Alone Together

Kasumi leva enfin les yeux de la pile de feuilles éparpillée sur son plan de travail. Elle s’étira en poussant un soupir de soulagement, elle avait passé beaucoup trop de temps dans cette position et ses muscles protestèrent douloureusement. Après de longues heures à travailler que ce soit sur les affaires de l’entreprise ou sur ses cours de droit, elle en avait enfin terminé pour la journée. Ou plutôt la nuit au vu de l’heure tardive. Bien sûr, elle aurait pu partager sa charge de travail pour en faire un peu chaque jour, il n’y avait rien d’urgent après tout. Mais elle aimait la sensation de travail accomplie après un dur labeur, et puis elle pouvait se permettre de ne pas compter les heures, elle n’avait pas de besoin à combler, comme le commun des mortels. Le dieu japonais rangea tous ses dossiers, prenant le soin de ne pas mélanger ses différentes affaires, puis il se leva, quittant le confort plus que relatif de son bureau.

Il n'y eut que le silence l'accueillir lorsqu'elle arpenta les couloirs de sa demeure, seule sa respiration et le tapotement de ses pas contre le carrelage perturbaient la quiétude du lieu. Plongée dans son travail, Kasumi n'avait pas entendu le moindre bruit attestant que les domestiques avaient regagné leur logis à la fin de la journée. De plus, son lien avec Asaki l'informa en prime que celui-ci n'était pas dans les parages. Sûrement un de ses combats clandestins. Elle ne doutait pas qu'il l'avait probablement prévenu de son départ, pourtant elle n'avait aucun souvenir de lui avoir parlé.

Aussi étrange que cela puisse paraître Kasumi avait perdu l’habitude d’être seule. En cet instant le manoir semblait tellement vide avec son unique présence pour remplir les lieux. Avec un peu de recul, elle se rendait compte qu’elle avait passé ces dernières décennies accompagnée de l’ombre de son disciple dans son dos. Si le sentiment ne lui déplaisait pas foncièrement, il n’en reste qu’elle le trouvait étrange, c’était un peu comme retrouver sur le pas de sa porte un animal que l’on aurait abandonné des années auparavant…

Kasumi réfléchit sérieusement à la façon dont elle allait passer le reste de sa nuit. Elle serait bien allée dormir, non pas par besoin, bien évidemment que non, mais juste parce qu’elle aimait rester allongée dans le confort de ses draps. Pourtant, son instinct lui soufflait qu’elle ne pourrait probablement pas fermer l’œil de la nuit tant que son disciple ne serait pas encore de retour. Elle pourrait aussi s'entraîner dans le dojo à l’arrière du manoir, mais dans ce cas elle ne serait pas certaine de l’entendre rentrer. Le dieu japonais avait l’impression d’être l’une de ses mères, inquiète de ne pas voir sa progéniture à la maison à l’heure du couvre-feu. Il claqua la langue, autant dire qu’il n’aimait ni la sensation ni la comparaison… Finalement, Bishamonten s’installa dans le salon après avoir récupéré la trousse de secours puis il attendit.

Par chance au bout de quelques minutes, Kasumi entendit la porte d’entrée s’ouvrir et une mince moue de soulagement étendit ses lèvres. Pourtant son sourire se transforma en une grimace de dépit en voyant les blessures d’Asaki. Ce n’était rien de grave ou nécessitant des soins immédiats. Comme d'habitude. Néanmoins, il était l’air légèrement plus amoché qu'à l'accoutumée. De là où elle était, elle pouvait déjà affirmer qu'il avait la lèvre fendue, peut-être un début d'hématome sur la mâchoire, si elle plissait les yeux. Elle l'appela et tapota le canapé invitant son disciple à s'asseoir à côté d'elle.
“- Je te préviens si tu as perdu, ne compte pas sur moi pour te consoler.”

Alone Together

L'adrénaline commençait à s’effacer peu à peu de son corps. Plusieurs longues minutes après le combat, il fallait s’y attendre. La sensation manquait déjà à Asaki. Au moins, sa soif de violence s’était apaisée. Il n’avait plus le besoin irrépressible de frapper quelque chose ou plutôt quelqu’un. Si on lui donnait l’opportunité, il n’allait pas hésiter bien sur. Cependant, il se sentait plus calme. Sa marche nocturne jusqu’au manoir de Kasumi y était peut être pour quelque chose. L’air frais était agréable même si Asaki n'y faisait pas face volontairement. A cette heure çi, il n'y avait plus de transport en commun. Peut être que c'était une bonne chose. Dans son état, il aurait certainement attiré des regards indésirable sur lui. Les gens n'approuvaient l'usage de la violence que lorsque ça les arrangeait.

Asaki arriva enfin au manoir et y entra. Il n'y avait pas un bruit. Les domestiques de Kasumi devaient tous être chez eux, la plupart ne dormant pas dans le manoir. Bishamonten devait lui travailler ou se reposer dans son lit. Après le vacarme des combats, le silence était agréable. Cependant, avec personne en vu, ses blessures au visage allaient devoir attendre un peu. Il n’avait rien de grave heureusement. Enfin… Il supposait. Il ne pouvait pas vraiment se regarder dans un miroir pour vérifier. La simple idée, de voir ce visage identique à celui du frère qu’il avait laissé mourir, le rendait malade. Cependant, c’étaient des blessures dont il avait l’habitude. Un bleu sur la mâchoire, une lèvre fendue, au moins il ne saignait pas du nez. Il toucha du bout des doigts son visage juste pour vérifier. Lorsqu’il regarda son index, il y avait un peu de sang. Probablement sa lèvre fendue. A part ça, il ne sentait rien de trop grave. Il y avait bien une douleur sourde à l'arrière de sa tête mais il s'y attendait. Après tout, son adversaire l’avait attrapé par le cou avant de lui frapper l’arrière de la tête contre le mur. Rien que d'y repenser le faisait grimacer.

Il se dirigea alors vers le salon. Son corps avait beau être épuisé, il savait bien qu’il n’arriverait pas à dormir. Son esprit tournait encore à toute allure. Peut être l’adrénaline qui s’attardait mais aussi ses insomnies qui revenaient. Alors il allait comater un peu devant la télé avant de retourner dans son lit. La chose la plus sensée à faire serait de s’occuper de ses blessures certes mais il n’en avait pas le courage. Il avait vécu pire, celle-là pouvait bien attendre.

Il remarqua rapidement que le salon n’était pas aussi vide qu’il ne l’avait pensé. Voir Kasumi ne l’ettonait pas plus que ça. Elle faisait ça parfois. Asaki ne faisait aucun comentaire sur son choix de l'attendre. Au contraire, il aimait sa présence. Ce qui le surprit un peu plus fut la grimace qu'elle afficha en le voyant. Est ce qu’il avait mal estimé ses blessures au visage?

“Tu vois quelque chose de grave?” Il demanda. Il porta de nouveaux sa main à son visage mais ne sentait rien de plus. Sans miroir, il ne pouvait rien faire de plus. Kasumi lui dirait à quel point il était amoché.

Il se laissa tomber dans le canapé, près de Kasumi. La douleur dans tout son corps le rappela à l’ordre immédiatement et il grimaça. Il laissa échapper un “Bordel”. Il espérait ne pas avoir de côte cassée. Ca c'était très douloureux et pendant longtemps. Juste pour vérifier souleva quand même son t-shirt. Là où son adversaire l’avait violemment frappé, juste au niveau de ses côtes droites, il avait à présent un énorme bleu qui faisait peine à voir. Le bleu était impressionnant certes, cependant, Asaki ne voyait pas de preuve que ces cotes soient cassés alors ça lui suffisait. Il remit son T-shirt correctement.

“Je n’ai pas perdu.” Il affirma finalement à Kasumi. Dans sa poche, quelques billets froissés attestaient de sa victoire. Ce qui ne voulait pas dire qu’il avait gagné facilement, comme le prouvaient ces nombreuses blessures dont le bleu qu’il fixait actuellement. Le fait qu’il ait sous-estimé sous adversaire ne l’avait pas aidé. Mais au moins, il ne referait plus la même erreur.  Enfin, à présent qu'il était rentré, il n'avait plus à y penser.

Alone Together

Kasumi ne manqua pas un seul instant la grimace de son disciple lorsqu’il s’assit enfin à ses côtés. Pas plus qu’elle ne manqua l’injure qui échappa de ses lèvres à cause de la douleur. Peut-être avait-il perdu au final, s’il était en si mauvais état… Le dieu de la discipline grimaça de concert avec son disciple lorsqu’il découvrit le large hématome ornant le flanc droit d’Asaki, malheureusement pour lui il y avait quand même une limite aux premiers soins et à la bonne volonté de sa divinité, l’ancien soldat allait probablement regretter les jours à venir ce combat. Kasumi se demanda vaguement qui avait bien pu être son adversaire ce soir. Elle connaissait parfaitement les capacités de son disciple après tout encore aujourd’hui ils s'entraînaient régulièrement ensemble. Pour que le japonais se retrouve dans cet état son opposant avait dû lui donner du fil à retordre.

À vrai dire Bishamonten, ne comprenait qu’à moitié, la quête quasi-constante de violence d’Asaki. Le dieu de la conquête ne voulait même pas imaginer la tête de ses proches s’il formulait à voix haute ce qu’il pensait. Pourtant, c’était bien un point qui les opposait de manière significative. La divinité guerrière aimait le combat, bien évidemment, mais lorsque pour elle la violence n’était qu’un moyen pour parvenir à une fin, pour son disciple la violence était la finalité à accomplir et la douleur un procédé souvent nécessaire pour y parvenir… Parfois, le dieu se demandait s’il avait bien fait de le changer en disciple. À l’origine, ce choix avait été motivé par son désir de protéger l’un de ses croyants, Kasumi voulait seulement lui donner une chance de surmonter le décès de son frère, faire quelque chose de plus grand avec sa vie plutôt que de la gaspiller sur un champ de bataille. Pourtant, depuis qu’il était à son service, elle avait la nette impression qu’il se mettait souvent en danger dès qu’elle relâchait son attention. Si elle ne regrettait en rien la présence d’Asaki à ses côtés, elle ne savait pas quoi faire pour qu’il se préserve un peu plus…

“Je n’ai pas perdu.” Kasumi laissa échapper un mince éclat de rire. Il avait gagné ? Vraiment ? Elle secoua sa tête essayant de se débarrasser de son sourire qui pourrait paraître malvenu. Mine de rien, elle était plutôt fière de lui, même si elle tentait au mieux de camoufler sa réaction, ils étaient trop proches l’un de l’autre pour qu’Asaki ne puisse pas percevoir ce qu’elle ressentait. Kasumi quitta le canapé pour venir s’agenouiller devant son disciple “Désolé, ça va faire très mal.” Elle souleva prudemment son T-shirt, et passa la main sur son flanc appuyant sur son côté meurtrie, c’était particulièrement désagréable, elle n’en doutait pas une seule seconde, mais c’était nécessaire pour s’assurer que ses côtes n’étaient pas cassées. Elle agit rapidement ne voulait pas le faire souffrir inutilement, au moins maintenant elle savait qu’elle n’avait pas besoin d’appeler une ambulance. C’était un maigre point positif, mais elle préférait ne pas être avide de bonne nouvelle.

Pour l’instant chaque chose en son temps, pour le moment, elle devait s’occuper de ses côtes. Kasumi soupira brièvement de ce qu’elle s’apprêtait à faire, mais même elle pouvait faire une entorse à ses règles, c’était pour une bonne cause. Elle prit le bras d’Asaki et le tint dans ses deux mains, puis elle se blinda contre la douleur qu’elle sentit déferler en elle. La Japonaise plissa les yeux et serra les dents tentant de masquer sa souffrance si maintenant elle avait l’impression que c’étaient ses propres cotes qui étaient fêlées en prime une douleur sourde tambourinait à l’arrière de sa tête. Le dieu inspira profondément, ce n’était rien, au cours de sa longue existence il avait connu pire.

“Tu devrais mieux te sentir maintenant. Profite quand même de demain pour te reposer, je saurais me débrouiller sans toi.” Elle retourna s'asseoir sur le canapé et fouilla dans la trousse de secours qu’elle avait eu la bonne idée de récupérer plus tôt. Elle sortit compresse, désinfectant et pansement pour traiter les plaies sur son visage, si elle le savait capable de bander par lui-même ses mains éraflées sans trop de difficulté, il aurait bien plus de mal à panser les blessures de son visage sans l’aide d’un miroir. Quand sa nouvelle migraine la rappela à l’ordre, elle trouva utile de demander “Tu ne te serais pas cogné la tête ?” Kasumi passa une main à l’arrière du crâne de son disciple à la recherche d’un début de bosse, pour se retrouver avec le bout des doigts couverts de sang.“Allonge-toi. Maintenant.” Elle désigna ses jambes lui faisant signe de poser sa tête. Quand même on avait pas idée de laisser son adversaire nous éclater la tête.