Six mois d’arrêt de travail çà pouvait être long. Très long. Même si cela s’avérait nécessaire dans le cas de Kaitlyn. Entre séjour à l’hôpital, rééducation et convalescence, ces six mois ne furent pas superflus au vue de sa blessure par balle à l’abdomen qu’elle avait subit, alors qu’elle était en intervention avec son collègue et mentor, Silas Dandridge. Ce dernier y avait perdu la vie. Ils étaient tombés dans un traquenard. Elle était partie un temps se ressourcer à Cincinnati dans sa famille avec Cordélia, avant de revenir reprendre ses marques à Philadelphie.  Les six mois touchaient à leur fin, et elle se sentait prête à reprendre du service. Aussi bien physiquement que psychologiquement, même si elle avait encore du mal à réaliser que Silas n’était plus.

Le plus dur était de se ménager. Kait supportait mal l’oisiveté, et commençait à s’ennuyer ferme chez elle, même si elle pouvait profiter pleinement de sa fille. Alors elle trouvait à s’occuper au mieux lorsque cette dernière était à l’école, faisant ménage, tri, cuisine, rangement… sa petite maison commençait à briller comme un sou neuf. Ce jour là, elle s’était lancée dans un atelier pâtisserie, fermement décidée à concocter des cookies au chocolat pour le goûter de Cordy. Pour le coup, la cuisine reluisait beaucoup moins que le reste de l’habitation, envahie d’ingrédients en tout genre, farine, œuf, chocolat, sucre, beurre…. Et écouteurs, musique à fond sur les oreilles, la blonde se trémoussait devant son plan de travail, cuillère en bois dans une main et saladier dans l’autre, le bout du nez légèrement saupoudré de farine par inadvertance et tablier noué autour de sa taille.

Alors que son morceau de musique s’achevait, une voix familière lui parvenue dans son dos.
« … pas possible de se tromper ! »  Abasourdie, Kaitlyn arracha ses écouteurs et fit volte face, sa cuillère toujours à la main. « Luc ? » Elle dévisagea son visiteur inattendu qui se tenait dans l’entrée. « Mais qu’est ce que vous faites ici ? Ca vous arrive jamais de frapper avant d’entrer chez les gens ???!!! » Partagée entre stupéfaction et agacement, elle ne pouvait nier malgré tout qu’elle était heureuse de revoir Luc Hellking après son absence prolongée. Cet homme avait beau l’horripiler et avoir le don de la faire sortir de ses gonds, il exerçait sur elle une attraction qu’elle ne s’expliquait pas, et avait par moment le sentiment d’une « connexion » entre eux qu’elle ne ressentait avec personne d’autre. Cependant, ces moments là étaient fugace, et bien souvent le caractère infernal du consultant de la police reprenait le dessus et l’énervement de Kait avec.

Toujours est-il qu’il se tenait là, devant elle, chez elle,  impeccable comme toujours dans son costume trois pièces, tandis qu’elle-même était en tenue de combat, chevelure en désordre et attachée à la va-vite, farine sur le visage, sortant d’un combat mano à mano avec sa pâte à cookies. Mais depuis quand son apparence lui importait face à l’insupportable Luc Hellking ?

Déconcertée par cette entrée pour le moins inattendue, Kait n’eut pas le temps d’articuler un mot qu’il était à ses côtés, la dominant d’une bonne tête. Lorsqu’il lui essuya le bout du nez avec son doigt, les joues de la lieutenant s’enflammèrent malgré elle, troublée par l’intimité du geste. Fort heureusement, Luc ne parut pas s’apercevoir de son trouble. Elle se passa le revers de la main sur le front, et chassa des mèches rebelles.  « Vous, vous faites des gâteaux ? » Décidemment, cet homme avait le don de la surprendre. « Je vous déconseille fortement de faire des space cakes dans ma cuisine. » persifla-t-elle d’un ton mielleux, tandis qu’il revêtait avec désinvolture le tablier de Cordélia et allait se laver les mains en chantonnant. Bon sang, ce type allait la rendre dingue ! « Ca vous va bien le tablier. » poursuivit-elle, un brin moqueuse, une lueur d’amusement dans le regard.

Capitulant, elle déposa la cuillère en bois qu’elle avait en sa possession depuis l’arrivée de son visiteur, et se hissa sur le plan de travail, laissant Luc façonner les boules de pâte destinées à devenir les fameux cookies. Voir Luc Hellking derrière les fourneaux avait un petit quelque chose de … jouissif. Et perturbant. Car pour le coup, c’était dans SA cuisine qu’il se trouvait. Il avait les gestes sûrs et habiles, et ses pensées vagabondèrent tandis qu’elle observait les mains du consultant à l’œuvre avec la pâte. La voix de ce dernier la tira de sa rêverie. Des formes pour gâteaux ?  Une fois de plus, il la prenait au dépourvu. « Je… oui j’en ai. » L’avantage d’avoir une petite cuisine, c’est que l’on peut se saisir des divers ustensiles sans bouger de place. Cela signifie également que lorsqu’il y se trouve un grand gaillard d’1m91, on se sent encore plus à l’étroit. Kaitlyn eu juste à se pencher afin d’ouvrir un tiroir où se trouvait des emportes pièces en forme de cœur et de licorne. Elle les tendit à Luc. « Ca fera sans doute l’affaire ? » Le fait qu’il se souci de ce qui plairait à Cordy la touchait plus qu’elle ne l’aurait cru. Ce type était vraiment une énigme ambulante. Agaçant, ingérable et pourtant… il savait se montrer prévenant. Touchant. Déroutant. Et… attirant, même si çà, Kait préférait se mordre la langue que de l’admettre.

Elle se saisit d’un emporte pièce en forme de licorne et aida Luc à confectionner les cookies. Leur promiscuité la perturbait, et elle ressentait le besoin de s’occuper les mains afin de chasser ce trouble. Luc se lança alors dans une diatribe qui était à l’image de son auteur. Pourquoi fallait-il toujours qu’il parte dans des élucubrations saugrenues ? Déterrer les morts… Rien que çà. Elle se retint de lever les yeux au ciel. Mais lorsqu’il en arriva aux partenaires sexuels, elle lui envoya un coup de coude dans les côtes.  « Vous êtes vraiment incorrigible vous savez ? » Kaitlyn tourna la tête vers Luc et soutint son regard d’obsidienne.

« Mais merci de votre sollicitude. Je vais bien effectivement. Cordélia aussi. » Kait se mordilla la lèvre inférieure. Elle se rendait compte à quel point leurs échanges et leur connivence lui avait manqué ces six derniers mois. « Rassurez-vous, je reprends bientôt du service. Ca me manque à moi aussi. Et je suis bien déterminée à découvrir quel est l’enfoiré qui m’a envoyé dans ce lit d’hôpital et tué Silas. » Elle sauta à bas du plan de travail et entreprit d’allumer le four. « Oh et, par pitié Luc. Evitez de me faire la liste de vos partenaires sexuels. Je ne veux rien savoir à ce sujet. » Et à elle d’ignorer le sournois pincement au cœur qu’elle éprouvait. Elle se tourna vers lui et le toisa d’un air sévère. « Et déterrer les morts ? Vous êtes sérieux ? Mais où est-ce que vous allez chercher des idées aussi tordues à chaque fois ? » s’exclama-t-elle, poings sur les hanches.

Kaitlyn manqua de s’étrangler lorsqu’il émit l’éventualité de  se retrouver nu sous le tablier. A moins que ce ne soit la mention « prochaine fois » ? La confection des cookies permit de lui permettre de reprendre contenance, du moins tant est que ce soit possible. Le fait d’être là, en train de cuisiner avec Luc, dans sa cuisine, avait quelque chose à la fois d’irréel et pourtant de très agréable. Sans se départir de son ton léger et désinvolte, il poursuivit sur sa lancée en soulevant le fait qu’elle ne faisait pas partie des dites conquêtes. Le tout d’un air….déçu ? Etait-ce possible ?

« Vous savez Luc, quand on est parents, on ne peut pas se permettre de mener une vie aussi…dissolue que la votre. » Elle lui jeta un regard en coin. Effectivement, elle était seule, sentimentalement parlant, et ce depuis de nombreuses années, se consacrant corps et âme à Cordélia et à son travail. Une présence masculine à ses côtés ne lui avait jamais manqué plus que çà. Du moins avant. Avant d’apprendre à le connaitre. Mais elle avait trop peur de se brûler les ailes pour l’admettre ouvertement. « Quant à vous…. Je suis persuadée que vous n’avez pas besoin de moi. » Aimerait-elle qu’il ait besoin d’elle ? Si Kait était honnête envers elle-même, la réponse serait oui.

Elle leva les yeux au ciel d’une manière exagérée quand Luc partit dans des élucubrations mystiques. Il usait souvent de métaphores de ce style, au grand damne du lieutenant. Si cela était parfois divertissant, cela pouvait s’avérer très pesant à d’autres moments. Mais cela faisait parti du « package » Luc Hellking et du personnage.  

« Hadès ? Rien que çà ? Et où sont vos cornes, ou vos ailes de l’Enfer, ou je ne sais quoi d’autre de la panoplie du parfait diablotin ? » railla-t-elle en le montrant du doigt. « Et que ferait le Dieu des Enfers sur Terre dites moi ? »  Décidément, cet homme était une énigme ambulante. Et pourtant il semblait tellement sincère dans ses propos même les plus fous que cela en était déconcertant. Elle attendit qu’il ait reposé le tablier de Cordélia pour s’approcher de lui et reprendre la parole.

« Vous savez Luc, vous n’êtes pas obligé de faire çà. Je veux dire, de raconter des trucs les plus abracadabrants les uns que les autres, ou de chercher à vous faire passer pour je ne sais quoi…. » Elle balaya l’air avec sa main. « Ca commence à faire un petit moment que l’on bosse ensemble. Et je sais que sous vos airs arrogants et désinvoltes se cache un homme bien. » Kaitlyn posa sa main sur son bras, vrillant son regard au sien. « Vous êtes quelqu’un de bien Luc. Mais pour une raison que j’ignore, vous jouez un rôle constamment pour vous protéger. » Elle secoua la tête doucement. « Vous n’avez pas besoin de jouer ce rôle avec moi. Vous pouvez être vous-même si vous le souhaitez. »

Apprendre que Luc Hellking avait une fille laissa Kaitlyn sans voix momentanément. Au vue de ses dires, elle était déjà grande, visiblement indépendante. Nul doute qu’il l’avait eu jeune. Cela le rendait d’autant plus humain  aux yeux de la lieutenant. « Ainsi donc vous avez une fille…. » murmura-t-elle, comme pour à elle-même.  Kait se hissa sur plan de travail à ses côtés. « Vous savez, il n’y a pas de mode d’emploi lorsque l’on devient parent. Alors oui, on fait tous des erreurs. Et ensuite on réajuste. C’est comme çà. » Elle leva les mains en signe d’impuissance. « Il n’y a pas de recette toute faite. Vous avez l’air de l’aimer. C’est le plus important. » Luc parti dans une série de métaphores plus imagées les unes que les autres pour illustrer le lien qui les unissait. Au mot « pénis » elle leva un doigt en l’air, l’intimant au silence de manière implicite. Allait-il trop loin ? La jeune femme esquissa un sourire. « On peut dire çà comme çà oui. J’avais compris ce que vous vouliez dire dès Batman et Robin vous savez. » dit-elle d’un air amusé tout en lui donnant un coup d’épaule.

Kaitlyn était heureuse de constater que Luc commençait enfin à s’ouvrir à elle de façon sincère et surtout sérieuse. Pas d’artifice ni de numéro de claquettes. Enfin du moins jusque là. Car ce qu’il lui dit par la suite lui fit revisiter sensiblement son opinion et ses espoirs. Luc lui narra le plus sérieusement du monde qu’il était Hadès, Dieu et Roi des Enfers…. Elle fixait ses pieds, l’écoutant sans mot dire. Pourquoi fallait-il qu’il parte toujours dans de telles élucubrations ? Elle déglutit tandis qu’il poursuivait, tout en expliquant qu’il fuyait désormais les relations amoureuses car selon lui il faisait forcément du mal à la personne dont il tombait amoureux. Ce discours là était déjà plus terre à terre et entendable. Peut être avait-il vécu une relation et/ou une séparation plus que difficile avec son ex, ce qui expliquait ses résolutions actuelles. Résolutions, qui, mine de rien, provoquaient un pincement au cœur au lieutenant, mais qu’elle tenta d’ignorer. Elle demeura silencieuse un instant, histoire d’assimiler les « révélations » de son ami et d’y répondre de la meilleure manière possible.

Lorsqu’elle leva son regard vers lui, elle lut dans le sien qu’il était sincère, ou tout du moins persuadé de l’être. Dans sa logique à lui. Aspirée par l’intensité des prunelles sombres de Luc, elle déglutit. Comment trouver les bons mots ? « Je…. » Elle se mordilla la lèvre inférieure. « Avoir été malheureux en amour ne fait pas de vous un être diabolique, comme vous semblez le croire. » Jusqu’où croyait-il en ses propres propos ? Elle secoua doucement la tête, abaissa son regard et posa sa main sur la sienne avant de prendre la parole. « Vous affirmez être le Diable en personne, mais moi je ne vois qu’un homme là devant moi. Un homme avec ses qualités, ses défauts et ses casseroles.
Personne n’est parfait, et s’est très bien ainsi. » Elle se redressa, et plongea son regard dans le sien. « Alors admettons. Vous êtes Hadès. Vous êtes donc un… Dieu, si j’ai bien compris. Plusieurs questions : pourquoi n’êtes vous plus en train de régner en maître sur les Enfers ? Pourquoi êtes-vous sur terre ? Et surtout, pourquoi êtes-vous là dans ma cuisine à m’aider  à faire des cookies pour ma fille ? » La sonnerie du four choisit ce moment précis pour retentir. Kait sauta à bas du plan de travail pour la stopper et sortir les gâteaux avant que ces derniers ne soient brûlés. « Deuxième question : en tant que Dieu, Avez-vous des pouvoirs « divins » ? Lesquels ? » Elle se tourna pour lui faire de nouveau face, et croisa ses bras sur sa poitrine, haussant un sourcil.
 « Quant au plus sexy, je ne peux vous dire, vu que je ne connais aucun autre Dieu, de toute évidence. Mais je dois admettre que vous êtes pas mal dans votre genre. » acheva-t-elle, un sourire en coin.

Et voilà. Elle n’avait pas craqué, pas piqué de colère, ni s’énervé. Puisque ce n’était pas la première fois qu’il lui sortait des métaphores dans le style « infernal », et qu’il paraissait réellement croire à ce qu’il racontait, Kaitlyn avait décidé d’opter pour une autre tactique. D’une certaine façon, elle le croyait. Du moins dans le sens où lui-même était convaincu de ce qu’il disait. Mais son esprit cartésien avait tout du même beaucoup de mal à accepter un tel état de fait. Car si cela s’avérait vrai, cela signifiait énormément de bouleversements dans sa conception d’appréhender la vie…et la mort.

Le cœur battant, troublée par l’intensité du regard de son compagnon autant que par sa proximité soudaine, elle soutint son regard sans broncher, tandis qu’il répondait patiemment à chacune de ses questions posées précédemment. Elle ne pouvait nier qu’il faisait son possible pour satisfaire sa curiosité. Etrangement, aussi abracadabrant qu’était son récit, elle ne mettait en aucun cas en doute la véracité, détournée ou non, de certains propos. Jusqu’où allaient les métaphores ? Là était toute la question. Les informations qu’il lui délivrait sur sa « vie » se télescopaient les unes après les autres dans la tête de la lieutenant.

La première partie des révélations de Luc lui apprenait au moins une chose qui n’était pas farfelue mais qui était loin de lui plaire… il était …marié ?! Elle relativisa. Après tout, il avait une fille aussi. Peut être était-il divorcé, au vue de ses dires, ce n’était pas improbable, loin de là. Il a expérimenté la drogue. La bonne blague ! Ca, elle aurait pu le deviner toute seule connaissant le personnage. Là où le morceau était plus dur à avaler, c’est lorsqu’il lui énuméra ses soi-disant « pouvoirs » divins. Enfin, sauf le premier. Car force à elle de l’admettre, elle avait été témoin à maintes reprises de cette sorte de « don » qu’il avait, sur le terrain, lorsqu’ils interrogeaient des témoins ou appréhendaient des suspects. La suite, mentionnant morts vivants et sorte d’équivalence à la pierre philosophale la laissèrent beaucoup plus perplexe.

« Vous ne m’aviez pas dit que vous étiez marié. » dit-elle à tout trac en croisant les bras et relevant le menton d’un air de défi. Puis elle abandonna l’air bravache et secoua la tête d’un signe d’impuissance. « Luc. Vous vous doutez bien que je ne pas tout gober là comme çà, juste avec votre bonne parole. » Elle soupira. « Et n’allez surtout chercher à me réveiller un mort pour me prouver votre bonne foi ! » s’exclama-t-elle en levant une main vers lui, avec un rire nerveux. Elle ne doutait pas qu’il en serait capable. Bon sang, elle devenait aussi folle que lui ! « On va dire que je vous laisse le bénéfice du doute. On va faire comme si je vous croyais. Après tout, je suis une humaine sympathique et d’agréable compagnie, mmh ? »

Elle sourit à son tour et goûta un cookie. Le Diable savait faire des cookies, c’était plutôt un bon point non ? Elle s’inclina vers lui, et planta son regard azur dans le sien. « Et je dois admettre que dans le style diable tentateur, vous êtes plutôt doué. » Elle le dévisagea, oubliant presque de respirer. Comment cet homme aux propos complètement incroyables pouvait-il la troubler autant ? Elle tendit la main vers son visage, essuyant délicatement la commissure de ses lèvres du revers du pouce. « Vous aviez un peu de chocolat, juste là. » murmura-t-elle en guise d’explication à son geste.

Etait ce le fait de son absence prolongée durant sa convalescence, ou bien de le voir évoluer dans un tout autre contexte qu’au commissariat ou sur les lieux d’une enquête ? Toujours est-il que Kaitlyn avait cette sensation étrange de découvrir le consultant sous un nouveau jour. Différemment. Sans doute que le fait qu’il lui ait manqué durant ses six dernier mois quoi qu’elle en dise pesait également dans la balance. Elle n’aurait pu le jurer, mais quelque chose semblait avoir changé également dans le regard de Luc, et dans son attitude. Un je ne sais quoi de moins…désinvolte. De plus intense.

Tout comme elle devina qu’il avait l’intention de l’embrasser. Sa raison lui hurlait que c’était une mauvaise idée, très mauvaise même, mais pourtant Kait n’esquissa pas un geste lorsque le visage de Luc s’abaissa vers le sien, ne protesta pas lorsqu’il lui demanda si il pouvait, et le contact – relativement chaste et bref – des lèvres du consultant au coin des siennes l’électrisa toute entière. Il se recula légèrement, semblant s’inquiéter. Interdite, mortifiée en réalisant qu’elle en aurait voulu plus, beaucoup plus, Kaitlyn demeura muette, se contentant de secouer la tête pour rassurer son partenaire. Oui, il était allé trop loin. Si elle avait été raisonnable, c’était la réponse qu’elle aurait du lui fournir. Mais elle en était incapable. Elle recouvrait des sensations qu’elle n’avait pas ressenti depuis la mort de Paul. Avec un type qui se prenait pour le Diable grec ! Rien que çà. Elle était folle. C’était officiel.

Visiblement rassuré, Luc rebondit sur un autre sujet, voulant visiblement réellement prouver la véracité de ses dires. Sans lui laisser le temps de protester, il l’entraîna à sa voiture, soi-disant pour lui faire montre de l’étendue de ses talents. « Mais vous m’emmenez où comme çà ??? » Mystérieux jusqu’au bout, il s’arrêta devant un cimetière. Kait descendit de la voiture, ahurie. Mais quelle idée saugrenue avait-il encore derrière la tête ? Le vent ramenait ses cheveux devant son visage, elle les écarta d’un geste vif. « Une pierre ? » Elle regarda Luc d’un air interloqué, hésitant entre rire nerveux et agacement. « Une pierre ? » répéta-t-elle, consternée. « Vous êtes sérieux ? » Elle croisa les bras sur sa poitrine le toisant d’un regard de défi, non sans au préalable avoir consulté l’heure sur sa montre. Heureusement, elle avait encore une heure avant que Cordélia ne sorte de l’école. « Et vous allez faire quoi avec cette pierre ? La changer en or ? » Kait haussa un sourcil circonspect.  Elle se baissa et ramassa le premier caillou qui lui tomba sous la main. « Celle-ci fera l’affaire ? » demanda-t-elle en réprimant un soupir, tout en lui tendant ledit caillou.

Toute cette situation était complètement absurde. Elle, si rationnelle et cartésienne d’ordinaire, apportait du crédit malgré elle à un homme qui se prétendait être un Dieu. Ou plutôt un diable en l’occurrence. Complètement absurde. Et pourtant, elle était là, avec lui, jouant le jeu. Et pire encore, elle commençait à réaliser qu’elle éprouvait quelque chose pour lui. Quelque chose qui n’avait rien de professionnel.

Kait observa Luc d’un œil circonspect tandis qu’il enterra la pierre. Appliqué, il ajouta même une tige de fleur pour marquer l’emplacement. La jeune femme se tenait à ses côtés, bras toujours croisés. Elle n’arrivait pas croire qu’elle était vraiment là, à faire ce qu’elle faisait. Etait-elle en train d’apporter du crédit à un malade mental ? Pire, était-elle attirée par un malade mental ?  Si sa raison refusait en bloc d’y croire, et poussait son scepticisme à l’extrême, son cœur lui, semblait vouloir accorder le bénéfice du doute. D’où sa présence au cimetière avec Hellking.

Ce dernier se mit à lui expliquer d’un ton docte que le lendemain ce simple caillou serait devenu diamant.  Kait haussa un sourcil, réprimant un sourire. C’était donc aussi simple que çà de faire richesse, du moins pour lui visiblement. « Et qu’est ce qui me prouve que ce n’est pas vous qui allez revenir d’ici demain pour faire l’échange ? » demanda-t-elle alors d’un air narquois. Tout ceci était vraiment insensé. Et elle était peut être encore plus folle que lui de jouer son jeu.

Luc revint à des choses plus pragmatiques, et tangibles, en mentionnant Cordélia. Une fois de plus, il l’étonnait. Rien ne l’obligeait à se préoccuper d’une façon comme d’une autre de sa fille. Encore moins de lui faire des cookies comme cet après midi, et songer à aller la chercher à son bus scolaire. Le sourire de Kaitlyn s’élargit, son regard s’adoucit. « Vous savez que vous êtes quelqu’un de vraiment surprenant ? » Elle s’approcha et l’embrassa sur la joue. Comme çà. Spontanément et sans raison apparente. Parce qu’elle en avait envie. Peut être avait-elle envie de le surprendre elle aussi. Sans attendre, elle s’écarta. « Vous avez raison, ne soyons pas en retard pour Cordy. Ses cookies l’attendent. » Sur ce, elle regagna la voiture de Hellking.

Ils arrivèrent juste à temps pour réceptionner la demoiselle à la descente de son car. A la vue de Luc, le visage de la petite fille s’illumina, et elle courut droit dans ses bras. Un mystère de plus aux yeux de Kait. Cordélia avait immédiatement adopté Luc, sans même réellement le connaitre. Lui-même, pas forcément l’archétype du père idéal, semblait avoir une « connexion » avec sa fille qu’elle ne saurait expliquer.

« Luuuuc !!!!! Je suis trop contente de te revoir » s’exclama Cordy, aux anges. « Tu restes avec nous hein ? Tu t’en vas pas tout de suite ? » Deux grands yeux sombres papillonnants et suppliants fixaient le consultant tandis que ses petites mains agrippaient la veste de ce dernier. Kaitlyn vint à son secours et posa  sa main sur les épaules de sa fille.  « Cordy ma chérie, tu sais, Mr Hellking a peut être du travail à faire. » Elle jeta un regard à Luc. Elle lui laissait une porte de sortie si il le souhaitait. Mais au fond d’elle, elle espérait autant que Cordélia sinon plus qu’il reste encore un peu en leur compagnie.

Si Kaitlyn s’aperçut du trouble qu’elle avait généré en Luc quand elle l’embrassa, elle n’en montra rien. Malgré toutes les interrogations sans réponses qu’il soulevait en elle, et la part de mystère qui flottait autour de lui, elle prenait conscience que quelque chose avait changé entre eux. Leur relation évoluait, et le fait qu’il lui prenne la main pour retourner à la voiture en était un parfait exemple. Et elle n’aurait su dire si elle en était heureuse ou si cela l’effrayait. Sans doute les deux à la fois.

L’arrivée de Cordélia permit de faire une diversion joyeuse. Comme chaque fois, elle s’étonnait de voir sa fille si vite conquise par le consultant. Cette dernière était en adoration devant lui. Avec un pincement au cœur, Kait songea que l’enfant recherchait très certainement une figure paternelle dans son entourage et avait jeté son dévolu sur Hellking. Luc prit Cordy dans les bras, exprimant le fait qu’il serait heureux de rester avec elles pour la soirée. Kaitlyn sentit à cet instant précis que la situation lui échappait. D’autant plus lorsqu’il enchaina sur le fait qu’elle-même ne le croyait pas et qu’en restant avec elles, il ne pourrait pas manigancer quoi que ce soit, faisant allusion à la pierre qu’ils venaient de mettre en terre. Kait n’eut pas le temps de répliquer quoi que ce soit que sa fille monopolisa la conversation.

« Maman est dure avec toi. » lui confia-t-elle sur un ton de connivence. « Moi aussi souvent elle me croit pas quand je lui dis que je vais pas faire de bêtise. Mais t’en fais pas, elle t’aime bien alors elle te grondera pas.» Sourire jusqu’aux oreilles, dévoilant des dents de lait manquantes. Kaitlyn manqua de s’étouffer en entendant sa fille et ses joues s’empourprèrent. « Jeune fille, ceci est une autre histoire. » dit-elle d’un air faussement sévère. Elle regarda Luc. « Mais je suis contente aussi que Mr Hellking reste avec nous un peu. » poursuivit-elle avec un sourire.

Kait se dirigeait déjà vers la maison, lorsqu’elle entendit Cordélia s’adresser de nouveau à Luc. Apprendre à conduire ? Lorsque ce dernier acquiesça, elle se retourna d’un bloc et le fusilla du regard. « Vous êtes sérieux ? Apprendre à conduire à une enfant de huit ans ? » Elle ne savait même plus si elle devait se fâcher ou en rire, devant les mines contrites des deux comploteurs. Hellking se rattrapa en ajoutant à l’attention de Cordy qu’elle attendrait ses seize ans. Kait leva les yeux au ciel. « Va vraiment falloir que je vous ai à l’œil tous les deux. » Mains sur les hanches, regard faussement sévère, elles les toisaient depuis l’entrée de la maison. Elle ouvrit la porte. « Allez, le goûter attend ! »

Elle s’effaça pour les laisser entrer. Cordélia sauta des bras de Luc pour se précipiter dans la cuisine. « Ouaiiis, des cookies choco !! » La voix réjouie de la petite fille retentit. Kaitlyn retint Luc par le bras, et plongea son regard dans le sien. « Merci. Merci d’être comme vous êtes avec Cordélia. Elle vous aime beaucoup vous savez. » Elle se retint d’ajouter : comme moi. De toute manière, il suffisait qu’il lise dans ses yeux pour le savoir. Elle poursuivit. « Mais vous n’êtes pas obligé vous savez… je sais combien elle peut se montrer… envahissante. » L’enfant revint déjà à la charge, toute barbouillée de chocolat autour de la bouche. « Vous venez ? » Elle attrapa la main de Luc. « Tu veux jouer au monopoly avec nous ? »

Au fond d’elle, Kaitlyn avait le cœur gonflé d’émotion lorsqu’elle lisait la joie dans les yeux de sa fille, et la connivence qu’il existait entre elle et Luc. Elle se rendait compte que Cordélia, si elle était heureuse, souffrait du manque d’une figure paternelle dans sa vie, encore plus depuis la disparition de Silas, qu’elle considérait comme un « tonton ». Hellking était loin d’être la candidat idéal au premier abord, et pourtant, le résultat était là. Il lui avoua par ailleurs qu’elle lui rappelait sa propre fille. Kait avait encore du mal à se faire à l’idée qu’il puisse être père. Surtout vue l’histoire familiale évoquée. Une chose était sûre, avec Cordélia elle le découvrait sous un nouveau jour, à dix milles lieues de l’image qu’il donnait de lui-même à l’extérieur ou même au commissariat.

Plus qu’enthousiaste, Cordélia bondit pour aller chercher le jeu de société. Sa mère l’interpella, lui cassant son élan. « D’abord, va te débarbouiller la figure jeune fille ! » Cordy grimaça, mais daigna aller dans la salle de bain se passer de l’eau. Luc suivit Kait dans le salon, lui expliquant que sa propre fille lui manquait, et lui conseillant de profiter de l’enfance de Cordélia car cela passait trop vite. La jeune femme ne put qu’acquiescer en retour. Effectivement, elle n’avait pas vu ces huit dernières années passer, et s’étonnait de la vitesse à laquelle grandissait sa fille, de jour en jour. La réflexion de Luc sur la période adolescente la fit rire à son tour. Avant qu’elle n’ait le temps de rétorquer quoi que ce soit, Cordélia était de retour avec le Monopoly et donna les directives aux deux adultes.

Kait était assise à côté de Luc à même le sol, dans l’espace exigu du petit salon, ils étaient si proches que leurs épaules se frôlaient. Son étrange regard à son encontre ne lui échappa pas. Son pouls s’accéléra. Bon sang, qui était réellement cet homme ? Luc Hellking était connu pour ses frasques et ses excès. Drogue, alcool, sexe…. Il ne se cachait de rien, et se vantait d’être un fêtard devant l’Eternel. Mais alors pourquoi était-il là, dans son salon, à prendre plaisir à jouer à un jeu de société on ne peut plus banal avec une gamine ? Passer l’après midi à faire des cookies dans SA cuisine ? Aller chercher Cordy au bus ? Où est-ce que cela pouvait les mener tous les deux ? Elle-même, qu’attendait-elle de lui ? Elle avait mis sa vie privée en off à la mort de son mari. Mis un point d’honneur à élever seule sa fille et être totalement indépendante. Elle s’était tenue à ces règles jusque là. Et voilà que depuis peu, elle laissait entrer cet homme dans sa vie, celle de Cordélia, dans sa maison, et pire, dans son cœur. Cet homme qui au premier abord pouvait paraitre instable, insupportable même. Quand est-ce que les choses avaient commencé à changer entre eux ? La voix de sa fille la tira de ses réflexions.

« Maman, je peux prendre des bonbons ? » Kait la regarda, et failli répliquer non. Puis se ravisa. Après tout, un peu de laxisme le temps d’une soirée ne pourrait faire de mal à personne. « D’accord. A la condition que tu te brosses bien les dents avant d’aller au lit tout à l’heure. » L’enfant ne se fit pas prier et se précipita vers la cuisine chercher son butin, non sans leur rappeler avant de l’attendre pour commencer à jouer. Kaitlyn reporta son attention sur Luc.

« Dites… pourquoi vous m’appelez tout le temps « lieutenant » ? Et pas Kait ou Kaitlyn ? » demanda-t-elle à brûle-pourpoint. Leur proximité la troublait plus que de nature. Et le contexte n’aidait pas. Elle se rappela la sensation de ses lèvres sur les siennes, brève mais intense. Et lui, qu’avait-il ressenti ? Kaitlyn réalisa qu’elle avait envie de réitérer « l’expérience ». Elle tourna son visage vers lui, se rapprochant sensiblement. « Luc, je… » Elle n’eut le temps d’aller plus loin, que Cordélia revenait déjà les bras chargés de sucreries en tout genre. Avec emphase, elle posa le saladier devant eux, tout sourire. Kait reprit vivement sa position initiale, sentant ses joues s’embraser. Une fois de plus. Bon sang, elle avait failli l’embrasser là, dans le salon, sous le nez de sa fille ! Perdait-elle la tête ? Cordélia fit de nouveau diversion. « Luc, tu veux quel pion ? »

La soirée se déroula au rythme des lancés de dés et éclats de rire. Le repas du soir improvisé se constitua de pizzas, pour la plus grande joie de Cordélia. A vrai dire, d’aussi loin que se souvienne Kait, cela faisait très longtemps que mère et fille n’avait pas passé une aussi bonne soirée. Etant en adoration devant Luc, la petite était aux anges et ravie. Quant à Kaitlyn… elle se sentait bien, tout simplement. S’en était d’ailleurs presque effrayant. Comment cet homme, de part sa simple présence, pouvait-il mettre autant de baume au cœur à sa maisonnée ? Et en elle-même ?  Elle le découvrait de plus en plus sous un nouveau jour, qui n’était pas pour lui déplaire. Exit le consultant insubordonné et infernal – si tant est que le terme était approprié vu les circonstances. Luc se comportait avec Cordy comme un véritable « père » de famille. Difficile à croire en le voyant là, dans son salon devant le monopoly que c’était là le même homme dont on ne comptait plus les frasques nocturnes et les abus en tout genre. Qui donc était réellement Luc Hellking ? Plus Kait se posait la question, moins elle avait de réponse, et plus le mystère s’obscurcissait autour de lui.


A vingt deux heures, Cordélia montra les premiers vrais signes de fatigue. Devant ses réticences à aller au lit, Luc se proposa tout naturellement d’aller la mettre au lit. Il n’en fallait pas plus pour que l’enfant obtempère sans rechigner, effectuant même de bon cœur le rituel du brossage des dents. Pendant ce temps, Kaitlyn commença à ranger le jeu et le salon, débarrassant les cartons à pizza dans la cuisine. Tandis qu’elle nettoyait les dernières miettes, elle entendit la porte de la chambre de sa fille se refermer et Luc la rejoint. Elle se tourna vers lui, sourire aux lèvres, et prit soudainement conscience qu’ils étaient seuls à seuls maintenant. Son cœur battit un peu plus vite.

Luc prit alors la parole, la fixant d’un regard intense, répondant à la question qu’elle lui avait posé plus tôt dans la soirée. Elle ne put que remarquer également la transition du vouvoiement au tutoiement. Tandis qu’il lui expliquait pourquoi il l’appelait par son grade plutôt que son prénom, et la façon dont il la voyait, la respiration de Kait s’accéléra et un frisson d’anticipation la parcourue. Il était sur le point de l’embrasser, elle le sentait dans chaque fibre de son être. Si bien qu’elle ne fut pas surprise lorsqu’il se décida enfin à venir à elle. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était sa réaction à elle. Lorsqu’il prit son visage entre ses mains et posa ses lèvres sur les siennes, son corps s’embrasa. Instinctivement, elle noue ses bras derrière sa nuque et se pressa contre lui, tout en répondant à son baiser avec une ferveur qu’elle ne se connaissait pas.

Le souffle court, elle s’écarta légèrement le temps de reprendre un peu ses esprits, le cœur battant à tout rompre. Qu’était-elle en train de faire ? Ce n’était pas son genre de s’abandonner ainsi à ses pulsions avec un homme, chez elle, avec sa fille qui dormait dans la pièce d’à côté. Et pourtant, malgré les révélations de ce dernier, elle ne regrettait rien. Elle releva son regard, cherchant le sien. « Qu’est-ce qu’on est en train de faire Luc ? » demanda-t-elle alors, la voix rauque de désir contenu.

Kait se perdait dans les prunelles obsidiennes de son partenaire, tandis qu’il lui expliqua qu’ils étaient en train de dépasser les limites qu’il s’était posé…. Que c’était trop tard vis-à-vis des sentiments. Son cœur fit une embardée tandis qu’il reprenait possession de ses lèvres avec ardeur. Luc la souleva avec aisance, comme si elle ne pesait pas plus lourd qu’une plume, et elle se retrouva assise sur le plan de travail de sa cuisine.

Kait était submergée de désir, et par ses émotions, et avait la sensation que de la lave en fusion coulait dans ses veines. Elle réprima un gémissement tandis que les lèvres de Luc quittaient les siennes pour courir le long de sa gorge avant de remonter à son oreille. Sa main sur la peau nue de son dos la brûlait tellement ses sens étaient exacerbés. C’était de la folie pure… et qu’est ce que c’était bon d’être fous ! S’il s’éloignait d’elle maintenant, s’il la repoussait là, elle avait le sentiment confus qu’elle en mourrait.

La voix de Luc retentit à son oreille, lui murmurant des mots qu’elle n’aurait jamais espéré entendre de sa bouche. Et malgré ses antécédents plutôt sulfureux, et ses frasques qui bâtissaient sa réputation nocturne, Kait avait l’intime conviction qu’il était sincère. Qu’il ne se jouait pas d’elle. Son instinct le lui soufflait. Peut être aussi parce qu’elle avait envie de le croire. Elle plongea son regard dans le sien, laissa courir les doigts sur le visage de son compagnon, laissant son esprit en ébullition assimiler les paroles de ce dernier, déclaration enflammée en bonne et due forme, à laquelle elle ne s’attendait pas.

« Luc… » Elle savait qu’il lui laissait le choix. Le pouvoir sur lui. Cette marque de respect la touchait profondément. En elle se bataillait son cœur et sa raison. Son cœur lui frôlait l’implosion. Elle aussi, elle le voulait. Lui. Elle avait refoulé jusqu’à présent ses sentiments, minimisé l’ampleur. Par peur. Peut de souffrir, peur de l’inconnu. Peur des responsabilités et conséquences vis-à-vis de Cordélia. Cordélia qui adorait Luc et vice versa. Elle en avait eu la preuve flagrante ce soir. Sa fille ne pouvait servir de paravent à ses propres craintes. Avec la sensation d’être sur le point de sauter dans le vide sans filet, elle sut alors ce qu’elle devait lui répondre. « Je n’ai pas pour habitude de mélanger sentiments et boulot. J’ai mis les hommes à distance depuis que le père de Cordy est mort. » Elle glissa sa main dans la chevelure ébène de son compagnon. « Mais avec toi c’est différent. C’est toi que je veux. » avoua-t-elle enfin. Et comme pour sceller cet aveu, elle l’embrassa à nouveau, tout en cherchant à déboutonner sa chemise.

Peut être était-elle en train de faire une bêtise. Mais après toutes ses années de « sagesse » où elle s’était oubliée, elle pouvait voler un petit peu bonheur non ? Et à cet instant précis, dans les bras de Luc, elle était heureuse.

Les premières lueurs du jour filtraient à travers les persiennes, chatouillant le visage de Kait. Lentement, elle s’extirpa des limbes du sommeil, tandis que les souvenirs de la veille affluèrent à sa mémoire par bribes. Les révélations de Luc, l’escapade au cimetière, la soirée monopoly avec Cordélia. Et après. La sensation de ses lèvres et de ses mains sur sa peau. Leur corps à corps enflammé. Luc s’était montré un amant attentionné et attentif. Il lui avait fait découvrir des sommets de plaisir qu’elle n’aurait jamais cru possible d’atteindre. Fort heureusement, Cordélia avait dormit comme une souche toute la nuit, nullement dérangée par leurs ébats.

Kaitlyn aurait pu en rougir, ou éprouver des remords. Mais il n’en était rien. A dire vrai, elle ne s’était pas sentie aussi bien depuis longtemps. Même du temps du vivant de Paul, s’était…différent. Elle n’aurait su l’expliquer. Elle s’était sentie plus femme que jamais entre ses bras.  Elle s’était sentie…à sa place, aussi étrange que cela puisse paraître. Cet homme exerçait une attraction sur elle qu’elle ne pouvait expliquer. Du mouvement attira alors son attention, tandis qu’elle déliait progressivement chacun de ses muscles. Elle se tourna en s’étirant comme un chat. Le lit était vide, et elle vit alors entre ses paupières mi-closes Luc en train de se rhabiller, l’air préoccupé.

Elle l’observa un instant en silence avant de se redresser sur son séant, plaquant le drap sur sa poitrine nue d’une main. Elle fronça des sourcils, tandis qu’une boule d’angoisse commençait à étreindre sa gorge. Eprouvait-il des regrets ? Avait-il l’intention de fuir avant son réveil, comme un voleur ? Elle s’était aperçue cette nuit qu’elle était irrémédiablement tombée amoureuse de cet homme, aussi infernal ou illuminé qu’il soit. Sans doute était-elle encore plus folle d’offrir ainsi son cœur, son corps et son âme à Luc Hellking, mais de toute manière il était trop tard pour revenir en arrière.

Cette fois-ci totalement réveillée, elle se décida enfin à prendre la parole, gorge nouée. « Luc ? Tu t’en vas ? » Kait se passa une main nerveuse dans ses cheveux emmêlés. Peut être qu’elle se montait la tête toute seule. Peut être qu’il ne voulait tout simplement pas que Cordélia le surprenne avec sa mère au saut du lit tôt le matin. La petite fille était loin d’être idiote et devinerait parfaitement ce qu’il se passait entre les deux adultes. Sans doute avait-elle déjà des soupçons, cela n’aurait guère étonné Kaitlyn, tant sa fille était perspicace. Pour l’heure, la maison silencieuse lui indiqua que l’enfant était encore plongée dans le sommeil du juste.

La jeune femme ferma les yeux, cherchant à contenir ses inquiétudes. Cela ne lui ressemblait guère et elle détestait être comme çà. Elle aurait aimé qu’il l’embrasse à nouveau, sentir ses mains explorer encore son corps. Elle mourrait d’envie d’en faire de même, mais dans l’immédiat l’expression préoccupée de son visage qu’elle avait surpris en se réveillant la taraudait. Néanmoins, refusant de demeurer passive, elle se leva, traînant le drap avec elle, et le rejoignit. « Hey… çà va ? » demanda-t-elle alors doucement, tout en caressant la joue rugueuse de son compagnon de sa main libre, son autre main tenant maladroitement le drap autour de sa nudité.