie toutes les nuances de notre monde.”

L’humanité est indispensable, sans eux les dieux n’auraient guère de place en ce monde. Certains le montrent avec plus de reconnaissance que d’autres, qui s’estiment encore au-dessus de tout. Et c’était vrai à une époque lointaine, aujourd’hui, ils sont tous condamnés à survivre grâce aux humains quoi qu’ils en disent ou pensent. Ou dépérir, leur destin est totalement lié à l’humanité. Mais ce n’est pas ce qu’a voulu dire la disciple.

“Le lac ne m’appartient pas. Si tu souhaites t’y baigner tu es bienvenue pour m’accompagner, sinon, retournes toi que je puisse revêtir ma robe.” Ce n’est pas par pudeur qu’elle souhaite de l’intimité, mais bien pour que l’humaine ne soit pas emprise du charme de son collier. Le visage à moitié enfouie sous l’eau du lac, le regard espiègle, elle espère silencieusement que l’humaine prenne la décision de la rejoindre.

“Tu pourrais me montrer les progrès que tu fais avec ton nouveau pouvoir.” Suggère-t-elle.  Les mots ne sont pas directs, mais c’est bel et bien une invitation à lui tenir compagnie quoi qu’elle décide de faire alors que les derniers mots de son ami lui trottent dans la tête. Convaincre sa disciple d’accepter le rituel qui leur ramènera Ran.

Ne préfère pas le vent à l'eau

Les ondulations de l'eau venaient se heurter à cette peau d'allure si douce et soyeuse. De ces toiles qui jamais ne se déchiraient et conservaient toute leur couleur. Je me demandais si cela avait un rapport avec le fait d'être une déesse... est-ce que de facto cela rendait l'enveloppe plus resplendissante ? Sans doute pas... certains dieux avaient des têtes à faire peur.

Les paroles de Freyja se font courtoises. De quoi me rassurer et me dérider. Loin d'être en confiance, au moins je ne craignais pas de confrontation explicite. Ce n'était pas le bon jour pour ça et je perdrais à coup sûr face à une déesse. De quoi me passer l'envie d'amorcer le moindre conflit.

Je me fis silencieuse. Bien sûr que tout leur monde m'échappait. J'avais beau être à Sanctum depuis des mois, je m'étais renfermée, mise dans une bulle et rejetais avec mauvaise foi tout ce que les dieux pouvaient avoir à m'apporter de constructif. Une position que je travaillais à changer. Un "perdu pour perdu", utilisant la solution de dernier recours : faire ce qu'on me demande et espérer pouvoir faire changer d'avis Aegir au dernier moment. Folle lubie, certes, mais c'était ma dernière chance.

Une hésitation me gagne alors que Frejya me propose de la rejoindre. Refuser était ma première idée. Mais aussi un choix allant contre les recommandations de Tyr. Doucement, je me décidai à enlever mon débardeur et mon short, conservant mes sous-vêtements comme si la pudeur avait une valeur face à un être divin. En entrant dans l'eau, elle me proposa de lui montrer l'avancée que j'avais pu dans dans l'utilisation de mon pouvoir. "A vrai dire... je ne m'entraîne pas souvent. Mais ok", répondis-je en m'avançant un peu plus dans l'eau.

Elle m'arriva très vite en haut des hanches. Je m'arrêtai et pris de l'eau dans ma main. L'élément s'échappait entre mes phalanges mais en concentrant ma dextre vers la main mouillée, des cristaux de glace semblèrent se former. Vu la chaleur, il me fallait maintenir la concentration pour que le givre ne fonde pas instantanément sur ma peau. Après quelques secondes, je relâchai la tension et souris. Comme une enfant émerveillée par un tour de magie. Ce n'était pas grand chose, mais pour une humaine c'était au-dessus de toute nature d'être capable d'une telle chose... Mon sourire s'estompa assez rapidement en retrouvant le regard de Freyja. Je me sentais ridicule et puérile. En deux pas, je me retrouvai à ses côtés.

Sur bien des aspects Freyja est une déesse impulsive, ou une hédoniste qui s’assume pleinement, lorsque quelque chose lui plait il lui est donc difficile d’y résister tant elle n’a pas l’habitude de se réprimer, en amour comme en guerre. Cette humaine lui a plu dès le premier regard lorsque son frère l’a ramené sur l’île, une beauté exquise et gracieuse malgré son air revêche. Et cet air lui allait si bien qu’elle en était irrésistible pour la déesse, qui s’en amuse la plupart du temps, mais de visu elle montre une expression distante.

Garder ses distances serait le plus sage, l’humaine est vouée à devenir plus, une déesse. Et hormi son physique, elle n’a rien de si exceptionnelle contrairement à ce qu’en dit son jumeau, du moins c’est ce qu’elle veut se persuader pour ne rien perdre de sa froide animosité à son égard. Après des millénaires d’existence, elle ne se voile pas la face sur ce qu’elle ressent, veut ou ne veut pas ressentir. Charmer cette petite humaine n’apporterait rien de bon pour la suite des événements.

Son but consiste à la convaincre d’accueillir la déesse Ran, point. Mais, comme elle le réalise maintenant, en observant la jeune femme se dévêtir et se glisser à l’eau, la vision de toute cette peau dénudée… Les meilleures résolutions ne suffisent pas toujours. Oh elle n’aurait pas dû l’inviter à la rejoindre, pensant bêtement que se rincer l’oeil n’a rien de dangereux. Son regard poursuit les courbes de cette peau laiteuse à mesure qu’elles disparaissent sous l’eau. La déesse est comme hypnotisée.

Il est temps de détourner le regard, et heureusement elle lui offre une distraction bienvenue en lui faisant une démonstration de son pouvoir. Que de l’eau qui coule constate-t-elle, avant qu’elle commence à se solidifier entre ses doigts graciles et se transformer en glace. D’un coup d’oeil la déesse réalise que l’humaine a besoin d’une grande concentration pour effectuer un sort si insignifiant. “Tu dois t’entraîner.”  Lâche-t-elle d’une voix endurcie.

”Plus tu t'entraîneras, mieux tu maitriseras ton pouvoir. N’es-tu pas curieuse de connaître tes limites ? Ni reconnaissante envers ton dieu de t’avoir donné un pouvoir que plus d’un croyant tueraient pour avoir ta chance ?” Elle se montre volontairement dure envers l’humaine. Certes, Deidra n’a pas eu le choix, mais les croyants ne sont pas nombreux, pourtant, tous ambitionnent de devenir un demi-dieu.

Ne préfère pas le vent à l'eau

Partager un moment avec Anthea me paraissait étrange... pas déplacé, juste... étrange. Un air bienveillant et distant à la fois venait colorer le visage de la déesse désirable et je ne savais quoi en penser.

S'il y avait bien un moyen de prouver à Ægir que je faisais des efforts, c'était bien de parvenir à tisser quelque chose avec Frejya. Un jeu dangereux auquel je pourrais rapidement me perdre et me laisser influencer... D'ordinaire, je ne doutais pas autant de ma volonté. Mais devant son regard opalescent, je ne pouvais que craindre le pire. Craindre de m'abandonner à eux et laisser la place à cette Ran si attendue...

La façon dont la déesse attend mon approche me fait penser à une lionne prête à bondir sur sa proie. Le trouble qui entourait nos rapports me faisaient bien plus croire à un danger imminent qu'à de l'admiration.

Ma démonstration n'émerveilla que mes petits yeux d'humaine. D'un ton ferme, Frejya vint m'ordonner de m'entraîner. Elle ajouta à cette recommandation une morale digne d'un sermon de maîtresse d'école... Bien sûr que j'étais curieuse de voir jusqu'où cela pouvait aller. Et peut-être que j'aurais été reconnaissante si ma transformation n'était pas faite dans l'unique but de m'amadouer. Dire que j'étais reconnaissante ne coûterait rien et pourrait faire croire à ma bonne foi... "J'aurais été reconnaissante si ça n'avait pas été fait pour servir ses intérêts", lançai-je à ne pas réussir à tisser un mensonge effronté devant la déesse. "Et il ne l'aurait jamais fait si ça n'avait pas pour but de me convertir à l'idée de disparaître pour vous faire retrouver Ran", ajoutai-je à ma remarque.

Je m'avançai un peu plus dans le lac, m'assurant de toujours avoir pied. Le pouvoir accordé venait avec le frein de craindre la mort à chaque instant ; craindre de me noyer dans cette étendue d'eau même si je savais nager... Ridicule. "Je ne peux même pas imaginer à quel point Ran doit compter pour Ægir. Mais pour toi, que représente-t-elle ?" Vins-je me renseigner sans arrière pensée. Pour le dieu de la mer, elle était l'amour de son éternité. Pour Freyr, une amie indéfectible. Mais pour Frejya ? Je ne m'étais jamais vraiment intéressée à leur histoire...