Le Deal du moment :
ETB Pokémon Fable Nébuleuse : où ...
Voir le deal

Partagez

 Vers l'infini et au-delà | Johan

Anonymous
Invité
 Vers l'infini et au-delà | Johan  Ven 4 Oct 2019 - 13:32

Alors qu’elle berce lentement son dernier né, en train de, repus, avoir la bonté de s’endormir, Genesis ne parvient pas à chasser de son esprit que sa vie est totalement en train de partir en quenouille. D’abord, il y a ces absences, qui la traînent à Philadelphie pour un oui ou pour un non, sans qu’elle ne parvienne à se les expliquer. Heureusement, jusqu’à présent, rien de fâcheux ne lui est arrivé, et c’est uniquement grâce à Nailea. Ensuite, il y a cet accident qui a failli leur coûter la vie, à elle, mais surtout à un agent de police… Un regard sur son bébé, et elle se mord l’intérieur de la joue. Elle ne se souvient pas de l’accident, et pourtant, on ne lui a rapporté sa voiture adorée que pour lui faire savoir qu’elle ne roulerait plus jamais, plongeant Genesis dans un grand désarroi, une profonde tristesse. « Ce n’est qu’une voiture… » tente de la rasséréner Jack, mais rien n’y fait. Cette voiture, elle est pleine de souvenirs d’avec son père. Incapable de s’en séparer, la carcasse crève doucement derrière leur ranch. Un jour, peut-être, elle passera au-dessus de ce trauma. Mais, outre l’accident, duquel elle ne garde aucun souvenir, il reste la question de pourquoi fuir et rentrer, en courant, chez elle ? Ça n’a pas de sens ! Ça n’a pas le moindre sens ! Et puis… Et puis…

Et puis il y avait ces moments étranges dans l’intimité qu’elle partage avec son mari. Parfois sans interférence, ils sont aussi complices qu’ils l’ont toujours été, parfois… Parfois la seule perspective qu’il la touche la fait s’enfermer des heures dans la salle de bain. Genesis est perdue comme jamais elle ne l’a été auparavant, ne sait pas quoi faire d’elle-même, de sa vie… Elle ne sait même pas si elle doit creuser et chercher à savoir si, pendant ses déplacements en ville, Jack est bel et bien en train de la tromper… ça expliquerait, selon elle, pourquoi d’un coup sa libido explose. Comment réagirait-elle, en apprenant qu’il la trompe ? Est-ce qu’elle serait en colère ? Folle de chagrin ? Indifférente ? Elle-même s’effraie quand elle constate que le résultat, c’est qu’elle n’en sait rien, et penche tout juste pour un savant mélange de tout à la fois. Mais comment on peut être en colère, et indifférente à la fois ? A nouveau, alors qu’elle déambule dans sa cuisine, de gros chaussons en forme de chaussures d’elfes, verts, recourbés avec un pompon au bout, elle baisse les yeux sur son bébé. Au final, même si elle perd la boule, ses deux enfants sont les seules constantes de sa vie, le seul rôle, la seule relation qui ne lui échappe pas et dans laquelle elle se sent entière. Elle les aime. De tout son cœur. De toute son âme… Ses âmes… Pour eux, son cœur se gonfle à l’unisson.

Le bébé endormi et déposé dans son berceau, à l’étage, elle va entrouvrir la porte de la chambre de l’aîné pour vérifier que tout va bien… C’est le cas. Il dort, profondément, chose normale à cette heure avancée de la soirée. Récupérant un châle qu’elle pose sur ses épaules, la mère de famille retourne dans la cuisine pour se faire une tasse de thé. Outre ses deux enfants et elle, et les deux chiens qui ronflent dans le salon, la maison est vide. Ce soir, Jack est de nouveau de sortie. L’espace d’une seconde, elle est tentée d’allumer l’ordinateur et de vérifier la géolocalisation du téléphone de son mari, de vérifier ses mails… Chose qu’elle n’a jamais faite. Mais elle renonce. Ce climat de suspicion, elle le déteste. S’il s’avère que Jack a une aventure, elle finira par l’apprendre, quoi qu’il arrive.

Le sachet d’Earl Grey tombant dans sa tasse, la jeune femme se laisse haper par l’effet hypnotisant des volutes nées de la rencontre de l’eau chaude avec les feuilles de thé, qui tournoient lentement, avant de se mêler pour teinter de brun le liquide, à la base transparent… Ses yeux se révulsent.

On l’appelle. Elle l’entend. Elle entend la peur, elle a senti l’agonie. Ça a été violent, brutal. L’âme en peine ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle veut qu’on l’aide. C’est son rôle que de les aider. Alors elle se met en route, suit l’appel, obstinée, inconsciente, qui est comme le chant d’une sirène pour un marin, un fil rouge, un fil conducteur qu’elle ne perd jamais. Parce que les sons sont trop clairs, trop présents, trop entêtants. Parce qu’elle ne peut pas les ignorer. Parce que chaque fibre de son corps tend dans cette direction, comme s’il n’avait été conçu que dans cet unique objectif. A travers les brumes de l’inconscience, seul le chemin est clair. Tout autour n’est que flou, sans contour distinct, sans existence propre… Jusqu’à ce qu’elle la voit, au terme de son parcours. L’âme. Elle est là. Prostrée, éplorée, sur une forme quelconque. Sans doute ce qui a été son corps. Epona la voit. Elle porte ses mains à sa bouche, et siffle. D’elle, de sa propre lumière, jaillit alors un étalon, une bête somptueuse, vibrante. A ses yeux, en tous cas. Son bras se lève, sa main se tend. « Venez. » Elle appelle l’âme en peine, qui tourne vers elle un visage déformé par la peur et l’incompréhension. « Je ne devrais pas être morte… » Elle supplie, mais aucune réponse ne vient la contredire. « Tout ce qui vous attend ici n’est que peine et souffrance… Venez… » L’âme se relève. A contrecœur, jetant d’autres regards vers les restes de son corps, elle rejoint pourtant Epona, qui l’aide, ayant joint ses mains sous son pied, à la faire monter l’étalon. « Il vous conduira vers votre prochaine demeure… Tout ira bien, vous verrez… » Sa voix est sans âme, ses yeux sans iris. Elle flatte l’encolure de la bête, qui s’éloigne alors… Avant de disparaître dans un grand éclat de lumière.

Il est une heure du matin. La police de Philadelphie vient d’établir un périmètre de sécurité autour d’une scène de crime. Une femme vient d’être assassinée, de façon particulièrement brutale. Les badauds ont commencé à se rassembler tout autour, cherchant à nourrir leur appétit macabre. Pas un n’a pu voir l’échange entre les deux âmes. Pas un n’a pu voir cet étalon emporter la victime. Pas un ne prête attention à la femme qui vient de s’écrouler, sans bruit, derrière eux, emportée elle par l’inconscience…
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mar 8 Oct 2019 - 22:54
La journée avait été longue. Tout au long des heures qui passaient, je ne pensais qu’à une chose. Retrouver McKinney, l’appeler, et tout mettre en branle avec Lottie Becker. Mais non. Pas le temps. Les pistes se succèdaient les unes aux autres et c’était le bordel. Le sang continuait de couler et j’étais dépassé. Pas parce que je n’étais pas en capacité de battre chacun des obstacles mis sur ma route. Mais parce qu’ils étaient trop nombreux. La question des Mad Veterans n’était qu’à peine ouverte que déjà, la réalité du quotidien me rattrapait avec la finesse d’un pain dans la gueule. Le portable vibrait. Quelle heure ? Putain, 00h17. Rivera allait me prendre pour la dernière des pines. J’avais plus de quatre heures de retard. Et pas donné de nouvelles. Et avec tout ça j’ai fini par me retrouver aux quatre coins de la ville… Sans rien de très consistant à se mettre sous la dent. Des bouts de piste. Presque rien, si ce n’était que le plan pour tuer quelques enculés d’ex-militaires était quasiment au poil. Mais le portable vibre et je finis par décrocher alors que je suis en voiture.


Cadavre à Fairmount Park. Mon tueur.


Du moins, c’est ce qu’on me dit. Mais ça ne colle pas. La nana a été massacrée, cette fois. Du moins, c’est ce que je comprends. Le gars en bleu qui me prévient n’est même pas au courant de ce que signifie le SCU ; j’ai bien entendu la voix de son sergent qui répète de demander le capitaine McRawne. Ta gueule, connard, j’ai compris. J’arrive, alors. Et au lieu d’aller vers les bars ouverts H24 de la banlieue, je fais faire un tête-à-queue des familles avec mon vieux tacot de merde, tout juste réparé… Et je fonce vers le Park en question.


Comment ça peut être mon tueur si la meuf est massacrée ? Le mec de la patrouille ne savait pas encore donner son identité, ni sa profession, ni rien. Retrouvée nue comme un verre dans le parc. Les mêmes entailles que ce qu’on lui avait montré sur le réseau de la police. Du moins, c’est ce qu’ils en avaient tous déduits, mais le légiste était pas encore arrivé, ni personne de la criminelle. Massacrée quand même, parce qu’il ne restait apparemment pas grand-chose du visage de la jeune femme. Pourquoi il avait craqué ? Je me tournais ça dans le cerveau tout au long du trajet, après avoir fait biper le reste de l’équipe. Soit ils dorment, soit ils suivent leurs propres pistes. Dix contre un que Rivera va venir me casser les couilles avant la fin de la soirée. En attendant je stoppe le véhicule. Et je me demande toujours pourquoi. Pourquoi le visage, pourquoi maintenant ?


Je cogne contre le volant plusieurs fois, et pousse une série de jurons à moitié hurlés dans la voiture.


Quand je sors, clope au bec, et zippo qui claque. Y’a déjà quantité de badauds, et la scène de crime, pas loin de l’entrée du parc, est déjà balisée par les gars en bleu. L’ensemble est illuminé des gyrophares de la police et de l’ambulance, qui va transporter le corps quand le Coroner aura fait son taf. Le vent frais passe dans mes cheveux coupés courts. Je me félicite d’avoir pensé à la clope, même si je dois l’écraser du talon en passant sous les rubans jaunes. Je contemple le corps ruiné de la fille. Le vent se lève. Plus fort. Quelque chose se passe alors en moi. Le coeur gonfle. L’âme s’étend.


Je sens quelque chose que je n’ai plus senti depuis des siècles. Je tourne la tête. J’essaie d’apercevoir la source de ce malaise qui me prend à la gorge. Le gars en bleu fronce les sourcils et me demande si je vais bien.



| Appelez le Lieutenant Rivera. |


Laconique. Je suis déjà ailleurs. Je cherche ce que j’ai senti. Je sais déjà ce que c’est, pour l’avoir vécu un million de fois. Le voile de la mort, et la caresse du pouvoir de la déesse Psychopompe. Le palpitant du véhicule qui bat à mille à l’heure. Je sais que c’est elle. C’est obligé. Je fends la foule, après être repassé de l’autre côté de la zone sécurisée. Et finis par la trouver. Elle.


Genesis Romero. Mais ce ne sont pas ses émotions à elle que j’ai senties. Ce ne sont pas des émotions tout court, pas même celles de tous ces gens avides de sensations, qui se sont infiltrés le plus près possible du cordon de sécurité. Non, je sais ce que j’ai senti. Et alors je comprends. Je comprends tout. Ses questions. Cette proximité. Son affinité avec les choses qui me parlent depuis toujours. Sa beauté, aussi. Mais surtout ce vide qu’il y a eu, ce moment de flottement quand j’avais évoqué ma partenaire d’autrefois, mon binôme de toujours.


Epona.


C’est elle, que j’ai senti. Je suis le Protecteur de la Tribu, le Dieu du Ciel. Le Juge des Ames. Et elle, elle était la psychopompe qui emmenait les âmes des perdus vers Aballon, le territoire des morts. Je jugeais, elle envoyait. Ou elle m’envoyait ceux qu’elle jugeait dignes, et je tranchais. Elle a perdu connaissance. Je n’y crois pas. Je reste interdit, front plissé, sourcils froncés, haletant comme si j’avais couru le cent mètres. Mais non. Ce sont six siècles d’absence et de solitude qui m’écrasent au contact de celle dont j’ai tant rêvé. J’en pleurerais, si j’étais humain.


Mais je ne le suis pas.


Je m’agenouille près d’elle. Prends le pouls du véhicule. Elle va bien. Regard derrière moi. Personne ne l’a vue s’effondrer derrière ces massifs de buissons. Je la secoue légèrement. Je n’y crois pas. Je souris, je reprends mon souffle.



| Epona ? Hé, Epone… Putain de merde. Enfin, putain… Enfin ! |


Exit le milliard de questions qui me venait en tête. Exit la raison de son retour. Qui était derrière. Exit tout. Même ce qu’elle pourrait me raconter sur l’âme qu’elle venait d’emmener. Il n’y a qu’elle. Et que moi. Je prends sa main dans la mienne. J’y dépose un baiser, quand ma bouche barbue frôle sa main si douce


| C’est Teutatès. C’est moi… Réveille-toi, Epona! |
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mer 16 Oct 2019 - 18:02

Genesis a l’impression de flotter. Dans le noir. Il n’y a pas un bruit, pas un souffle. Elle pourrait se croire aveugle, sourde, peut-être même muette, mais elle sait avec cette certitude semblable à celle des rêves qu’il n’en est rien. Elle est juste… Là. Comme en transit. Elle attend. Elle lève la tête. Plus haut, Il y a comme une lumière. Elle a beau tendre les doigts, elle ne parvient pas à l’atteindre. Alors elle attend, de moins en moins calme, de plus en plus paniquée. Elle crie, tourne en rond… Jusqu’à ce que d’elle-même jaillisse une silhouette, entièrement lumineuse, aux contours d’abord indistincts… Avant que la lumière ne s’affaiblisse, et que l’éleveuse de chevaux ne se retrouve face à une femme qu’elle n’a jamais vue. Cette femme, plutôt grande, voluptueuse, est d’une beauté à couper le souffle. Ses cheveux d’ors, ses cheveux d’or interminables, flottent sur ses épaules, dans son dos, s’enroulent au sol. On dirait Raiponce, en plus… Femme ? « Bonjour. » Elle dit, la panique la quittant face à cette vision qu’elle ne s’explique pas, vision qui l’observe en souriant légèrement, mais pas comme sourirait une femme heureuse, non… Elle n’exprime plutôt qu’une profonde tristesse. « Bonjour, Genesis. » L’apparition reprend, sur un ton doux, qui surprend sa vis-à-vis. « Vous connaissez mon nom ? » Son étonnement est palpable, la femme qui n’en est pas une reprend en hochant la tête en signe d’affirmation. « Je te connais par cœur, Genesis… »

La peur, plutôt sourde, impalpable, commence à saisir l’éleveuse de chevaux. « Qui êtes-vous… ? » Le sourire de l’apparition se fane. « Tu me connais aussi… Jack Romero t’a beaucoup parlé de moi… » Violent, un mal de tête s’empare de Genesis, lancinant, alors que lui reviennent des images d’une scène où son mari et elle font l’amour, entourés de bougies. « De quoi vous parlez… ? Comment vous connaissez mon mari… ? » L’apparition renoue avec son sourire, profondément triste. Délicate, elle pose ses mains sur les épaules de l’éleveuse de chevaux, et lui embrasse le front. « Tu es une femme forte, Genesis… Mais tu ne peux pas gagner contre moi… Je finirai par te détruire… » Au fond d’elle-même, ce qui sonne comme une vérité absolue retentit dans ses tripes, la portant aux portes de la panique. Epona ? Hé, Epone… Les deux entités lèvent la tête. La voix, familière, vient d’en haut, de la minuscule lumière. Epona baisse les yeux et croise le regard, terrifié, de Genesis. « Pardonne-moi, si tu le peux… » L’angoisse prenant le dessus, la brune secoue rapidement la tête en signe de négation. « Non non non non non non… » Perdant le sens commun, elle se jette sur l’apparition, qui commence à lutter à son tour, jusqu’à ce que… C’est Teutatès. C’est moi… Réveille-toi, Epona ! Elle trouve la force, rejette Genesis et l’écrase, tendant les doigts vers la lointaine lumière…

Et n’ouvre des yeux, paniqués, sur le monde, inspirant un grand coup comme si c’était la première fois depuis des années. Des siècles. Beaucoup d’incompréhension, la panique de Genesis est toujours présente, sous peau. Epona se met à trembler, regarde dans toutes les directions, essaie de comprendre ce qui est en train de lui arriver, de comprendre qui est là, en face d’elle, avec sa main dans la sienne… Et puis… Et puis le bleu de ses yeux accroche le noir des siens, et elle s’ancre dedans comme un navire se focalise sur un phare en pleine tempête. D’abord effréné, son rythme cardiaque se calme graduellement. Elle ne reconnaît pas le visage qui la couve de cette manière, mais il n’y a jamais eu qu’une seule âme pour la regarder ainsi. « C’… C’est t… Toi… » Elle bégaie, émue, avant de se jeter à son cou, éperdue. Elle le serre, comme un enfant serrerait sa peluche un soir d’orage, comme une noyée serre sa bouée de sauvetage. Ses sourcils se froncent, et elle, elle pleure. Elle pleure ses morts violentes, elle pleure ses années d’absence. Elle pleure les années passées sans lui, sous le joug de son frère. Elle pleure sa peur, elle pleure son appréhension… Et enfin elle pleure Genesis, qu’elle sent, encore là, mais faible de désespoir.

Finissant par se rasséréner, elle finit par relâcher Teutatès et se recule, s’essuie les yeux. « Où sommes-nous ? En quelle année ? » Combien de temps depuis sa dernière mort ? La déesse n’a plus aucun repère, ni spatial, ni temporel. « C’est quoi, tout ça ? Que font tous ces gens ? » Elle demande, la vue agressée par les flashs rouges et bleus des gyros des voitures de flics, l’agitation ambiante et les commentaires qui se voudraient à peine audibles des badauds, et les déplacements incessants des hommes en uniforme… Elle finit par en revenir vers son compagnon. « Quelqu’un est mort violemment, c’est ça ? » Auparavant, elle restait consciente lors de l’utilisation de son pouvoir de psychopompe. A présent, c’est tout juste si elle parvient à comprendre qu’elle a été sollicitée… La décadence, un naufrage…
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Dim 20 Oct 2019 - 15:51
Je n’y croyais pas. Le véhicule perdait totalement les pédales, et tout ce corps d’humain était concentré sur une seule et unique chose ; le corps de femme que j’avais sous les yeux, faiblement éclairé par la pollution lumineuse qui rendait toujours un éclat orangé sur les nuages et troublait la nuit de son obscurité de jadis. La jeune femme, que je pensais humaine, était belle comme la première fois que je l’avais vue. Un corps de rêve, selon les standards des hommes. Longue crinière brune, corps souple et agile, musclé par une vie de labeur, et cette sensualité qui ne saurait être qu’à elle. Aussitôt que je me rends compte de sa nature, de ce qu’il y a à l’intérieur de son âme, je sens aussitôt poindre un intense sentiment de culpabilité, qui me serre le coeur et me gifle l’âme.


Tu l’as tuée, Teutatès. Un certain nombre de fois. Beaucoup trop.


Parce qu’Epona avait été plus loyale au Dieu du Ciel qu’à celui de la guerre, parce qu’elle l’aimait de l’amour inconditionnel et irrépressible qui relie les divins, parce que nous n’avons simplement pas le choix que de nous aimer depuis notre naissance ; créés à deux, nous sommes identiques, nous sommes complémentaires. Je me sens d’un coup vidé de toute énergie, de toute ma détermination. J’oublie le tueur pour une seconde, avec le sentiment qu’enfin, je ne suis plus seul. Comme si on m’avait recollé cette moitié que j’avais épousée totalement, sans la moindre ambiguïté, comme si je faisais enfin un, au lieu d’un demi.


Epona me renvoie mon regard. Je vois dans le fond de ses prunelles noires qu’elle me reconnaît. Mon visage se crispe de bonheur, d’émotion et de ce sourire qui jadis n’était que pour elle, dans le cadre de notre intimité. Loin, si loin du masque guerrier qu’arborait sans arrêt Teutatès, le fort et dominateur Protecteur des Tribus, et serre plus fort encore sa main dans la mienne.



| Oui c’est moi. Teutatès. C’est moi, Epone. |


Je l’avais toujours prononcé ainsi, comme le faisait jadis ma tribu d’origine quand Epona était un nom plus prisé dans les tribus du sud, puis romanisé sur cette tonalité après notre défaite lors de la guerre de conquête subie par nos fidèles, une éternité plus tôt. Je la serre contre moi, je respire son odeur alors qu’elle est quasiment nu, dans le genre de « pyjama » que les humains utilisaient de nos jours ; il couvrait à peine sa peau si chaude. Je la sens pleurer contre moi, bien loin de l’image de la déesse protectrice et guerrière de jadis, mais je ne peux pas moi-même lutter contre l’humidité qui se renforce dans les yeux de mon véhicule, tant l’émotion nous submerge tous les deux.


| Je suis désolé, Epone. Je suis tellement désolé. Tout ça, c’est ma faute. J’ai été trop fier, trop orgueilleux. |


Et j’avais causé sa mort. Et pas qu’une fois. La dernière avait été  encore plus atroce, et j’entendais encore ses hurlements au moment du supplice, quand j’essayais de franchir la barrière de la foule et des hommes en armes pour la rejoindre. La brunette me demande après m’avoir relâché, où nous étions et en quelle année. La gorge serrée, je me rendais compte de tout ce qu’il y avait à savoir, à lui dire. Elle reprendrait le contrôle à terme, via le véhicule qu’elle avait emprunté.


Il y avait tant de choses à rattraper, à lui dire et àlui expliquer.



| Nous sommes aux Etats-Unis. C’est de l’autre côté de l’Océan, par-delà le couchant. Nous sommes plus de six siècles après ta… Ta disparition. |


Je n’avais pas dit le mot « mort » car elle se doutait bien qu’elle avait encore été tuée, mais je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie, ni dans les siennes, ni dans les miennes. Elle est complétement perdue maintenant, c’est un fait. Je la serre contre moi, souffle contre son oreille, dans ses cheveux.


| Le monde a beaucoup changé, Epona. Mais certaines choses restent toujours les mêmes. Une femme a été tuée. Je suis sur les traces de celui qui a fait ça. |


Je l’embrasse sur le cuir chevelu. Me débarrasse de mon blouson de cuir à moitié craqué et brûlé dans l’explosion de la veille. Par Aballon, il fallait qu’on se tire d’ici et vite, avant qu’elle n’attire les questions. Et elle pourrait alors reprendre pied sur terre plus sereinement. Je l’embrasse sur les lèvres, mains sur les joues, captant son regard si sombre du mien, d’acier presque gris.


| Viens avec moi, chez moi. Je t’expliquerais tout. D’accord ? Il ne faut pas qu’on nous voit. |
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Dim 20 Oct 2019 - 20:02

Les larmes sont sans doute indignes de la déesse qu'elle a été. Indigne. Ce mot plaisait tellement à Esus. Il l'en a si souvent qualifiée, pour se moquer, pour la rabaisser, pour l'éloigner un peu plus de ce qu'elle a été, diminuée qu'elle était par les morts qu'il a lui-même causées... Et il avait raison. Pleurer, c'est indigne de la déesse guerrière qu'elle était jadis, celle qui inspirait des hardes entières de chevaux pour mener à la bataille les tribus celtes. Mais est-ce que ça n'a jamais été indigne de la déesse de fertilité qu'elle a été également ? Non. Ses pleurs, des morceaux d'elle, c'est ce qui a nourri les hommes pendant des siècles. Elle a protégé, inspiré les femmes dans l'enfantement. C'est elle qui les voyait souffrir en mettant bas, hurler, et tout donner en même temps que la vie. Alors elle ne se sent pas indigne, Epone, quand elle pleure.

Comment le pourrait-elle ? Depuis sa précédente incarnation, où c'est Esus sinon Teutatès qui l'a ramenée, elle avait perdu jusqu'à l'ambition d'un jour le retrouver. L'avoir devant elle, ici et maintenant, ce n'est pas un espoir qui se réalise... C'est un véritable miracle, à ses yeux, au point qu'y croire lui est difficile. Et pourtant... Pourtant, il lui assure que c'est bien lui, et l'envie de le croire submerge tout le reste. Esus a tellement joué avec elle qu'elle doute encore du vrai et du faux... Mais ce mensonge là, si c'en est un, elle a envie d'y croire comme jamais elle n'a cru en quoi que ce soit. Et le fait qu'il s'excuse ne fait que la faire plonger d'avantage. Malgré tout, la mention des Etats-Unis la fait se raidir sensiblement. Violents, dérangeants, des flashs de la vie qu'elle a partagée avec Esus à Chicago s'imposent à son esprit, à lui faire serrer les dents, à lui donner envie de hurler. Six siècles, dit Teutatès. Elle lui lance un regard de profonde détresse. Ainsi il n'a jamais su ? Pire, il ne se doute sans doute pas des perfidies que son frère lui a faites subir... Epone déglutit péniblement, et le laisse la prendre dans ses bras, où elle se réfugie, soumise à des sentiments de plus en plus contradictoires. Ses doigts se crispent sur le blouson du policier, alors qu'elle ferme les yeux à s'en fendre les paupières, encore assourdie, le corps encore transpercé, de la douleur des échanges imposés par Esus.

Docile, elle enfile le blouson que lui offre Teutatès, et laisse sa main venir flirter avec sa joue quand il l'embrasse. Tellement de temps pour retrouver le goût de ses baisers... Elle hoche la tête à sa remarque selon laquelle ils doivent s'en aller, acceptant ainsi de le suivre chez lui, d'ores et déjà persuadée qu'elle le suivrait n'importe où s'il le demandait... Un peu hésitante dans ce nouveau corps, Epone se relève, et regarde par-dessus son épaule, et tout autour d'elle. Elle se souvient du pacte passé avec Esus à Chicago. Il la libérait pour qu'elle puisse remplir ses devoirs de psychopompe, sous la promesse de son retour... Elle a donné sa parole, mais bien plus pour ne pas avoir à vivre avec la peur de le voir arriver n'importe quand que par envie de retour... En effet, Epone ne se souvient que trop bien de son pouvoir de trace, et de la facilité avec laquelle il peut la retrouver... Or, si ce n'est pas Teutatès qui l'a ramenée, ça ne peut être que lui... Prête à partir, elle attrape le poignet du policier, l'oeil sombre d'une fermeté d'acier. « Je veux une arme... S'il te plaît... » Une arme pour lui permettre de tuer Esus, et de le condamner à la même errance que celle à laquelle il a bien voulu la condamner... Que le chasseur s'apprête à se faire chasser, puisqu'Epone ne lâcherait rien... Il est hors de question qu'elle subisse encore la mort, passive. Oh non, cette fois-ci, Epone ne se laisserait pas abattre... C'est tout simplement hors de question.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mer 23 Oct 2019 - 14:42
Comment était-ce possible de retrouver Epone, ma chère et tendre Epone, après tout ce temps, ici et dans ces circonstances ? Il n’y a pas de destin pour les dieux, en dehors de la tenue éternelle de leur rang et de leur fonction, mais je venais tout de même à douter que ce soit un hasard qui me fasse retrouver mon binôme, ma partenaire devant l’éternel. C’était presque trop beau pour être vrai, après tous ces siècles passés à chercher le moyen de la ramener, de la retrouver… Mais qui n’avaient finalement été que des prolongations de drames, d’épreuves et de souffrances supplémentaires. Seul, le plus souvent, car les événements m’avaient peu à peu isolé de mon frère Taranis, de mes cousins celtes. De tout le monde.


J’étais le Dieu du Ciel, qui regardait le monde. Mais qui était bien seul pour ce faire, sans la déesse sensée se trouver à ses côtés.


Epona revient difficilement à la réalité de ce monde qui l’a vue naître et jadis prospérer. J’étais heureux et triste à la fois. Triste qu’elle assiste à la déchéance des valeurs des hommes que nous portions jadis, triste qu’elle assiste à ce lent et inéluctable déclin de notre Tribu de jadis, de notre pouvoir et de notre impact sur ce monde qui ne croyait plus en nous que de moins en moins, jusqu’à un jour plus du tout.


Je sens bien que c’est elle. Je sens son pouvoir. Sa présence. Je l’ai vue dans les yeux de son véhicule. Je la reconnais dans ce corps qu’elle occupe, à la fois si semblable mais si différent de ceux qu’elle a pu occuper jadis. Je la sens et ça me bouleverse ; je passe d’un monde de ruines et de mélancolie à un où l’espoir renaît, avec l’incarnation même de la vie pour les représentants de ma culture certes décatie, mais toujours vivace. Je me sens enfin complet, en la serrant contre moi. Comme si un des liens entre moi et ce monde venait de se rétablir, de m’attacher et de m’impliquer à nouveau. Je la sens tressaillir contre moi quand je lui raconte, Epone, mais elle tient bon et s’accroche à moi, même si la révélation du poids des siècles lui fait me lancer un regard qui me fend l’âme.


Six siècles d’absence, de séparation. Six siècles sans elle. Je la fixe des yeux alors que je lis toute cette souffrance en elle. Avec Epone, pas besoin de pouvoir pour savoir ce qui habite son cœur et son âme. Je suis dévasté pour elle, avec elle, et la serrer contre moi n’est qu’un maigre exutoire, mais vital malgré tout. Je ne saurais faire sans la garder contre moi à ces retrouvailles, même si je la laisse le temps de lui faire enfiler mon manteau. Nous allons partir, mais elle me retient. Me demande une arme. Je me retourne vers elle, fronçant les sourcils. Epona savait se battre. Dans le temps, elle avait déjà participé à des conflits… Mais c’était le ton qu’elle employait qui m’interpellait. Je la fixe. Un long moment.


Pourquoi une arme ? Et au-delà de ça, pour qui ? Mes entrailles se fondent en une masse lourde, glacée.



| Tu n’en as pas besoin. Pas ici, et pas maintenant. Je suis là, Epone. Je suis avec toi. Je te protégerai. On doit vraiment décamper d’ici, avant que quelqu’un te trouve dans cette tenue. Tu m’expliqueras tout une fois chez moi. |


Ce n’était pas un ordre, mais nous nous faisions assez confiance autrefois pour laisser les rênes de notre survie, de notre action, à d’autres personnes. Je la prends par la main. La serre doucement. Si on nous voit, on verra sans doute un flic qui escorte une fille peu fringuée, peut être une prostituée. On ne s’attarde pas alors, et je lui ouvre la portière passager pour ensuite prendre le volant, et pied au plancher, nous éloigner à toute vitesse de cet endroit de mort. J’en affronterais les conséquences plus tard ; je devais d’abord mettre ma moitié en sécurité. Je regarde sans arrêt dans le rétroviseur.


| Dis-moi ce qu’il se passe, Epone. Pourquoi tu as besoin d’une arme ? |
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Jeu 24 Oct 2019 - 17:26

Epone est agitée, tendue, anxieuse. Elle peine à reprendre pied dans le monde, avec Genesis qui continue de gratter pour revenir à la surface, et à laquelle elle doit prendre de garde de ne laisser aucune prise. Elle peine à prioriser aussi. Le bonheur de retrouver Teutatès, l’angoisse de voir intervenir Esus pour la tuer, pour le tuer, pour les tuer, comme il l’a déjà fait. Et cette angoisse, malheureusement, prend le pas sur tout le reste. Elle qui ne devrait être que joie et félicité, être comblée, en déesse simple, d’avoir retrouvé son pendant masculin et amour de toujours, le seul choix qu’elle ait fait pour elle-même, celui d’unir son éternité à lui, comme lui a choisi d’unir son éternité à la sienne… Tout cela est gâché par la crainte sourde de se laisser surprendre par celui qui a été à maintes reprises son bourreau, son geôlier, son agresseur, et de lui donner une fois de plus l’occasion de les détruire…

Le regard qu’elle lui lance, quand il se tourne vers elle après qu’elle lui ait réclamé une arme, dit tout de cette angoisse sourde. L’empathie de Teutatès n’a jamais trouvé le chemin de son âme, mais sa patience, sa connaissance d’elle, leur intimité lui en ont toujours garanti l’accès total et sans réserve. Il l’a toujours comprise. Ils se sont toujours compris, complices, partageant les mêmes valeurs de droiture… Pourtant, là, tout de suite, il est incapable de comprendre sa détresse, et d’en concevoir l’ampleur… Il la voit, parce qu’il la connaît par cœur et que ce fait est aussi immuable qu’eux-mêmes, mais il ne peut la concevoir. « Le fait que je sois avec toi est exactement la raison pour laquelle j’en ai besoin… Et toi aussi… » Elle laisse tomber, la voix presque suppliante, presque sur le point de prendre la fuite ne serait-ce que pour protéger son anonymat au cas où le colérique Dieu des batailles referait son apparition… Mais il la saisit par la main et l’entraîne à sa suite, alors elle le suit.

Teutatès est sa faiblesse, il l’a toujours été. Il n’y a rien qu’elle puisse lui refuser. Serrant ses doigts dans les siens, elle se presse contre lui, et lui emboîte le pas, avant de monter dans la voiture. Alerte, sa tête joue les girouettes. Elle scrute l’extérieur, la foule des badauds, inquiète d’y trouver un visage inconnu qui resterait là, inerte, totalement en décalage avec l’agitation générale, pour la fixer… Mais rien. Teutatès démarre, et les voilà partis.

Elle aurait tellement voulu pouvoir tout lui raconter avec un verre de vin, un bon repas, dans le calme… Il l’aurait prise dans ses bras, l’aurait serrée contre lui et lui aurait fait l’amour pour lui faire oublier tout de l’expérience violente qu’a été son existence à Chicago… Mais Epone ne peut pas prendre ce risque. Elle ne peut pas risquer qu’il le trouve. Elle lui prend la main, et la serre avec force, avec la force d’un amour millénaire, la force de la douleur qui est la sienne à l’idée de devoir le laisser. Pourtant… « On ne peut pas aller chez toi, mon amour… JE ne peux pas… » Le regard qu’elle lui lance est éploré. « Esus… » Elle laisse tomber ce nom, qui sonnera sans doute comme une évidence. Après tout, le dieu vindicatif n’avait-il pas passé les derniers siècles à les tourmenter ? « Si ce n’est pas toi qui m’a ramenée, c’est sans doute lui… Il peut me tracer. Je ne veux pas qu’il te trouve… » Dans les yeux sombres de l’humaine, tout de ses craintes est perceptible, sincère, ingénu. « Je ne veux pas te laisser, encore moins maintenant que je sais que tu es là, que je t’ai retrouvé, mais… Chaque fois qu’il nous a trouvés… » Elle ne termine pas sa phrase, l’émotion lui nouant la voix, la faisant mourir avant qu’elle n’ait trouvé le chemin hors de sa bouche. Epone serre les dents, son regard allant de Teutatès aux lumières de la ville qui défilent par la fenêtre, prête à voir la vision de ses cauchemars sortir de n’importe quelle ombre et les engloutir tout à fait, pour détruire leur vie comme il l’a déjà si souvent fait…
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mer 30 Oct 2019 - 22:28
Je n’en croyais pas mes yeux d’avoir Epone à mes côtés. Cela faisait si longtemps. Pourtant, ce qui aurait dû être le signe de jours de fête, de puissance retrouvée, partagée, et d’amour aussi, on ne vivait pour l’instant rien de tout ça. Comme si cette époque était si sombre et si tourmentée que quoiqu’il se passe, on n’en voyait pas le bout. Forcément dans mes tripes, se jouait l’amère déception et l’amertume d’une froide constatation ; celle que l’union retrouvée ne voulait pas forcément dire force, ou paix. L’instinct me soufflait déjà que les choses allaient même empirer avant de mieux se passer. Si je n’avais pas aidé à faire revenir Epone, qui ? Taranis vivait de son côté, et même s’il avait jadis été proche d’elle, comme nombre de dieux de notre panthéon, ce n’était pas son genre. Qui, alors ? Un cousin ou une cousine ? Bellisama ? Qui pouvait le faire, et surtout, pourquoi ?


Je ne me plaignais pas de la situation. Mais Epone avait toujours été ma partenaire. Une des sources de ma puissance et de ma valeur en temps que dieu. Mais elle avait aussi été une faiblesse béante, dont jadis le frère maudit Esus avait tenté de profiter. Elle même a peur. Je le lis dans ses yeux, si différents de ceux de jadis mais comme toujours expressifs au possible, comme si je n’avais pas eu besoin de jeter un nouveau coup d’oeil au manuel pour savoir comment la décrypter. Dans ce regard je lisais tout ; la souffrance et la peur, la solitude et le désespoir. Cela me fendait le coeur, me mettait au supplice de mes propres manquements. J’aurais dû savoir quelle foulait de nouveau ce monde. J’aurais dû le sentir. La culpabilité me travaille à nouveau, à peine l’avais-je retrouvée. Il pourrait y avoir de l’espoir dans ces retrouvailles ; ce n’est pas le cas. Et l’inquiétude continue de monter.



| Qui est après nous, Epone? |


Qui pouvait en vouloir à deux dieux sans puissance ni fidèles, sans autre avenir que celui de servir de gourous à de vieux illuminés, nostalgiques d’une époque plus simple où tout se vivait de façon plus directe ? Qui ? La question à cent millions.


Ces retrouvailles étaient gâchées par le danger. Elles auraient dû être toutes autres. Porter à d’autres conséquences que la lutte éternelle pour notre sécurité et notre survie. Mais non. On recommençait à vivre dans le dur, à peine nous étions nous retrouvés. Je conduis alors qu’elle me serre la main et que je caresse la sienne du pouce, concentré sur ma route. Je manque de perdre le contrôle du véhicule quand elle lâche un nom, un nom terrible.


Esus. Mon frère… Qui avait monté d’autres dieux contre moi, jadis, et massacré mes fidèles pour me supplanter. Dieu de la Guerre jaloux du Dieu-Père, du Protecteur des Tribus. Sa jalousie avait fait couler des torrents de sang, y compris chez les dieux de notre panthéon. Je respire fort, j’inspire de grandes bouffées d’oxygène par le nez. Me force à me calmer, quand la rage toute entière me pénètre, m’imprègne, et elle se doute, finalement, sans être sûre. Esus, qui avait tout fichu par terre. Torturée ma partenaire à mort, l’avait violée et tuée plusieurs fois. Mon âme sœur, ravagée pour m’atteindre. C’était intolérable.


Je cognais violemment contre le volant. Une fois. Pause. Puis deux fois de plus, plus fort encore, visage crispé par la colère et par la haine. Je mets plusieurs minutes à retrouver un semblant de calme.


Je finis par me garer en silence.



| Tu ne mourras pas, Epone. Plus jamais. Tu m’entends ? Je ne le laisserais pas faire. |


Je la dévisage de mon regard d’un bleu presque gris, couleur de l’acier de nos épées gauloises de jadis, les meilleures du monde.


| Alors tendons-lui un piège, si tu crois que c’est lui. Amenons-le chez moi. Et je le tue. J’ai les armes qu’il faut et les ressources qu’il faut, à cette époque. Je t’en donne ma parole. |


Mais à ce devoir éternel, il y avait celui de l’instant présent. De l’innocente fauchée ce soir. Je soupire, me masse les yeux au travers des paupières closes. Me tourne vers Epona, et passe ma main sous sa crinière brune, l’attire contre moi front contre front et je souffle entre elle.


| Hors de question de te laisser à sa merci. Je n’ai pas peur de lui. Je te protégerais. Mais avant cela tu dois tout me dire. Je t’aime, Epone. Je t’ai toujours aimée. Qu’importe tout le reste. J’ai un devoir sacré, et toi aussi. On doit protéger la tribu. Elle ne sera jamais en sécurité tant qu’Esus existera. Et toi non plus. On peut affronter ça, mais on va devoir se montrer malin. Et compter l’un sur l’autre. D’accord? |
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mer 6 Nov 2019 - 20:33

Rouler, c’est bien. Rouler vite, c’est mieux. Si Epone a raison, si c’est bien Esus qui l’a ramenée, il doit s’attendre à ce qu’elle honore le pacte qu’ils ont passé à Chicago, il y a une centaine d’années… A ce moment-là, Epone avait un peu plus de force, assez pour se souvenir plus rapidement, pour comprendre plus rapidement ce qui lui arrivait, et son véhicule, d’ores et déjà lassé de sa vie de pute, voulait en finir. Sa volonté avait donc été facile à écraser. Seulement, aujourd’hui, au XXIe siècle, ce n'est pas la même musique. Genesis n’est pas Anaëlle. Genesis est mariée, et maman. Les volontés de mamans sont les plus difficiles à briser parce qu’elles se battent pour leurs enfants, et peu de forces en ce monde sont aussi violentes que celles des mères. Elles élèvent, protègent. Epone n’a jamais eu la chance ni le bonheur de donner des enfants au Dieu du ciel, mais ses attributions l’ont vue mère par procuration de la vie elle-même, cette vie si chère à son cœur qu’Esus est pourtant si souvent parvenu à lui ôter. Trop souvent. Si c’est lui qui l’a ramenée, il s’attendra à ce qu’elle lui revienne, puisque si elle ne lui revient pas, elle sait parfaitement à quelles sanctions elle s’expose. Une part d’Epone a toujours soupçonné Esus de souhaiter qu’elle ne reparaisse pas, pour qu’il puisse se complaire dans la chasse un moment, jouer avec elle, s’exciter comme un chat s’exciterait après une souris, et mieux la châtier quand il en aurait assez, trouvant un plaisir double, avant de la dénigrer parce que la trouvant, finalement, faible. La battue, pour cette simple raison, aurait été double.

Mais pas ce soir. Ce soir, s’il l’approche, elle lui collera une balle dans la tête, et tirera, encore et encore, jusqu’à réduire la cervelle du véhicule à l’état de soupe à la pastèque. Privée de son compagnon de toujours, de son âme-sœur, du temps de Chicago, Epone n’a pas vu l’intérêt de se rebeller. Esus a fait en sorte qu’elle n’en voit aucun, de lui en laisser toute la possibilité. Mais maintenant, ce soir, elle en voit la raison plus que jamais, est déterminée plus que jamais à recouvrer sa liberté, son libre-arbitre, et à couper ces chaînes qui l’ont empoisonnée pendant si longtemps. Bientôt, un dieu mourra, quoi qu’il arrive, puisque si, par malheur, elle ne parvient pas à abattre Esus, elle préférera crever plutôt que de se rendre à la servitude, ou d’accepter que Teutatès ne meure. Teutatès… Lui pardonnerait-il ?

A voir sa réaction quand le nom de son frère tombe, elle en doute, l’espace d’un instant. L’espace d’un instant, elle doute qu’il la pense responsable, fautive. Elle attribue la colère qu’il exprime à un aspect plus territorial qu’emprunt de compassion… Mais ça ne dure pas. Cette pensée, fugace, s’en va aussi vite qu’elle est venue, et Epone peut, sans crainte, poser sa main sur le bras de son compagnon pour tenter de le calmer. Il se gare et tombe ce que la déesse prend comme un serment. Un serment grave, qui lui fait incliner la tête de désolation. Elle le croit capable de respecter sa parole, mais elle redoute le prix. Elle redoute qu’il aille au bout de sa promesse, et ne se perde en chemin… Sauf qu’elle doute d’être capable d’arpenter ce monde sans lui. Lui, il l’a fait. Il a le courage, la grandeur, la volonté. Epone, elle, s’est toujours complu dans son ombre. Une figure de l’ombre, c’est bien ce qu’elle a été. Inspirer les combattants, sans les mener. Inspirer la vie, sans réellement la donner. Epone a beaucoup de qualités, mais l’indépendance lui fait peur. Si elle se doute être capable de l’endurer, elle n’en a pas la moindre envie. Après tout ce temps dans la conscience collective, et tous ces siècles privée de Teutatès, la déesse aimerait que les choses soient simples. Le déclin de ses pouvoirs, de sa consistance en tant que déesse, finalement, l’importent moins qu’elle n’espère un peu de paix, et profiter, en toute simplicité, de son conjoint, ce conjoint à la compagnie duquel elle n’a pu aspirer depuis des siècles.

Il la dévisage, elle lui rend ce regard lourd d’intensité. Elle sent toute la détermination qui est la sienne, et ça l’émeut, de voir qu’en dépit de tout le temps que lui-même a passé, vécu, sans elle, il est toujours déterminé à la garder en vie… ça la touche plus qu’elle ne saurait le dire. Il aurait eu le temps, au cours des siècles, de se trouver une autre compagne… ? Peut-être est-ce le cas ? Elle le craint, pendant un instant, et cette crainte lui glace douloureusement les entrailles et lui noue la gorge. Si c’était le cas, elle ne pourrait lui en vouloir… Mais la peine serait innommable. Que ferait-elle? Elle l’ignore. Aurait-elle le courage de respecter cette nouvelle union comme elle aurait aimé qu’on respecte la sienne ? Elle déglutit à l’entente de la promesse de Teutatès. L’idée lui semble prometteuse. Sur le point d’accepter, la déesse se ravise pourtant, puisqu’auparavant si déterminé, son compagnon a d’un coup l’air horriblement las et fatigué… Alors elle préfère lui laisser un peu de temps, et saisit plutôt délicatement le poignet de la main qui attire leurs fronts l’un contre l’autre.

Le contact est simple, et pourtant Epone le savoure comme s’il s’était agi d’un baiser. Présence, intimité. Elle ferme les yeux, et pendant quelques secondes, elle oublie qu’ils ne sont pas juste tous les deux. Elle oublie d’où ils viennent et où ils vont, les responsabilités qui sont les leurs. Elle oublie qu’ils sont autre chose que deux âmes sœurs qui viennent de se retrouver. L’espace d’une seconde, Epone se fond dans Teutatès, et seuls résonnent les mots « Je t’aime, et t’ai toujours aimée ». La félicité qui résulte de cette simple déclaration est brève, car rapidement éclipsée par d’autres prérogatives, mais suffit à regonfler le petit cœur moribond de la déesse de la fertilité d’espoir. Peut-être qu’ils parviendront à se débarrasser d’Esus. Peut-être qu’ils s’en sortiront, tous les deux. Elle veut y croire en tous cas, et commence par hocher doucement la tête en signe d’assentiment, avant de, cédant à une impulsion difficilement maîtrisable, venir s’emparer de la bouche de Teutatès, profitant éhontément de leur proximité, de ce qu’il la tient contre lui. Il y aura un temps pour penser à la façon la plus adéquate de se débarrasser d’Esus. Il y aura un temps pour penser à la tribu et aux devoirs qu’ils ont envers elle. Ce sera dans quelques secondes, ou même un peu plus. Quelques secondes d’égoïsme que la déesse s’octroie pour avoir subi maints outrages au cours de ses différentes vie. Aujourd’hui, Epone ne demande plus rien, ne rêve plus de sa gloire passée, de sa puissance d’antan… Elle ne demande rien d’autre que quelques secondes qui n’appartiendraient qu’à elle, qu’à eux, pendant lesquelles elle embrasse celui duquel elle a été privée depuis bien trop longtemps… Ses mains trouvant les joues du blond, ses pouces s’y posent tandis que le reste de ses doigts gagnent son cou et l’attirent vers elle. Il n’y a rien de raisonnable dans ce baiser, mais Epone s’en moque. Il lui a tellement manqué que c’en est comme une crevasse dans son être, une crevasse que seule sa présence peut combler… Présence de laquelle, du coup, elle cherche à se repaître, dans l’espoir d’être entière à nouveau…
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Jeu 7 Nov 2019 - 20:28
Etre un dieu ne rend rien de l’existence plus facile. Jamais. A aucun moment. Ce que je sais ici, ce que j’apprends, c’est un vrai drame qui se joue, c’est une horreur, une catastrophe. C’est franchement quelque chose que je n’aurais jamais pu imaginer.


Pour la première fois de ma vie, je me retrouve à être reconnaissant du fait que mon pouvoir ne me permet pas de connaître l’âme d’autres divinités, que je me retrouve totalement aveugle et insensible par nature à ce que ressentait Epone. J’avais le sentiment, même sans connaître son véhicule, que ce n’était nulle quiétude ni paix qui l’habitait. Je sentais sous son épiderme le volcan en éruption de ses sentiments, le brouillard ardent qui habitait son âme, et la faisait souffrir. C’était douloureux, et bouleversant, même sans que je ne ressente directement ce qu’elle était en train de vivre. Je ne connaissais pas ce corps qui était aujourd’hui le sien. Mais la déesse avait enfilé l’humaine comme un gant, comme une nouvelle peau, mais dessous c’était toujours elle, avec ses mimiques et ses façons de faire, de se tenir, de me regarder.


Quelque part, me concentrer sur elle m’évite de me concentrer sur moi. Esus. Putain Esus. J’en ai cogné mon volant juste avant, et j’aurais pu le défoncer, ce bout d’acier gainé de plastique. Mais non. Esus. Mon frère. Ce dieu pour lequel j’avais nourri tant de confiance, de loyauté et même d’affection à la mesure de ce que j’étais capable… Et qui m’avait trahi. Qui avait poussé à la moisson des âmes, tout autour de moi, pendant des années, des décennies, des siècles. Combien de fidèles et de disciples avais-je perdu ? De cousins et cousines qui avaient fini désincarnés, rejetés dans les limbes ?


Esus… Esus avait tout fiché par terre. Si je le retrouvais, c’était lui ou moi. Il ne pouvait plus y avoir de cohabitation ou de pardon, plus de demie mesure. Si je remettais la main sur lui, soit je le tuais, soit c’était lui qui m’assassinait. Mais elle est là. Elle ne dit rien. Et je me rends compte qu’une fois encore, une fois de trop, je me suis fait posséder. Combien de fois avais-je cru qu’il n’y avait que moi qui serait capable de ramener Epone ? Elle était déjà en ce monde. Et moi, je passais à nouveau pour le dernier des abrutis.


Mon frère, ce fichu salopard, m’avait encore damé le pion, ramené mon binôme, ma partenaire devant l’éternel.


Dix contre un que cet enculé la baisait.


Dix contre un que c’était que pour me faire le bras d’honneur et me le balancer en pleine tronche lorsqu’il viendrait m’assassiner pour de bon, et me pousser au suicide. C’était clair, maintenant. Il ne s’en prenait pas qu’à moi, mais à tout ce que j’aimais, tout ce à quoi j’étais relié. Et forcément, ça faisait mal. Et forcément, ça me foutait en rage. A minima, il me renverrait de là où nous étions nés, sauf qu’à l’époque actuelle, ce serait une mort sans doute permanente. Et sa victoire serait complète s’il me faisait péter un boulon pour de bon.


J’allais tuer ce salopard. Je vais l’étriper de mes mains, parole…


Mais elle est là, contre moi, et nos fronts posé l’un contre l’autre. Un rien de paix, un rien de plénitude, alors que tout autour de nous ce n’est que la guerre, le froid, l’angoisse.


Je ressens la guerre. Je ne suis pas son dieu, mais j’y reste intimement lié malgré tout, en tant que Protecteur des Tribus, à mon époque nulle police, nulle loi ni ordre, seulement la force brute, la guerre et la tradition orale. Alors que je l’ai là contre moi, pour quelques instants bien éphémères, j’inspire son odeur, que je laisse pénétrer mon corps et mon âme, et je me remplis d’elle, de sa présence, de sa chaleur, de son réconfort.


Je lui répète mes sentiments. Malgré les époques, les compagnes, les douleurs et croisades, les expédients… Rien n’a changé dans ce que je ressens pour elle. Nous avons été créés en paire. Rien n’a changé. Nous sommes toujours ce que nous sommes. Mais elle ne répond pas. Elle ne dit rien. Et déjà vient chercher ma bouche. Je l’embrasse, quand elle encadre ma tête de ses mains, me palpe, me retrouve. Nos souffles se mêlent, en même temps que nos lèvres, que nos langues.


Je me perds contre elle, yeux fermés, bouche contre la sienne, souffle partagé.


Mais j’y mets un terme. La tiens par le menton, fermement. Mon regard d’acier dans le sien, comme une épée qui fend l’âme en même temps que les chairs.



| Ensemble, alors ? |


Même si tout avait changé, je n’en savais rien. L’essentiel, c’est que l’on soit ensemble. Partenaires, devant l’éternité.


Mes mains déjà s’affairent à sortir ce qui lui sert de vetements. Ici, garé au milieu de nulle part, entre deux parcs. Coins de merde, coins à gangsters, à dealers et à putains. On s’en fiche, au fond. Mes mains pénètrent sa longue crinière brune, frottent son cuir chevelu à mesure que le baiser s’intensifie, s’approfondit.


Ma main déjà qui tire son dernier dessous, et la dévoile alors que je couche son siège d’une main tâtonnant la manivelle.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Jeu 5 Déc 2019 - 14:31

Elle aurait tellement de choses à lui dire, Epone… L’âme morcelée, elle pourrait s’étendre des heures sur le calvaire qu’a été Chicago, de la possession du corps qu’Esus lui a choisi à sa mort prématurée, précipitée par ses rivaux. Elle pourrait passer des heures à s’écouter parler, se confier pour la première fois sur le malaise que ça a été pour elle que de reconnecter avec les souvenirs de cette prostituée, son enfance désastreuse, sans amour, le sentiment de honte et d’être souillée à chaque client… Et le désespoir… Le si profond désespoir de cette pauvre créature chétive, qui l’avait rendue si facile à écraser. Prends mon corps, je n’en veux plus… lui a-t-elle soufflé, simplement heureuse de cesser d’exister, sans avoir à commettre l’acte ultime que Dieu ne lui aurait jamais pardonné. Dieu, son Dieu, pardonne. Il pardonne aux hommes de la faire souffrir mille mort, mais il ne peut pas pardonner que son cadeau de vie soit perçu comme empoisonner, soit vu comme si terrible qu’on préfère le décliner… Dieu le miséricordieux a été la seule barrière à se dresser entre la prostituée et le suicide. Jamais Epone n’avait ressenti autant de tristesse, autant de vide… Est-ce qu’Esus le savait quand il l’a faite s’incarner dans cette rousse incendiaire absolument magnifique ? La déesse pense que non. Qu’est-ce qu’Esus aurait compris de ces choses-là ? Il a probablement trouvé le véhicule acceptable pour elle, et rien de plus. Et pourtant, Epone garde toujours un petit morceau des différentes humaines qu’elle possède. Leur personnalité propre à beau disparaître, remplacée par la déesse, leurs souvenirs demeurent et leurs sentiments l’habitent… Un moyen pour elles d’accéder à l’immortalité à travers elle.

Elle aimerait en parler avec Johan. Se confier, épancher cette peine qui l’habite. Elle voudrait qu’il l’écoute, et qu’il la serre contre lui. Il n’y a pas de solution à apporter. Ils ne peuvent réécrire le passer. Mais, à défaut de le réécrire, Epone voudrait qu’ils prennent un moment pour le traverser, ensemble, qu’il comprenne d’où elle vient, et à quel point elle va avoir besoin de lui maintenant, de son soutien, et, plus que jamais, d’une raison d’exister… C’est beaucoup lui demander. C’est trop, sans doute. Raison pour laquelle les mots ne traverseront jamais ses lèvres. Ni maintenant, ni plus tard. Il y a tellement de choses qu’elle aimerait… Elle aimerait aussi comprendre pourquoi lui ne l’a pas ramenée, mais elle a peur de poser la question, peur qu’il ait été au milieu de tant et tant d’idylles qu’il la préférait dans les limbes, plutôt qu’avec lui. Et elle en vient à se poser la question… Qu’est-ce qui aurait été le plus douloureux ? La vie avec Esus, ou la vie en sachant qu’elle n’intéressait plus Teutatès ? A choisir, les limbes lui semblent bien douces, en comparaison…

Sans doute fataliste, Epone ne se leurre plus sur les perspectives des dieux de son acabit d’un jour revenir sur le devant de la scène. Du reste, ça ne l’intéresse plus. Les humains ne l’intéressent plus. Ce qu’ils sont devenus ne lui plaît pas. Ils ont perdu leurs valeurs, leurs repères. Ils errent, sans but, à la fois plus conscients et plus inconscients que jamais. Sans respect pour la nature qui les nourrit, qui leur permet d’exister, ils l’asphyxie comme certains clients avaient l’habitude de soumettre et d’asphyxier la putain. La frustration des égos qui engendre le besoin de dominer, d’asseoir son pouvoir… Des rats s’entre-dévorant pour le pouvoir, voilà tout ce qu’ils sont.

Du coup, là, dans cette voiture, elle n’a pas envie de penser à eux. Elle n’a pas envie de penser à celles qui ont pu la supplanter dans le cœur de Teutatès. Elle se fiche, finalement, de savoir si quelqu’un l’attend. Il est là, avec elle, il la prend dans ses bras et il lui dit qu’il l’aime. C’est tout ce qui lui importe, égoïstement. Un peu de félicité, un peu de lumière pour elle qui ne voit rien d’autre que des ténèbres depuis si longtemps… Depuis leur dernière incarnation commune, dont les yeux se sont fermés sur une femme hurlant à la mort, alors qu’elle était démembrée par un attelage de quatre chevaux sauvages. Epone estime qu’elle a assez payé pour l’instant, et qu’elle a le droit d’éprouver elle aussi un peu de bien-être. Alors elle prend, sans vergogne, ce que lui donne Teutatès, et lui rend autant, sinon plus. Le baiser qu’elle lui donne est plein de chaleur, plein du manque dévorant de lui, exprimé sous une forme d’impatience. Ce baiser, elle aurait aimé qu’il ne s’arrête jamais, mais lui en décide autrement. Un goût de trop peu sur la langue, elle lui rend à contrecœur sa liberté et ses yeux sombres n’ont rien à envier à l’intensité du bleu de ceux de Teutatès. Sa question est équivoque. Epone y répond en hochant la tête en signe d’assentiment. Elle ignore s’ils parviendront à mener leur projet à bien, mais s’il y a une personne qu’elle consent à allier à sa vengeance envers Esus, ça ne peut être que Teutatès, Teutatès qui n’a jamais été que la cible de ses manœuvres pathétiques et belliqueuses. Si Esus l’a offensée en tant que femme, l’a humiliée, contrainte et torturée dans sa chair, c’est carrément à l’essence même de Teutatès qu’il s’en est pris. Les deux peines ne peuvent être comparées, mais toutes deux méritent justice.

Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Sam 14 Déc 2019 - 5:12
Tout était en train de changer, à une vitesse complètement folle. Il était assez clair que l’on pouvait immédiatement se retrouver un millénaire et demi plus tôt, quand nous vivions ensemble, quand nous marchions ensemble sur ce monde qui déjà à l’époque changeait à toute vitesse. On ne se rendait pas compte à quel point deux dieux créés ensemble pouvaient être proches, et tout était beaucoup plus simple malgré tout car à deux nous pouvions largement renverser les obstacles qui s’érigeaient devant nous. Je ne voulais pas présager de quelque chose qui ne serait peut être plus arrivé, mais même avec d’autres femmes j’avais toujours fini par penser à Epona à un moment ou à un autre. C’était indispensable pour tenir. Elle était la pensée de mon histoire, l’incarnation du rôle qui nous était échu depuis la naissance. J’étais guidé depuis toujours par ma mission, qui expliquait à elle seule mon existence. Et j’avais voulu, des années durant, trouver le moyen et la puissance de ramener ma moitié, plus douce et plus tendre mais néanmoins essentielle dans mon combat. Je n’y étais absolument jamais parvenu. Pour plein de raisons, mais la plus essentielle tenait au fait que je n’avais tout simplement plus assez de fidèles et de disciples, contrairement aux temps anciens, pour emmagasiner assez de pouvoir pour faire revenir ma partenaire.


Mais elle était là, maintenant. Et il était alors impossible de ne pas penser à qui l’avait ramené, et pourquoi. Elle avait parlé d’Esus… Et mon corps bouillonnait autant d’affection et de proximité pour elle que de colère et de haine pour mon frère. Si je ne le connaissais pas… Je dirais que c’était un accident qu’il ai croisé la route de ma partenaire avant moi. Mais je savais qui il était et je savais aussi qu’il ferait tout pour me nuire, tout pour me descendre. Ce frère que j’avais n’était que veulerie et vanité, et il savait très bien comment m’atteindre. Constamment dans l’histoire depuis plus de deux mille ans, il avait cherché à utiliser Epone contre moi, à la manipuler, à la capturer, ou pire encore. Ca ne s’arrêtait jamais.


Ce salopard me l’avait ramenée pour s’en servir contre moi. Et le hasard, ou son pouvoir qui appelait le mien, nous avait permis de nous retrouver.


A cette pensée, au destin, mon attitude d’ordinaire si calme, si neutre et concentrée sur mes pouvoirs et mon travail… S’enflammait totalement. Je n’étais plus qu’un enquêteur, un chasseur de monstres à visage humain. Non, j’étais Teutatès. Le Dieu-Père, le patron de la justice et le protecteur des tribus, et Epone était à moi, et à moi seul.


Ce sont ses lèvres que je possède avec envie et possessivité, prenant son souffle, aspirant son air et son odeur alors que ma langue cherche la sienne, vieille partenaire de toujours. Nos corps sont différents de la dernière fois où nous nous sommes vus, il y a six siècles. Mais Epone est toujours la même, finalement. Longue crinière de cheveux, traits féminins, formes certaines, d’une sensualité toujours soulignée, comme il sied à une figure de la fertilité des femmes. Elle aussi se jette à corps perdu dans cet échange passionné, fusionnel, et il n’est plus alors question d’Esus ni de notre guerre éternelle, mais seulement de nous.


Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Dim 29 Déc 2019 - 22:39


Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Lun 6 Jan 2020 - 21:26
Faire ça dans une voiture… C’était arrivé plus d’une fois, au cours des dernières années. Pas parce que j’aimais particulièrement ça, loin de là, mais bien parce que ça m’évitait d’emmener ces maîtresses éphémères dans un endroit jugé plus intime, et aussi bien moins personnel… Car ma demeure, elle, oscillait selon les moments entre le grand déballage de celui que j’étais jadis, des reliques qui traduisaient ce lointain passé, ou au contraire des endroits sans le moindre petit effet, sans rien. Je n’avais jamais voulu faire partager à des humaines, -ou à d’autres divinités- cette partie de moi que je cachais et camouflais au quotidien. C’était un écho, les réminiscences d’un passé douloureux et difficile, qui avait vu tant de choses sacrifiées, et de sentiments niés pour avancer, que s’arrêter pour regarder en arrière était quelque chose de presque insupportable. Monstre de devoir, je le faisais quand même, parfois.


Epone n’était pas n’importe qui. Mais ce n’était pas prémédité. Et elle parlait de mon frère, du vil Esus, qui pourrait nous y retrouver. Bien malgré l’amour que je ressentais pour elle, et la fidélité du cœur, je ne pouvais pas nous faire courir à tous deux le risque que ces amours éphémères, interludes avant la confrontation avec le rejeton le plus honni de la Gaule de jadis, ne mettent en péril notre sursaut et notre victoire finale, après tant de temps passés à nous attendre, à nous espérer… Ce serait terrible et je ne pouvais pas laisser faire ça. Alors le désir se faisant trop pressant, trop irrésistible, je couche le siège, et la belle dessus.


Ce n’est qu’un expédient. Intense, fièvreux, mais je sais bien que ça ne règlera rien ce soir, en dehors de ce manque monstrueusement abyssal que je ressens en sa compagnie. C’est déjà pas mal. C’est l’essentiel. J’aime Epona. Comme jadis. L’amour est intact, l’attachement plus fort encore, rendu plus vif, plus douloureux, par tellement d’absence. La belle redresse mon visage vers le sien alors que je l’allonge pour l’amour. Son sourire…


C’est le même que celui de jadis. Visage différent. Tout différent. Mais pas elle. Pas moi. Les mots sortent. Chauds. Doux. Ils sont comme la caresse d’un vent d’été après les moissons, avant les vendanges. Au soir d’une victoire. La bataille, c’est nous. Et la victoire, c’est le sourire qu’elle m’offre. Elle me serre, de bras solides ; cette humaine qui l’accueille en son sein est solide, en plus d’être physiquement avenante. Son nez frôle mon cou, ses lèvres m’embrassent.


Je stoppe le baiser, caresse son visage, couché sur elle, portière encore entrouverte -je suis trop grand-.  Son visage, du bout des doigts. De la racine de ses cheveux jusqu’à l’arête de sa mâchoire, du coin de ses lèvres. Yeux dans les yeux. Je la reconnais encore, et la couvre d’un regard enivré d’elle, du trop plein de nos retrouvailles, des émotions bien à moi que cela faisait naître en moi, cette fois.



| Moi aussi, je t’aime, déesse. Depuis toujours. Et à tout jamais. |


Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Lun 10 Fév 2020 - 16:46

Si on lui avait donné le choix, Epone aurait aimé retrouver Teutatès en forêt, au crépuscule, un soir de printemps. La faune diurne aurait lentement laissé la place à la place nocturne, le chant des oiseaux aurait tout doucement été remplacé par celui des criquets et autres insectes. Elle se voyait, elle, les cheveux longs et lâchés, cascadant de ses épaules à ses reins, une couronne de fleurs des champs ceignant sa tête. Pieds nus, elle serait vêtue d'une robe de lin blanc, presque transparent, dénué de la moindre fioriture. Et lui, lui il aurait porté un pagne dans le même tissu. Ils se seraient retrouvés, se seraient reconnus, se seraient aimés comme tant d'autres fois... Avant. Avant que les humains ne deviennent fous et ne perdent le contact avec la nature, avant Chicago, avant... Égoïste, Epone aurait aimé n'avoir Teutatès rien qu'à elle, pendant quelques heures. On le lui a pris pendant des siècles, n'ont-ils pas mérité un rien d'intimité ? Elle sait que si elle le lui demandait, Teutatès patienterait, pour qu'elle puisse avoir ce qu'elle veut. Le fait étant que, ce qu'elle veut, c'est lui. Plus que l'intimité qu'ils partagent, c'est son être qui l'attire.

Les siècles ont beau avoir passé, il peut avoir appris à vivre sans elle, mais une éternité ne saurait remplacer ou ternir une relation entre deux principes aussi fondamentaux qu'eux. Personne ne peut les menacer. Ni Genesis, ni Esus, ni le temps... Ni rien. Et elle se complaît, Epone, volontiers dans ce qui est pour elle une certitude, une évidence. Elle profite de ces retrouvailles autant qu'elle le peut, car ils n'ont que très peu de temps. Le compte-à-rebours a déjà commencé. Bientôt, Esus, le dieu chasseur, sera sur leurs traces, et il ne leur laissera aucune échappatoire... Encore moins une fois qu'il aura compris, ce qui ne saurait tarder, qu'ils se sont retrouvés. Pour lui dont l'ambition ultime a été, entre autres, pour détruire Teutatès de s'ériger entre eux, Epone le sait, il ne reculera devant rien. S'il avait pu, elle est certaine qu'il aurait déjà fait disparaître son essence. Mais voilà, ce pouvoir-ci n'est pas et n'a jamais été entre ses mains, et tout ce qu'il a alors trouvé est de la ramener auprès de lui, uniquement pour que Teutatès ne l'ait pas, la condamnant, elle, à une cage autant physique que psychologique, et lui, au chagrin de la solitude.

Cette solitude, ce soir, se veut brisée, et la porte de la cage d'Epone ouverte. Epone, elle n'est pas de ceux qui ont peur de la liberté. Oiseau fou, elle a été du genre à se laisser dépérir, à tenter de profiter d'un excès de confiance de son geôlier, à se jeter contre les barreaux de sa cage en espérant que la force brute les ferait tomber... Toutes les occasions étaient bonnes, mais aucune ne l'a été autant que celle-ci. De façon totalement inespérée, c'est la raison même pour laquelle elle voulait quitter cette cage qui l'en tire, et, elle croit sentir que Teutatès cherche à se réapproprier ce qu'Esus lui a volé. Elle est gênée, Epone, se sent terriblement coupable, sale, même, que sa moitié doive se résoudre à cela, mais elle ne peut pas s'excuser... Pas maintenant, en tous cas. C'est trop tôt. Et si la chair est différente, elle a l'impression se souvenir comme si c'était hier des abus dont Gwen la prostituée a fait les frais.

Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mar 18 Fév 2020 - 13:26
On y était, enfin. De façon impatiente, impétueuse même. On n’était même pas rentrés chez moi. On n’avait même pas parlé plus que ça de nous. L’essentiel avait été dit. Et pour le reste il y avait ces regards partagés, de yeux qui ne se connaissaient pas mais d’âmes qui s’étaient partagées depuis si longtemps qu’il devenait dès lors incongru de penser qu’elles pourraient ne pas se rejoindre à nouveau. Très différente de jadis, Epone. Moi moins, sans doute. Mais elle, elle n’en était pas moins belle. Moins forte oui, mais comme moi. Nous l’étions tous aujourd’hui, moins forts. C’était quelque chose contre laquelle on ne pouvait plus lutter, avec l’émergence des nouveaux dieux. Son pouvoir de séduction, quant à lui, paraissait intact. Epona avait toujours été incarnée par des femmes magnifiques, féminines au-delà du désir qu’elles faisaient naître chez les hommes. Quoiqu’il arrive, je l’aimais. Cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas eu de creux dans notre relation, ni de solitude, ni de déceptions, même. Nous avions été séparés si longtemps. Mais cela ne changeait rien.


Nous étions un binôme divin ; le destin se chargeait de nous remettre sur la route l’un de l’autre.


Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Sam 21 Mar 2020 - 19:44

Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Lun 30 Mar 2020 - 15:47
Je me retrouve là, contre elle. En elle aussi, d’une certaine façon. Impossible de me contenir ; nous étions comme deux aimants qui venaient d’arriver à trop courte distance l’un de l’autre pour se négliger. Pour accepter ne serait-ce qu’une seconde de s’éloigner. Pourtant, il faudrait bien. Mais pour l’instant, il n’y avait que nous. Que ma tête et la sienne, que ma langue sur son corps et mes lèvres qui se promènent sur son enveloppe. Je me sens pris dans une fièvre, dans l’étreinte d’une folie qui n’a rien de rationnel et qui ne peut certainement pas se contraindre, pas avant d’être comblée d’une façon ou d’une autre. Je ne sens rien d’elle, ou très peu ; elle ne s’abandonne pas et je la sens recroquevillée sur sa propre âme, incapable de se défaire d’une forme de résistance, d’une méfiance vis-à-vis de l’homme qui l’assaille et qui sans attendre, cherche à la posséder. Les événements se précipitent et la voilà qui me dit d’attendre alors que pourtant son bassin venait à la rencontre de ma bouche, avide de ses caresses. Je relève la tête, quitte l’antre de sa féminité, bouche humide d’elle et de ma propre salive. Son souffle ne se perd pas dans l’habitacle.


Je suis frappé de la douceur que je lis sur ses traits, sur son visage. Par cette paix et cette quiétude ; plus de fièvre, plus de désir impatience. Seulement l’amour infini que seul un dieu peut nourrir car il ne connaît nulle limite, nulle obligation d’aucune sorte en dehors de sa propre nature. C’est de cette pureté bien perceptible que me couve la déesse. Je la regarde, mince sourire sur les lèvres, paisible et pas stressé ou déçu au contraire. A genou, la belle se rapproche et me demande de rester contre elle, après m’avoir embrassé. Docile, pour une fois, je ne ressentais aucunement l’inclinaison à lutter ou à me défendre ; je comprenais son désir et le partageais. Aussi venais-je simplement la serrer contre moi, creux des coudes contre ses côtes, mains remontant dans son dos pour la tenir contre moi. Dans cette position à la fois la plus confortable de sa douceur et de sa chaleur mais pourtant gênante de part le maintien de mon corps et des faibles appuis, je m’astreins à simplement profitant de la douceur et du parfum de ses cheveux, de sa peau.



| Je suis désolé de ne t’avoir retrouvée que maintenant. Tu m’as manqué… |


Je continue de la serrer, de humer son odeur. L’instant passe. Des lumières aux bâtiments non loin nous rappellent que même garés de nuit près d’un parc, nous ne sommes pas seuls au monde. J’ai toujours conscience de notre situation.


| Si tu ne veux pas revenir chez moi, il va falloir que je te dépose quelque part et que je prenne mes dispositions contre mon frère. Où serais-tu en sécurité ? Comment pourrais-je avoir de tes nouvelles, Epone ?Je pensais bien sûr à Lou, qui nous serait utile, aussi bien pour le pouvoir qu’elle me permettrait d’obtenir que pour son aide physique et concrète sur le terrain.[/i]
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mar 7 Avr 2020 - 15:42

Elle se sent bien, dans les bras de Toutatis, Epona. Sereine. Sereine comme elle ne l’a pas été depuis… Une éternité ? La dernière fois, ce devait être avant la guerre qui s’est conclue pour elle par son écartèlement. Elle frissonne, à cette pensée, et s’agrippe plus fort encore à son compagnon, de peur qu’on le lui enlève. Il est la seule chose qu’elle ait jamais désirée pour elle, vouant le reste de son existence à l’abnégation, pour lui, pour les humains, pour la vie et son passage vers l’au-delà. Elle entend ses excuses, mais ne les écoute pas. Ce n’est pas de sa faute. Pas vraiment… Elle lui en veut autant qu’elle lui pardonne d’avoir vécu sans elle, et se peine autant qu’elle se réjouit qu’il ait pu être heureux sans elle. Ça lui fait mal, bien sûr, d’avoir la sensation d’être disposable, mais elle serait bien cruelle de le souhaiter condamné au malheur parce qu’elle-même n’a pas eu la force de se tirer des griffes d’Esus elle-même… Qu’aurait-elle fait, sans lui ? Amusant. Son désir de fuite a toujours été tellement omniprésent qu’elle ne s’est jamais projetée sans lui. Peut-être parce qu’elle a toujours été très lucide quant à ses possibilités… Elle est morte bien plus souvent que lui à travers les âges, et le nombre de ses croyants est bien moins élevé. Elle connaît trop bien les lois de leur monde et leur caractère immuable, prévisible, que ça a suffi à la décourager…

L’oreille collée sur le torse de l’homme, elle se laisse lentement apaiser par les battements de son cœur. Petit à petit, ils parviennent à calmer ses tremblements nerveux, de sorte à ce qu’elle puisse lever le nez vers lui. « Lou ? » Il lui a posé beaucoup de questions, auxquelles elle ne sait pas encore quoi répondre, mais s’interpelle de ce nom déposé là, imposé dans la conversation, alors qu’elle ne le connaît pas. Reposant sa joue sur lui, ses épaules s’affaissent, elle soupire. « Je vais devoir retourner chez le mari de Genesis… Esus ne m’y a pas mise pour rien, il doit pouvoir me surveiller de là-bas… Il connaît mon rôle de psychopompe et même lui ne peut le contrecarrer, mais il peut me traquer… Si je n’y retourne pas, il saura quelque chose n’est pas normal… Et il se tiendra sur ses gardes… »

Il est accommodant, Teutatès… Il la respecte, elle et ses désirs… ça n’a pas semblé le contrarier qu’elle préfère l’enlacer à recevoir les caresses de sa langue sur sa féminité… Pas comme…

Entre ses bras, Epone se raidit sensiblement, et ferme immédiatement les yeux à s’en fendre les paupières. Les souvenirs sont vivaces, reviennent rapidement, autant de la poigne acérée d’Esus sur les bras de Gwenaelle, les coups qu’il a pu faire pleuvoir si elle, et la façon qu’il avait de la maintenir sur la table, à moitié assommée, pendant qu’il relevait sa robe, déchirait ses bas et s’en donnait à cœur joie, déchirant son intimité… Quant à Genesis… Elle frissonne… Et repousse brutalement Teutatès, prise d’une violente nausée qui la force à se précipiter dehors pour rendre le contenu de son estomac, la main en appui contre un arbre. C’est physique, tout son corps se rebelle. Ses yeux pleurent, et ça continue de se retourner dans son dedans, même si elle n’a plus rien à vomir. Elle se met à trembler comme une feuille. Genesis n’a jamais su dire non à son mari… Pas même quand ses élans, inextinguibles, le poussaient à négliger leur nouveau-né. Ce nouveau corps qui est le sien porte en lui la sensation de son bassin, maintenu avec force, autorité, comme s’il ne pouvait en être autrement, pendant qu’il l’assaille… Bouleversée, Epone se replie sur elle-même. Cette poigne, elle ne la connaît que trop bien. Jack est Esus. Et ainsi, tout trouve son sens… Et plus rien n’en a. Gardant appui sur l’arbre, la déesse a l’impression de manquer d’oxygène, l’impression qu’un piège se referme sur elle… Elle doit y retourner, mais elle ignore si elle pourra supporter, ou feindre supporter, la vie de couple de Jack et Genesis… Pas comme ça.

Dans un état second de fuite en avant, l’apparente jeune femme tente d’atteindre l’arbre suivant, mais trébuche, et s’étale de tout son long. Où est-ce qu’elle veut aller ? Loin. N’importe où, mais loin. Elle se dégoûte. Faible, incapable… Incapable de se défendre quand on cherche à la forcer. Pas le pouvoir de lutter pour elle… Et dans l’impossibilité de se résoudre à l’endurer. Elle n’a plus de courage. Elle a l’impression d’être vidée de toute substance, et rien que la perspective de franchir le domicile des Romero lui déclenche des sueurs froides. « J’veux pas y aller… Je veux pas y aller… » En état de choc, elle panique, et boucle, tente de se relever, ne parvient plus à rationnaliser, à avoir suffisamment de raison pour reprendre le dessus, garder la tête froide et se montrer pragmatique. Son être est trop morcelé, trop faible… Epone a l’impression monstrueuse que si elle franchit de nouveau le seuil de cette maison, elle mourra encore… Et peut-être pour la dernière fois.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Jeu 9 Avr 2020 - 17:52
Les choses ne sont pas à leur place et ne commencent même pas à y ressembler, mais cela reste un bon début. Cette fois je n’ai pas dix trains de retard sur Esus. Cette fois je ne suis pas à la ramasse totale ; je peux encore me battre. Ca ne sera pas facile. Ca ne sera pas rapide non plus. Mais je n’avais pas à courir après lui et tous ses petits plans. Je restais un dieu tourmenté par ses erreurs du passé, par tous ses manquements. Se trompait-on quand on était un dieu, ou est-ce que tout cela faisait simplement partie d’une sorte de plan cosmique ? Du destin, pour lequel je ne me sentais pas plus que les hommes en confiance quant à son existence ? Je ne savais pas. Je n’avais pas toutes les réponses. J’étais simplement devenu un petit dieu. Pas insignifiant pour autant -j’avais toujours ma fierté- mais sans doute sans avenir et sans règne à venir, une existence de servitude envers un devoir qui m’avait depuis longtemps vu naître, grandir et dépérir. Quel enjeu nous restait-il, en dehors de nous protéger des démons du passé, nés des mêmes côtes que nous ?


Je la sens contre mon cœur. Mais je m’alerte, malgré l’aspect apaisant du moment il n’est pas bon pour nous de nous attarder en ces lieux. L’endroit est pauvre, comme beaucoup d’endroits en centre-ville. Ce sont près de ces immeubles que l’on recense le plus de crimes et de délits et les postes de police foisonnent de pareils guet-apens. Je ne peux pas prendre de risques concernant Epona. M’étant moi-même laissé gagner par une ferveur aussi ancienne qu’inutile, je devais me réfréner ; je contribuais à nous mettre tous les deux en danger et ce n’était certainement pas une mort digne de nous -encore- que de se faire alpaguer près des mauvais quartiers de la ville. Je tourne mes yeux vers son visage quand elle parle de Lou, et je me rends compte que j’ai réfléchi à voix haute.



| Lou est la seule disciple qui croit encore en moi à ce jour, malgré plus de deux siècles de retour parmi les hommes. Je n’ai jamais réussi à retrouver mes pouvoirs d’antan, à retrouver assez de pouvoir pour te retrouver pour de bon. Aujourd’hui, ma douce, la justice comme je la pratiquais autrefois n’intéresse plus personne. |


Ce n’était pas un regret, et certainement pas non plus un jugement. Les dieux disparaissaient quand on ne croyait plus en eux. Ils n’avaient simplement pas la ressource pour revenir des limbes. Je comprenais la suite des paroles d’Epona même si celles-ci restaient lourdes de sens ; il fallait bien que je prenne un peu de temps pour récupérer tout ce qui pouvait l’être, puissance comme matériel. Je devais aussi faire de l’humaine qui me suivait une force, une réserve d’énergie. Mais je savais que la principale qualité de la jeune femme était dans les caractéristiques si spécifiques que je lui avais reconnues sitôt que nous nous étions rencontrés. Je hochais la tête, travaillé à l’idée de renvoyer ma déesse-sœur, ma partenaire de toujours, entre les griffes de mon pire ennemi, ma némésis.


| Il le faut, malheureusement. Pour donner le change. Tu vas devoir subir pour qu’on puisse avoir une chance de combler sa longueur d’avance et de le détruire… |


Je la sens bien se crisper. De toute évidence la situation n’a rien de facile pour elle. Esus doit l’avoir sous son emprise la plus totale. Il doit en profiter… Mais malgré tous ses travers, j’ai du mal à l’imaginer en train de la briser à chaque instant. Qu’aurait-il à y gagner ? C’était un dieu de la guerre, un dieu de l’honneur aussi. Qu’il fasse tout pour l’emporter et faire vaincre ses ambitions, je pouvais le concevoir, mais ce n’était pas pour autant quelque chose que j’étais prêt à accepter. Epona payait-elle encore et toujours les pots cassés ? Sans aucun doute. A quel point ? Était-ce même important pour moi de le savoir, compte tenu du fait que je risquais de perdre tout sens commun en l’apprenant ? La situation était tellement compliquée… Mais quelque part, elle était aussi limpide. J’avais un ennemi. Et donc un but. Et j’avais une chance de récupérer la déesse de mon âme, cette moitié qui m’avait été arrachée depuis bien trop longtemps.


Je lui saisis le visage entre mes mains et cherche à accrocher son regard, l’âme divine malmenée de ce que je lisais sur elle et en elle.



| Replie la déesse au plus profond de cette enveloppe et laisse Genesis Romero affronter ça. C’est son mari, à elle. Je ferais en sorte que ce soit terminé le plus vite possible, d’accord ? |


Je l’embrasse sur le front et commence à ramener son « vêtement » pour que l’enveloppe soit protégée un minimum, commençant à récupérer mes propres affaires à mon tour, au supplice de l’attente, et de l’impossibilité d’en finir en une seule soirée.

Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Lun 27 Avr 2020 - 17:19

Il n’y a pas que la justice d’autrefois qui n’intéresse plus les hommes… Les hommes, en fait, ne s’intéressent plus à rien en dehors d’eux-mêmes, de leurs profits… C’était déjà le cas à la précédente incarnation de la déesse. Pourquoi les choses auraient-elles changé depuis ? Il y avait ceux qui réussissaient, en exploitant les autres, et ceux qui se faisaient exploiter. Les villes s’étendaient déjà, et l’homme cherchait à s’élever vers le ciel, perdant à chaque étage un peu plus de son lien avec la terre… Le nombre l’a voulu efficace, la sédentarité paresseux. Beaucoup, déjà dans les années 20, n’avaient plus ce plaisir du travail bien fait à la fin de la journée. Oisiveté, gourmandise, luxure… Voilà ce qui faisait tourner le monde, à l’époque. Ceux qui les avaient se battaient becs et ongles pour le conserver, pendant que ceux qui ne l’avaient pas en rêvaient. Le travail de la terre et la simplicité ne font plus rêver. Plus personne ne veut d’une bicoque perdue, de l’essentiel, d’un hiver sous la neige au coin du feu à manger de la soupe, et d’un été aux champs. Plutôt que d’être à l’écoute des saisons, d’eux-mêmes, d’avoir du temps pour eux et pour s’apaiser, ils préféraient s’abrutir d’alcool et de tabac, pour oublier qu’ils sont les seuls responsables de la vanité de leurs existences… Elle est amère, Epone. Elle est amère depuis sa première mort. La douceur de la vie en France, en compagnie de Teutatès, était parvenue à calmer cette amertume, mais ses deux morts suivantes ont fini de l’aigrir vis-à-vis des hommes.

Elle est désolée que Teutatès prenne le même chemin qu’elle, et en signe de compassion, elle lui serre le bras, ce bras auquel elle s’accroche comme si sa vie en dépendait, avec affection. Le sentant, lui, rester d’un calme olympien, elle parvient plus ou moins à puiser dans sa force pour restaurer un peu de son propre calme, récupérer un rien de sa dignité. Néanmoins, ses paroles ne font que pousser son visage à s’assombrir, ses traits à se tirer. Il a raison, bien sûr, mais le savoir ne comble absolument pas la peine, l’horreur, l’appréhension ou la colère… ça ne fait, en fait, qu’attiser cette dernière et ces paroles auraient émanées de n’importe qui d’autre, la déesse se serait enflammée pour de bon. Ce visage qu’il cueille en coupe dans ses mains, elle ne le lève vers lui que de très mauvaise grâce, déjà horripilée par l’idée d’avoir à regagner le même toit que cette crevure qu’elle rêve d’achever d’un coup de couteau dans le cœur… Tout en se frustrant d’autant plus qu’elle sait qu’elle ne pourra passer à l’acte, sachant pertinemment que les enfants du couple en pâtiraient. Ils ne peuvent voir celle qu’ils prennent pour leur mère tuer celui qu’ils prennent pour leur père… « Non. » Elle répond, abrupte, tranchante, et d’un calme revenu, particulièrement froid. Elle prend son vêtement qu’elle remet, automatique, raide. « Si je laisse Genesis reprendre le dessus, je ne suis pas certaine de pouvoir revenir… Je vais l’écraser, Teutatès. D’ici très peu de temps, elle va cesser d’exister. Et j’affronterai Esus. Et je veux que le dernier visage qu’il verra avant de retourner dans les limbes soit le mien. » Elle est décidée, ferme, et fait une brève pause avant de reprendre. « Teutatès, Jack et Genesis ont deux enfants… » Elle tourne un regard acéré vers son compagnon, qui comprendra sans peine qu’il est aussi hors de question qu’elle les lui impose, qu’elle-même ne les abandonne…

Interrompue dans le fil de ses réflexions, elle est prise d’une quinte de toux, qu’elle peine à calmer pendant cinq bonnes secondes. Quand elle revient à elle, ses poumons sifflent de façon audible, avant de se calmer. « La ville ne m’a jamais réussi… » Elle grimace, avant d’en revenir au dieu, auquel elle lance un regard plein d’espoir. « Accepterais-tu de me ramener chez Jack et Genesis s’il te plaît ? C’est hors de la ville apparemment, et Genesis n’a pas l’air de connaître Philadelphie… » En effet, la déesse a beau regarder autour d’elle, tenter de se repérer, rien ne lui semble familier dans les souvenirs de son hôte. « Autrement… » Autrement... Ses sourcils se froncent légèrement, elle ne termine pas sa phrase. Autrement elle ne sait pas vraiment comment elle se débrouillera, mais quoi qu’il arrive elle le devra.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Ven 1 Mai 2020 - 18:37
La situation est compliquée. Rarement Esus avait eu autant d’avance sur nous. On ne l’avait pas toujours vu venir, car il aimait avancer masqué au milieu de la folie des hommes et de tout ce qu’ils étaient capables de provoquer pour s’en servir comme d’un camouflage émotionnel et historique qui permettait de passer sous les radars des dieux qui en avaient après lui. Après tout, quoi de plus simple que de se cacher dans la peur et la haine des hommes, si prompts à la ressentir ? Il y avait eu à chaque fois ces tentatives de conquête et de victoire, ses trahisons. Celle du temps de la Gaule, puis plus tard, son embuscade au plus fort de la guerre de cent ans. Peut être que si la situation actuelle devait ressembler à autre chose que nous avions vécu, ce serait sans doute la dernière fois que ‘javais vu Genesis. Déjà à l’époque, il l’avait utilisée contre moi. Les choses allaient de mal en pis, et j’avais été coincé entre la perdre, ou me perdre en même temps qu’elle. Le dilemme insoluble n’avait pas fini par être tranché, pas vraiment. J’avais simplement opté pour la solution la plus radicale et sanglante, comme toujours.


Quand on est le dieu de la Justice, on fait rarement dans la demie-mesure.


Mais pourtant, cette fois, je dois faire mieux. C’est un vrai défi en réalité, tant la solution de facilité est tellement attrayante. Depuis ces millénaires traversés, la tentation de la haine et de la divine colère était la plus forte. Il n’était pas facile dès lors, de renoncer. De penser à autre chose qu’aller détruire mon rival et mon ennemi de toujours. Je la sens se tendre psychiquement, parce que je suis aujourd’hui plus fort qu’elle et que même si elle ne s’ouvre pas à moi comme jadis, je la connais mieux que personne. Ma compagne de toujours m’explique qu’elle ne peut pas laisser l’humaine prendre le dessus. Et elle veut affronter Esus.


Un long silence s’installe où nous nous regardons fixement ; jamais je ne la laisserais se confronter à Esus. Elle peut le savoir, sans doute, si elle se rappelle de moi, de nous. Je sais que je ne devrais pas. Mais je suis aussi son Dieu Protecteur à elle. Le père de notre petit panthéon. Le sien. Je dois la protéger à hauteur de son mérite, et de ma dette qui se fait plus abyssale à chaque réincarnation divine.



| Non. Nous devons être pragmatiques. Tu n’as pas la force pour, pas ici, pas maintenant, pas avec ce véhicule. Dans un monde idéal, ma sœur, tu aurais été assez forte, depuis des siècles, et avec des fidèles, et nous l’aurions écrasé ensemble comme l’Histoire aurait dû le conclure depuis longtemps. Mais ce n’est pas notre cas aujourd’hui. |


Elle parle enfants.


Je comprends ce que ça implique. Mais des enfants, avec le travail que j’occupe, qui est important ? Je ne réponds pas, je continue de la regarder alors qu’elle tousse, et qu’elle ne semble pas aller bien. Je hoche lentement la tête.



| Je vais te ramener, oui, mais s’il est à la maison je vais devoir te laisser un peu en avant, sinon il risque de sentir ma présence. Et si je devais l’affronter là maintenant, sans ma disciple, je ne sais pas si j’ai de quoi le détruire. Nous n’avons droit qu’à un coup, Epona. Sinon ça voudrait dire repasser siècles et millénaires sans le pouvoir et la présence de l’autre… |


Les portières claquent et je trace la route. Silence pendant quelques minutes.


| Il est comment, avec les enfants ? Esus, je veux dire. |
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Lun 18 Mai 2020 - 18:06

Qu’elle est frustrante, la prison du présent, un présent dégueulasse, aussi visuellement que psychologiquement. Les hommes se sont murés dans le béton, déconnectés de l’essentiel, on pullulé comme des rats, se sont proclamés maîtres de tout, et ont refoulé les préceptes de nature et d’unité avec elle, préceptes qui ont donné naissance à Epone, à un passé si loin que c’est à peine s’il en demeure folklorique… Au même titre que les pouvoirs de la déesse. Alors elle est en colère, la déesse. Elle qui ne fut que bonté et inspiration, don de vie et soin, ne souhaite maintenant rien de plus ardemment que la déchéance de ceux qui les ont abandonnés, elle, et tous les membres de la tribu des Tuatha Dé Danann. Elle veut qu’ils récoltent le fruit de leurs efforts… Et en vient à se demander où se situe la justice, si chère au Dieu son père et moitié, pour qu’elle ne puisse plus s’abattre sur leurs enfants comme ils le méritent… Les enfants… Elle songe, à ceux de Genesis. Ils seront nos nouveaux fidèles. Elle résout, durement, en s’enfonçant dans son siège, son visage se refermant alors qu’elle se laisse gagner par l’amertume. En son sein, Genesis hurle de désespoir, mais c’est à peine si la déesse courroucée l’entend, la renvoyant toujours plus profond dans ses propres profondeurs, où elle la digère en même temps que ses souvenirs, impitoyable.

Les réincarnations ont été trop dures avec elle. Elle a trop souffert. Maintenant, quelqu’un va devoir payer. Esus, bien sûr, mais ce ne sera pas le premier. Elle se jure que non, Teutatès doive-t-il se courroucer de la savoir en parallèle de lui, sans lui voler ses attributions, en faire une interprétation toute personnelle. Il dit qu’elle ne pourra pas tenir tête à Esus… En frontal, sans doute que non, mais il y a des choses à laquelle son enveloppe, même si plu résistante que la sienne, ne saurait survivre. Elle a envie, Epone, de lui faire connaître le sort affreux de l’écartèlement… Par des chars d’assaut, peut-être, avec lesquels elle le soupçonne d’avoir la même relation qu’elle-même avec les chevaux. Ou bien quatre mustangs, mais où trouverait-elle trois autres conducteurs prêts à démembrer cette lie de la divinité avec elle… ?

C’est à peine si elle écoute encore Teutatès, malgré sa main qui cherche la sienne sur le pommeau de vitesse. Il lui a manqué, affreusement, mais elle est totalement déchirée par la rage et est incapable de lui rendre justice, de consommer comme elle le voudrait la félicité qu’elle ressent de le retrouver, félicitée bien trop ombragée par un retour imminent auprès de cet être détestable dont elle souhaite si ardemment le trépas. C’est à peine si elle hoche la tête quand il parle de la laisser à une centaine de mètres de la maison. Elle n’en attendait pas plus, n’en demandait pas d’avantage. Pendant les minutes qui suivent, elle tente de se projeter être honnête avec Esus et lui dire que Genesis n’était plus, se sachant parfaitement incapable d’endosser son rôle… Au moins, il saurait avec qui il compose, et elle aussi. Il n’y avait que pour les enfants que le résultat risquait d’être mitigé… Si puiser dans les souvenirs de Genesis lui permettrait de prendre soin d’eux exactement comme leur véritable mère l’aurait fait, maintenir les apparences auprès de leur « père » serait une autre paire de manches. Elle en est là de ses réflexions quand la question de Teutatès brise le silence. Epone n’y répond pas tout de suite, elle prend le temps de fouiller dans les souvenirs de Genesis, et, grâce à cela, identifie avec plus ou moins de précision le moment où Esus avait remplacé Jack. Le mot qui lui vient en premier en tête est « Distant… » Elle réfléchit encore, puisant dans d’avantage de souvenirs encore. « Jack s’occupait bien plus de leur premier né qu’il ne le fait de leur seconde. Il n’a pas de scrupules à culbuter Genesis alors qu’elle console le bébé dans leur lit. Il n’est pas violent avec l’aîné, mais il est exigeant avec lui, et beaucoup moins doux et patient que ne l’était son père… » Elle soupire. « Je crois qu’Esus a fait de son mieux pour ne pas éveiller les soupçons de Genesis. Cette femme, je pense, aurait beaucoup accepté de son mari, mais certainement pas qu’il lève la main sur leurs enfants… » Elle serre les dents. « Dans tous les cas, il sera bientôt écarté de leurs vies… »
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mer 20 Mai 2020 - 20:13
La voiture déchire le voile de la nuit et de l’obscurité, la découpant de ses phares qui se reflètent sur les bandes réfléchissantes sur le bitume ou les bas côtés de la route. Je sens qu’Epone est mal à l’aise. A propos de tout, sans doute, même si en tant que déesse je ne pouvais pas rentrer dans son âme comme dans celle des autres. Je ne peux pas posséder sa psyché comme certains démons des légendes ; je ne peux la contraindre en rien. Même pour son propre bien. Pour y parvenir un tant soit peu, elle devait m’ouvrir son âme. Mais de ce que j’en avais ressenti jusqu’à maintenant, elle n’était pas prête à cette communion-là. Car ce serait se mettre totalement à nu, renoncer à toute défense, à toute échappatoire. Si elle me laissait entrer, c’était en acceptant que je laisse une trace indélébile en elle, et que je puisse faire d’elle ce que je voulais. Jadis, même en tant que binôme et fratrie divine, il nous avait déjà fallu du temps pour en arriver à ce stade. Je n’imaginais pas aujourd’hui…


Je ne pouvais quoiqu’il en soit pas perdre de vue que c’était Esus pour l’instant, la priorité. Tant qu’il serait là il n’était pas question que l’on passe à autre chose que le travail à sa destruction. Ne pas être débarrassé de lui signifiait prendre le risque que les choses dégénèrent tout à fait et que je re-perdre tout espoir pour des siècles… Ce qui, avec mes pouvoirs et capacités divines, me condamnerait sans doute à une éternité de folie et de déchéance. Je ne pouvais pas le permettre. Je ne le pouvais plus. Epone et moi avions brûlé la chandelle par les deux bouts, sans être assez durs pour nous battre contre cet ennemi qui représentait tellement pour nous deux… Moins pour le monde. Le danger que représentait Esus avait décru en même temps que nos pouvoirs à tous, en même temps qu’Avalon s’était transformée en mythe, que nos noms et notre puissance avaient été oubliés.


La vérité est simple, basique. Jamais nous ne saurons être en paix tant que ce frère félon sera en vie.


La main d’Epone se pose sur la mienne, sur le levier de vitesse. Un poids descend immédiatement de mes épaules, et je respire un peu mieux. L’expiration est lente. Elle fait du bien. Parce que je sais qu’ensemble, on a la capacité de défier n’importe qui, même ce fou furieux de dieu de la guerre. Le sujet des enfants est délicate. Pour certains dieux et déesses, ne pas en avoir était un manque comblé par de très jeunes disciples, par un mode de compagnonnage très proche des humains. Epone avait toujours aimé les jeunes humains. Je ne pouvais pas lui retirer sa douceur.


J’écoute ce qu’elle me raconte sur l’homme et le dieu. Je garde le silence un moment.



| Tu sais que tu ne pourras pas t’occuper d’eux à vie, qu’il soit là ou pas. N’est-ce pas ? |


Je la regarde dans une longue ligne droite, dans une grande route entourée d’arbres qui forment des montagnes dans la pénombre de la nuit noire.


| Nous sommes à deux et c’est tout ce qui compte. C’est la seule chose intangible dans notre existence, Epone. Il s’en est passé des choses, en six cent ans… Mais ça ne change rien. On a un travail à faire sur ce monde. Et ce travail fera de nous des cibles, même quand Esus sera abattu. Pour leur équilibre, ces enfants auront besoin de parents humains… |
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan  Mar 26 Mai 2020 - 15:58

La voiture file sur l’asphalte, dans l’obscurité découpée régulièrement par la lumière des réverbères qui délimitent la route. Coude sur l’appui de fenêtre, tempe dans sa paume, Epone regarde le monde comme se faire engloutir par la voiture moderne. Genesis adorait la vitesse. Elle le voit, en fouillant, en assimilant ses souvenirs un peu plus à chaque minute qui passe. Elle aimait les belles carrosseries, les chevaux modernes… Les Mustangs. Elle a mal au cœur, Epone, se sent d’une tristesse à fendre les pierres un instant, ivre de rage la seconde suivante. Le maelstrom qui la secoue est aussi brutal que réversible, brutalement réversible. Elle a l’impression d’avoir l’âme en ébullition, que le moindre contact suffirait à lui faire péter les plombs. Elle est perdue, elle a peur, et, comme une chienne acculée, elle sent qu’elle va mordre…

Et Teutatès, dans tout ça ? Il n’y est trop pour rien. Pas totalement en tous cas. Ce n’est pas de sa faute, si elle est morte. Mais elle lui en veut d’être revenu, et d’avoir vécu, aimé, sans elle, quand elle n’a eu que lui. En fait, elle est percluse de douleur, Epone. La peine lui déchire le cœur, la colère le ventre. Elle a été tellement heureuse de revoir Teutatès… Et maintenant elle en vient à se dire qu’elle aurait peut-être mieux fait de ne jamais revenir… Alors sa colère grandit d’un cran supplémentaire. Sans les manigances d’Esus, elle serait encore en sommeil, et Teutatès serait tout à sa vie, sans elle. Quelque part, garder les enfants de Genesis pour elle, c’est aussi l’occasion d’avoir, enfin, quelque chose à elle, et rien qu’à elle. Les humains ne se possèdent pas, mais elle sait qu’elle se plairait à les élever… Pour essayer. La cruauté d’être spectatrice et encourageante de la fertilité d’autrui, sans jamais donner la vie soi-même, très bien supportée jusqu’à présent, ce soir l’écrase. Malgré la présence de son Tout, Epone se sent seule… Affreusement seule. Seule dans sa colère, seule dans son ressentiment, seule dans sa douleur… Et elle s’énerve un peu plus encore, froidement, murée dans le mutisme.

Jusqu’à ce que les paroles de Teutatès, pleines de sagesse, soient la goutte d’eau qui fasse déborder son vase. Si elle ne répond rien à la perspective prochaine, déchirante, de se voir retirés les enfants de Genesis, le laïus du dieu de la foudre concernant leurs responsabilités envers les humains, des humains qui se foutent intégralement d’eux, finit de ronger sa patience… « Arrête la voiture s’il te plaît. » Elle lui demande, gentiment, sans violence dans la voix mais la violence dans le corps et l’âme. Ils sont sortis de Philly maintenant, même si la ville n’est pas loin. Qu’importe, c’est assez loin pour qu’Epone se sente mieux, ou au moins capable de marcher. La voiture à l’arrêt, elle défait sa ceinture et commence donc à marcher, les yeux dans le vague, et le vague à l’âme. Elle, elle n’a pas l’impression de devoir quoi que ce soit à qui que ce soit… Elle, elle a plus l’impression que le monde lui doit tout. Elle ne lui demande rien. Rien d’autre qu’un peu de paix. C’est trop demander, déjà ?

Elle marche, un pas décidé après l’autre, de plus en plus vite, de plus en plus énervée, les muscles rendus nerveux par la colère, sans parvenir à se calmer. Ça bouillonne à l’intérieur d’elle, qui n’est qu’un volcan au bord de l’éruption. Elle a envie de hurler, de pleurer jusqu’à se faire cueillir par le sommeil, de tout casser, et surtout elle. La conscience aiguë de la justesse des propos de Teutatès est là, mais le trop plein de sentiments qui l’assaillent rendent la raison totalement inaudible. Elle serre les poings, à s’en blanchir les jointures, à s’en meurtrir les paumes, assez pour qu’on puisse bientôt la suivre à la trace. Elle est hors d’elle, et à la fois jamais son enveloppe corporelle ne lui avait semblé aussi étroite, comme trop petite pour la contenir, Elle… A ce stade, elle n’est pas en état de penser à demain, pas plus qu’elle n’est capable de penser à où elle en sera dans dix minutes, tellement il est probable qu’avant la fin de la dixième prochaine minute, son crâne explose du trop-plein.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé
 Re: Vers l'infini et au-delà | Johan 
Revenir en haut Aller en bas

 Vers l'infini et au-delà | Johan

Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Vers l'infini et l'au delà [PV Abel]
» Johan
» Nightmare ♦ ft Johan McRawne
» A sad soul is always up past midnight...| Johan
» (johan&meera) the screaming of the lambs.

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Blasphemiæ Deorum :: Coliseum :: Limbes :: Récits inachevés-
Sauter vers: