3 Février 2020

Comme toutes les journées de travail, Faith la commençait en prenant son traitement. Au saut du lit, à peine avait-elle posé ses deux pieds par terre qu’elle ouvrait le tiroir de sa table de chevet pour attraper le pilulier et qu’elle prenait sa dose quotidienne sans une seule goutte d’eau. C’était son rituel du matin. Après cela, elle s’installait dans un coin de son bureau sur son tapis de yoga et faisait quelques enchaînements de figures pour réveiller son corps tout en douceur. Un petit tour à la douche et finalement la jeune femme préparait rapidement un thé vert dans son grand mug isotherme avant de rejoindre sa voiture. Comme à son habitude, elle entra dans le parking souterrain et laissa sa Chevrolet sur la place portant le numéro 105, celle qui lui était attribuée. Rejoignant l’ascenseur, ses talons aiguilles résonnaient sur le sol. Maître Sherman faisait toujours dans l’élégance, simple mais efficace. Vêtue d’une jupe et d’une veste de tailleur, son collant noir très fin soulevé le gris anthracite des vêtements mais aussi des escarpins en cuir retourné de la même couleur. Côté maquillage, eye-liner et mascara suffisaient à mettre en valeur son teint sans trop surcharger sa peau délicate. Elle avait de base horreur de jouer sur les apparences et les faux semblants. Mais dans son métier, les gens partaient du principe que l’habit faisait le moine aussi avait-elle pris cette habitude au fil des ans de s’habiller comme si elle allait faire une plaidoirie chaque jour. La majorité de ses clients, beaucoup d’hommes d’affaires, appréciait son professionnalisme autant que la vue de son physique. Quand elle avait commencé ce métier, les remarques et les regards pouvaient parfois l’indisposer, la mettre mal à l’aise. Mais souvent, un regard de glace suffisait à calmer les ardeurs de la majorité. Aujourd’hui, elle n’en avait que faire. Son indifférence naturelle était encore plus efficace pour remettre les clients à leur place et les obliger à se concentrer sur ce dont elle parlait, sur l’affaire pour laquelle ils avaient été amené à venir la voir.

Premier jour de la semaine, Faith allait avoir peu de temps devant elle. Les rendez-vous avec les clients allaient rapidement s’enchaîner. Mais avant cela, comme chaque début de semaine, il y avait une réunion avec tous les membres du personnel suivi d’une seconde réunion pour les avocats. Généralement cette seconde partie servait à faire une mise au point sur les dossiers pour que chacun sache où il en était sans rentrer dans les détails. Généralement, elle faisait partie de ceux qui avaient le plus de dossiers, son nom faisant beaucoup parler de lui depuis un certain temps. Si au départ, elle était confiante, espérant que cette notoriété finisse par lui ouvrir les portes du bureau de la procureur, aujourd’hui cette réputation lui laissait un goût très amer dans la bouche. C’était à cause de celle-ci qu’il était arrivé jusqu’à elle, qu’il s’était intéressé à son cas pour finalement la faire prisonnière d’une vie qui ne l’enjaillait nullement. Le rappel dans son esprit de l’étape de la transformation lui faisait encore s’hérisser les poils sur tout le corps. Elle ne savait pas ce qu’il se passait, elle ne comprenait pas cette chose, cette sensation de se faire envahir son corps sous la contrainte, la douleur. Tel un choc électrique à répétition qui traversait l’ensemble de son enveloppe corporelle, cela avait duré une semaine entière avant qu’elle ne se résigne, percluse par la douleur dans le lit de cet homme qui n’en était pas un. Il était en réalité un dieu qui semblait trouver cela normal de prendre ce qu’il avait envie à une simple humaine, sans lui demander son avis. Il l’avait condamné à le supporter contre vent et marée, bien au-delà d’une simple relation d’affaire avocat-client.

Après le premier mois passé à souffrir puis à difficilement accepter la situation, son pouvoir ainsi que son point faible s’étaient manifestés, tous les deux tels des malédictions. Entendre les pensées de tout à chacun devait être un rêve pour une commère de premier ordre. Mais pour elle, c’était tout simplement un vrai calvaire doublé d’une gêne pour faire son métier. Au début, il lui était impossible de faire le tri dans tout cela tant elle entendait un nombre inimaginable de pensées. Finalement les rares fois où elle sortait en course furent supprimés, optant pour la livraison à domicile systématiquement pour éviter la foule. Les réunions du genre n’étaient pas son fort au départ, mais depuis qu’elle avait son pouvoir, c’était une véritable horreur. Il était rare qu’elle en sorte sans un mal de tête carabiné. Depuis qu’elle était pré-adolescente, Faith avait tout donné pour sa famille. Aujourd’hui, alors qu’elle gagnait relativement bien sa vie, une bonne partie de ses gains allait à ses parents pour leur confort. La maladie de sa mère était déjà à un stade bien trop avancé pour revenir en arrière mais elle voulait au moins qu’elle puisse être sereine et lutter au maximum en tout tranquillité. A peine la fin de la réunion annoncée, la brune avait déjà sauté sur ses pieds, son bloc note dans une main, son mug dans l’autre et sortait rapidement de la salle. Lorsqu’elle passa devant l’accueil, le chargé d’accueil voulu l’intercepter mais elle ne le laissa nullement faire, entrant en trombe dans son bureau pour finalement être surprise de ne pas le trouver vide. Ce dernier arriva derrière elle pour s’excuser en précisant que la dame du FBI ne lui avait pas laissé le choix. Le regardant, elle lui dit :

Je vous ai déjà dit que ce n’était pas les visiteurs qui décidaient d’où ils attendaient.

Le jeune homme repartit un peu pataud alors que la belle jeune femme la salua sans aucune présentation de sa part, simplement en lui tendant la main. La brune lui serra la main mais s’empressa également de l’autre main de lui arracher le dossier des mains. Evidemment, elle ne put que tiquer sur sa remarque concernant sa convalescence. L’avocate n’était jamais malade, jamais absente, de quoi diable cette agent du FBI parlait-elle ?

Je vous rappelle que fouiller mes dossiers sans mandat ni mon accord est une violation de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique.

Contournant son bureau pour remettre le dossier à sa place, elle observa l’ensemble de la pièce pour vérifier que tout était à sa place avant de reprendre.

Non seulement vous vous invitez dans mon bureau mais en plus de cela vous ne vous vous présentez même pas préférant parler du fait que je me sois bien remise d’une quelconque convalescence dont je ne suis pas au courant.

Finalement, Faith prit place dans son fauteuil, les coudes sur le bureau, les mains jointes, elle posa son menton sur ses mains avant d’ajouter :

Soit vous en venez au fait soit je ne vous retiens pas de prendre la porte.

3 Février 2020


La journée avait été longue, surtout avec cet enchaînement de réunions qui lui pompait d’autant plus son énergie depuis que c’était un véritable capharnaüm dans sa tête. Ce soit-disant pouvoir qui était plus une malédiction pour la jeune femme qu’autre chose ne lui avait que peu voir pas rendu service jusque là. Il faut dire qu’elle n’était pas le genre de personnes à vouloir exercer ce don qu’on lui avait imposé. Tryggvi pouvait bien aller au diable, dieu ou pas. Perturbée par cette visite imprévue et indésirable, surtout au vue de l’heure, elle était bien incapable de percevoir l’humour de son interlocutrice ou ses pensées sur le fait qu’elle n’était point pressée. La fausse agent du FBI finit par se lever pour venir s’asseoir face à Faith. Le regard de cette dernière n’invitait clairement pas à s’installer pour une longue durée. Aussi avait-elle plutôt intérêt à rapidement déballer le pourquoi de sa venue, qu’elle puisse répondre à sa demande ou l’envoyer chercher un mandat avant d’avancer sur ses dossiers. Ses yeux se posèrent sur le badge qui semblait évidemment plus vrai que jamais. Écoutant la réplique de Spencer concernant son utilisation du droit et de possibles poursuites, elle ne put s’empêcher un très rapide sourire, se demandant de quelles poursuites la femme en face d’elle pouvait-elle bien parler. Il devait encore s’agir d’une incompétente, il y en avait de partout même dans les agences gouvernementales après tout. La remarque suivante fit apparaître un véritable sourire narquois sur son visage. Son interlocutrice semblait tout de même pourvu d’un minimum de cervelle, bien. Elle devrait pouvoir s’en tirer rapidement alors, à moins que cette dernière ne désire s’attirer ses foudres. Dans le domaine de la justice, rares étaient les personnes voulant se frotter dans un tribunal à Maître Sherman. De plus, elles étaient généralement jugées comme complètement folles. Une carrière et une réputation se construisaient à l’aide de victoires, de réussites. Devenir l’adversaire de Faith dans une cour de justice revenait clairement à renoncer à cela. Finalement, son sourire s’agrandit encore un peu plus alors que la dernière phrase l’obligea à répondre :

C’est l’hôpital qui se fout de la charité de toute évidence agent Spencer. Le droit n’est pas que mon domaine mais aussi le vôtre jusqu’à preuve du contraire. Quand à l’accueil que je vous fais, il est à la hauteur du respect dont vous avez fait preuve en vous immisçant dans mon bureau sans y avoir été convié. J’exerce mon métier dans le respect de la loi ce qui ne semble pas être votre cas vu votre comportement de tout à l’heure, chose que je ne manquerais pas de faire remonter à votre supérieur. Enfin ma vie privée ne regardant que moi, qu’il y ait pu avoir une période de convalescence n’a aucune importance ici.

Ses clients étaient satisfaits de ses services, c’était un fait avéré. Elle se moquait bien de ce que pensait ceux qui l’entouraient n’attendant de compliments ou de fleurs de qui que ce soit. Depuis très jeune, la brune avait toujours tout donné pour sa famille, devenant comme une mère pour son petit frère et sa petite soeur lorsque l’état de santé de sa mère c’était aggravé. Ses parents n’avaient jamais eu de gros moyens aussi avait-elle dû avoir un job à côté de la faculté de droit pour pouvoir payer ses études. Et finalement, Faith avait réussi, se faisant un nom, une réputation. Elle gagnait plus que correctement sa vie ce qui lui avait permis une fois de plus de venir en aide à sa famille et ça, tout se mérite, elle ne le devait qu’à elle et ne comptait pas sur la reconnaissance des autres pour savoir qu’elle faisait bien. Marquant une pause, satisfaite de lui avoir fait comprendre qu’il fallait qu’elle reste à sa place, elle reprit :

J’ai toujours collaboré avec les agents du FBI ou des forces de l’ordre tant que ces derniers faisaient les choses correctement.

S’adossant au fond de son fauteuil de bureau, Faith se savait dans son bon droit. La surprise passait, son esprit retrouvait son calme naturel ainsi que le repos de ne plus avoir ses pensées parasitées par celles des autres, excepté évidemment celles de l’agent Spencer. C’est à ce moment là qu’elle entendit le nom de Tryggvi dans l’esprit de son interlocutrice. Évidemment, bonne actrice en tant qu’avocate jouant un rôle à chaque fois qu’elle enfilait sa robe de magistrate, rien ne laissa transpirer cette révélation. Cet enfoiré avait donc des personnes sous sa coupe de partout, y compris dans une organisation d’état. C’est alors que l’agent du FBI lui parla de manière très anormale. Ce qu’on cherchait à avoir d’elle de toute évidence, c’était des informations en dehors des clous. La femme qui lui faisait face parlait de l’éthique des clients de Faith alors qu’elle était en train de lui demander de s’asseoir sur sa propre éthique. De plus, le nom de Spencer ne lui rappelait absolument rien avant aujourd’hui. Aucun de ses collègues ou supérieurs ne l’avait mentionné. Il y avait bien trop d’incohérence dans cette rencontre pour que la suspicion de l’avocate ne soit titillée sévèrement. Sa prise de distance était-elle un aveu silencieu des faux pas qu’elle venait de faire ? Fronçant légèrement les sourcils, son menton toujours appuyé sur le dessus de ses mains, elle répondit calmement :

De deux choses l’une : demander à un avocat de rompre le secret professionnel pour parler de ses clients éthiquement reprochables n’est pas très judicieux. De plus, votre nom ne me parle absolument pas. Êtes-vous nouvelle dans le coin ?

Si cela était le cas, Faith savait parfaitement qui appeler à l’agence du FBI de Philadelphie pour se faire valider l’existence d’un agent Spencer.

Au passage, je vous rappelle aussi que quiconque est innocent sauf preuve du contraire et que la loi permet à tout à chacun de pouvoir se faire représenter pour faire valoir ses droits. Mes droits à moi, dans mon métier, sont d’avoir le droit de ne pas vous répondre sans la présence d’un mandat. Donc peu importe le nombre d’affaires que vous souhaitez aborder ni même l’urgence de la situation, si vous n’avez pas le nécessaire, je ne pourrais nullement vous répondre. Mais … rassurez-vous, je serai encore là demain.

En gros, maître Sherman envoyait proprement chier son interlocutrice. Qui était cette femme pour venir s’imposer dans son bureau et la prendre de haut en cherchant à calomnier son travail ? Certes, l’avocate n’avait pas prévu de travailler dans cette branche toute sa vie au départ, ayant pour objectif de rejoindre l’équipe du bureau du procureur. Mais cette idée, elle l’avait abandonné voilà quatre mois lorsque ce foutu Loki l’avait piégé … définitivement. Si son interlocutrice ne déguerpissait pas, Faith espérait bien comprendre pourquoi elle avait le nom de Tryggvi en tête. Etait-ce lui qui allait lui donner encore du boulot parce qu’il avait les fédéraux sur le dos ?

3 Février 2020


L’agent du FBI ne se démontait pas ce qui n’étonna guère la jeune femme. Elle se retint de lever les yeux au ciel concernant l’homme de l’accueil. Il n’était pas là depuis trois jours aussi savait-il faire son job correctement. La jeune femme savait d’avance que la femme de l’agence gouvernementale n’avait pas dû bien lui laisser le choix. Et dans ce métier, on savait que trop bien qu’il fallait mieux pas avoir les fédéraux sur le dos. C’était nuisible pour obtenir de nouveaux clients. Malgré le mental et le mordant nécessaire à ce job, il fallait aussi savoir abdiquer par moment. Reformulant ce qu’elle avait dit plus tôt, Spencer ne semblait pas vouloir des informations gratuites. Heureusement pour elle parce qu’avec le dossier d’un de ses gros clients qui remontaient à 2013 qu’elle avait lu, elle n’apprendrait pas grand chose. L’avocate était pointilleuse, aucun de ses dossiers actuels n’était à la portée du premier venu. Seuls de vieux dossiers qui ne craignaient rien, sur des clients qu’elle possédait encore en portefeuille, avaient leur place sur son bureau ou son armoire, histoire de donner quelque chose à se mettre sur la dent à ce genre de personnes. Evidemment, il n’y avait aucun dossier actuel mais ça, il était rare que les gens s’en aperçoivent, préférant assouvir leur curiosité déplacée plutôt que de se rendre compte du traquenard. Seulement, la démarche de sa visiteuse était des plus bancales et incohérentes. Depuis quand un simple agent nouvellement affecté dans la région était en charge de recruter pour le camp du procureur ? Enfin, cette hypothèse ne prévaudrait que si elle avait d’autres indices pour la vérifier. A vrai dire, elle ne voyait pas de lien se dessiner entre cela et Tryggvi Vetrlidisson. Son interlocutrice avait pensé plusieurs fois à lui. Etait-ce une référence à l’un de ses dossiers les plus sensibles ? Il était certain qu’elle ne trouverait rien le concernant, pas aussi aisément. Malheureusement, cet agent arrivait avec quelques mois de retard si elle souhaitait lui proposer une place au bureau du procureur. Maintenant qu’il l’avait piégé, pouvant connaître tous ses ressentis et ses déplacements, elle ne saurait se défaire de lui de si tôt. Peut-être qu’il existait une manière de rompre le lien, mais Faith était encore une novice dans ce domaine et n’en avait pas la moindre idée. Ce nouvel univers lui était encore complètement étranger. Une fois sa transformation faite par la force, contre son gré, il l’avait gardé chez lui plus d’une semaine tant la douleur avait été insupportable. Accepter que les dieux puissent exister, accepter de se laisser envahir par une part de lui, de cet être abject et sans scrupule, accepter de devenir son larbin, tout cela avait mis du temps. Et à vrai dire, la brune avait craqué plus par résignation que par acceptation de sa nouvelle condition. La douleur électrisante qui l’avait traversé pendant plusieurs jours était devenue de plus en plus insupportable. Loin encore de connaître les rouages de la relation disciple-dieu dont elle ne voulait pas, surtout pas avec lui, elle n’avait pas réalisé au départ que Loki ressentait sa souffrance au même titre que elle jusqu’à ce qu’il le lui explique. D’un autre côté, pourquoi lui faire ça à elle ? Faith n’avait aucun penchant pour la malhonnêteté et encore moins pour le crime organisé. Or, si elle ne connaissait pas la nature réelle des activités du dieu et de son entourage, à force de défendre certains de ses gros bras, elle avait fini par se faire une petite idée. Et clairement, cette petite idée ne l'attirait guère. En réalité, cela ne l’attirait pas du tout même. C’était par défaut que la brune s’était mise à défendre les crapules et les escrocs. Son attitude hautaine et distante à l’université lui avait valu pas mal de portes closes. Seulement pour faire ce métier, il était impensable que son secret devienne public.

Sa première rencontre avec Tryggvi avait été des plus étranges. Le beau blond avait exigé à la voir elle, ce qui n’était pas si surprenant au vue de sa réputation. Mais lors de leur première rencontre, elle n’avait pas eu la sensation d’être jugée que pour ses qualités professionnelles. Si d’autres clients masculins avaient tenté avant lui de se rapprocher d’elle de la sorte, elle avait ressenti un sentiment étrange avec lui, un élément différent. Evidemment, mélanger la vie professionnelle et personnelle n’était pas dans ses habitudes. Mais au-delà de ça, l’attraction naturelle qui émanait d’un dieu l’avait tout de même séduite et lui avait fait ressentir un genre de flatterie quand à l’intérêt qu’il lui portait qui avait été autant gênante que grisante. Cela dit, le principal intéressé n’était pas prêt d’obtenir ce genre d’informations sur sa personne. Elle ne comptait tout bonnement pas se laisser faire, dieu ou pas, et récupèrerait sa liberté. Au départ, savoir que peu importe où il était il pouvait la localiser et ressentir ses émotions l’avaient réellement perturbé. Elle avait l’impression d’être tout le temps épiée, une intrusion malsaine dans son intimité. Aujourd’hui, n’ayant que peu revu Tryggvi depuis la transformation, elle commençait tout juste à laisser cela de côté pour se concentrer sur ce qu’elle savait faire de mieux. De plus, elle était quasiment persuadée que Noël était un dieu lui aussi, ne pouvant sonder ses pensées. Et si elle arrivait à mettre dans le mile, peut être pourrait-elle obtenir de lui des informations pour rompre ce lien qui l’unissait contre son gré au beau blond manipulateur. Toutes ses recherches sur le net concernant Loki lui avaient confirmé ce qu’elle pensait déjà de son client. Il faisait parti de la pire espèce de crapule-mécréant. C’était un égoïste, la preuve en était de son absence de consentement avant la transformation. Ce dernier savait parfaitement que s’il lui avait laissé le choix, elle n’aurait jamais accepté. Mais s’il lui avait demandé son avis, elle aurait eu le temps de se renseigner, s’organiser pour se défendre, éviter cette horrible cage dorée. Se détendant, arborant un sourire un peu plus cordial, Faith reprit à la suite de son interlocutrice qui semblait s’offusquer.

Ceci n’est pas un entretien d’embauche veuillez m’excuser. Mais j’avoue avoir mes habitudes avec l’agent Thompson. J’espère qu’il n’est pas souffrant.

Il n’y avait évidemment pas d’agent Thompson. Le seul dont elle avait retenu le nom était l’agent Kerr, rattaché au bureau du procureur pour remplacer le défunt agent Oathbridge. Mais la jeune femme n’avait jamais été en contact avec l’un ou l’autre d’une quelconque manière. A la remarque déplacée de son interlocutrice, l’avocate lui répondit un sourire soi-disant navré avant de se lever pour aller chercher un verre d’eau de l’autre côté du couloir avant de revenir, repensant à ce que son pouvoir avait sondé. Celle qui s’était invitée dans son bureau connaissait Vetrlidisson, mais également sa particularité aussi, lorsqu’elle revint, elle fit semblant de trébucher et déversa la moitié du verre sur l’agent Spencer.

Mince excusez ma maladresse je me suis prise les pieds dans le tapis.

Son bureau étant entièrement carrelé, l’excuse était des plus grotesques. Lui tendant une boîte de mouchoirs, elle poussa la porte de son bureau vitré pour les isoler un peu plus avant de se poser sur le bord de son bureau et de détacher sa tignasse relevée au départ en chignon. Son attitude comme le ton de sa voix se firent plus durs et fermés, laissant comprendre qu'elle n'avait clairement pas envie de jouer plus longtemps.

Je n’aime pas qu’on me fasse perdre mon temps ni qu’on me prenne pour une idiote. Alors dites moi un peu pourquoi il n’est pas venu me voir lui-même comme il le fait habituellement ? Tryggvi n’a pas pour habitude de confier ses dossiers à un intermédiaire.

3 Février 2020


Les deux femmes ne cessaient de se toiser, se tester et se juger sur chaque choix que faisait l’autre. On aurait presque dit deux joueurs expérimentés en pleine partie d’échec, essayant d’anticiper les réactions et choix stratégiques de l’adversaire. L’avocate semblait avoir quelques coups d’avance depuis le début de la rencontre, mais c’était sans compter sur ce que Juliet lui avait préparé en amont. Grâce à une courbette remarquable et vraisemblablement juste, elle esquiva la question sur l’agent Thompson les doigts dans le nez. La brune s’en voulut d’avoir posé la question dans ce sens. Il était vrai qu’elle était bien plus douée préparée et non à répondre au pied levé, à réagir sur le qui vive. Aussi maître Sherman décida d’opter pour une autre stratégie. Voyant que l’indésirable n’allait pas lui fiche la paix aussi facilement, elle alla lui chercher de l’eau, simulant le fait de répondre à sa requête pour vider son contenu sur la jeune femme. Il faut dire que lorsqu’on lui parlait de Tryggvi, qu’on évoquait son nom, sa personne, Faith avait envie de voir rouge. Ce que lui appelait un honneur, elle appelait ça de la séquestration. Il ne lui avait pas laissé le choix, il lui avait simplement imposé sa volonté sans détour ni retour en arrière possible. Les choses s’étaient calmées au cours des derniers mois étant donné qu’il avait quasiment joué les fantômes. Ils ne s’étaient vus que pour un seul et unique dossier et honnêtement, cela avait été un soulagement pour la nouvelle disciple qui n’avait accepté sa condition que pour se libérer de cette douleur insoutenable qui l’avait cloué au lit plus d’une semaine. Être ainsi incapable de faire quoi que ce soit, souffrant le martyr dans les draps qui étaient censés avoir accueilli le beau blond potentiellement accompagné, peut être par cette brune à la peau immaculée, l’avait énervé de surcroit. Il était clair que Vetrlidisson avait son charme. Mais il sentait la magouille et le crime à des kilomètres à la ronde. Doué pour ne pas qu’on enquête sur lui, elle s’était toujours demandée comment il faisait. Les embrouilles pleuvaient sur ses hommes tandis que les forces de police ou les agences gouvernementales ne s’intéressaient nullement à lui. Etaient-ils conscients de l’homme qu’il était réellement ? Est-ce que les dieux étaient si puissants qu’ils pouvaient passer à travers n’importe quelle justice humaine ?

Evidemment sa mise en scène aurait très bien pu marcher si elle n’avait pas rajouté ce petit commentaire sarcastique pour bien faire comprendre la situation à son interlocutrice. Faith n’avait pas franchement de temps à perdre, encore moins avec un acolyte à Loki. rien que de penser à ce nom divin lui donnait des frissons. Il était de loin le pire dieu de sa mythologie. Pourquoi diable avait-il voulu l’enrôler elle ? Cela n’avait pas de sens. S’il était aussi malin qu’il était censé l’être, il aurait su avant de l’enfermer dans cette cage dorée combien il allait lui être impossible de la convertir à sa cause. La brune ne jurait que par la loi dans le but d’une justice pour tous. Dans la mythologie nordique, les rares choses qu’elle s’était efforcée à chercher à son sujet ne furent que des histoires abracadabrantes racontant les bêtises et l'ignominie dont il était capable. Il était égocentrique et n’agissait que pour lui. A quel moment pensait-il qu’elle puisse vouloir le servir ? Non et puis sérieusement, elle, servir un dieu ? C’était le comble, le serpent qui se mordait la queue. Ce qui était sûr c’est que son petit tour, sa supercherie afin d’énerver l’agent Spencer, fonctionna à merveille. Restant encore correcte dans son langage, elle se débarrassa du verre sur la table comme s’il était infecté d’une quelconque substance avant d’attraper les mouchoirs qu’elle lui tendait pour s’éponger. Un sourire satisfait vint se placer sur le visage de l’avocate un instant, avant qu’elle ne reprenne son sérieux pour faire passer un message. S’il y avait une chose qu’elle appréciait tout de même chez le dieu, c’était sa façon professionnelle d’échanger sur les dossiers. Il n’avait pas de temps à perdre et elle non plus donc ils faisaient en sorte d’être efficace lorsqu’ils leur étaient nécessaires de se voir. Le fait qu’ils n’aient pas eu besoin de se revoir plus que ça depuis qu’il l’avait transformé, l’élevant au rang de disciple d’après ses dires, convenait parfaitement à la jeune femme qui ne comptait pas se plier à quelconques exigences de sa part. Gérer ses affaires devant un tribunal, elle n’avait plus franchement le choix. En l’enfermant dans sa cage dorée, il lui avait fermé les portes du bureau de la procureure à tout jamais. Par ailleurs, vu le nombre de dossiers qu’il lui avait confié en quelques mois et donc l’argent qu’il rapportait au cabinet, ses supérieurs ne lui permettraient pas de refiler le bébé, surtout si Loki exigeait que cela soit elle et comme il l’avait déjà fait au moment de leur rencontre, il ne reviendrait pas en arrière. Dès leur première rencontre, alors que ses yeu verts avaient croisé le regard pers du beau blond, elle avait su qu’il était le genre d’hommes à qui il était difficile de dire non.

Abordant le sujet brûlant, mettant les pieds dans le plat ne souhaitant pas perdre plus de temps que nécessaire, Faith ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel lorsque la brune qui lui faisait face feignit de ne pas comprendre. Elle ne prit même pas la peine de réagir à cela espérant probablement en vain que l’agent Spencer ne se décide à parler sérieusement. Elle n’avait jamais eu envie de jouer au chat et à la souris avec la jeune femme et l’envie ne lui viendrait pas. Le seul lieu où elle se permettait ce genre d’attitude, c’était dans un tribunal lorsqu’il fallait tourner en ridicule la partie adverse. L’avocate en herbe qu’elle était ne gâchait pas son potentiel dans pareilles bêtises. La remarque suivante arriva et lui étira un sourire amusé et en même temps mauvais sur les lèvres. Elle savait pertinemment qu’il ne s’était pas lassé d’elle, c’était elle qui l’avait en horreur et ne voulait plus voir le dieu qui avait pris possession d’elle comme d’un objet. Puis finalement, le regard froid et l’absence de sourire firent comprendre qu’elles allaient enfin rentrer dans le vif du sujet. Seulement l’usage du tutoiement et de son prénom firent hausser un sourcil à la belle. Mais qui donc se prenait cette impertinente pour venir l’envahir dans son espace de travail et penser qu’elle pourrait jouer les donneuses de leçons ? Puis une nouvelle question alors que les pensées de son interlocutrice n’avaient fait que fuser. Cette dernière question fit apparaître le temps d’un battement de cils un éclair de surprise dans le regard de Faith. Toujours muette, absorbée par le nombre impressionnant de pensées plus ou moins utiles de son interlocutrice, elle finit par reprendre la parole, une fois que la pipelette face à elle eut fini de commenter à haute voix mais aussi dans sa tête son pouvoir et sa façon d’être. Clairement, elle savait qu’elle pouvait lire dans les pensées pour avoir posé cette fameuse question.

Alors déjà je ne vous permets ni de me tutoyer ni de m’appeler par mon prénom. Lorsqu’on veut le respecter de quelqu’un, on l’accorde en premier lieu. Ne vous attendez pas à ce que je vous respecte si vous n’en faites pas autant, qui que vous soyez.

Plus de sourire sur son visage, posée contre son bureau, elle posa chacune de ses mains sur le rebord de chaque côté de son corps, réfléchissant à tout allure à la meilleure stratégie à adopter pour obtenir des réponses. Si cette femme était venue la voir, il y avait une raison. Elle connaissait Tryggvi mais ne venait pas en son nom, ou pas de sa part en tout cas.

Pour répondre à vos questions silencieuses, oui c’est une cacophonie dans ma tête, si je ne fais pas le tri, les voix sont toutes au même niveau. Ca peut en effet prendre la tête surtout lorsque c’est pour entendre des broutilles comme vos pensées depuis que vous êtes arrivée. J’espère cela dit que ces quelques réponses auront satisfaites votre curiosité.

Donnant-donnant, maintenant qu’elle avait répondu à cette visiteuse envahissante et malpolie, peut être aurait-elle des réponses. Une idée lui vint en tête. Il lui avait parlé d’une autre disciple. Etait-ce elle ?

Maintenant on va faire très simple. Si jouer vous amuse, personnellement je n’ai pas de temps à perdre avec vos enfantillages. Donc soit vous me dites pourquoi vous êtes là et ce que vous voulez et peut être que je daignerais prendre de mon temps pour vous, si toutefois vous savez vous montrer polie et respectueuse. Soit j’appelle la sécurité pour vous faire sortir. On me paye pour travailler, pas pour babysitter.

3 Février 2020


L’avocate avait bien mieux à faire que de participer à ce jeu de qui sera le plus malin. Son interlocutrice était en train de lui faire perdre son temps et elle n’appréciait guère la chose. Cette dernière niait ce qu’elle avançait, ne se doutant pas de la certitude que pouvait éprouver la véritable brune quand à l’évocation du nom de Tryggvi. Venir la voir sous des faux airs alors qu’elle travaillait pour le dieu nordique était non seulement irrespectueux mais également une perte de temps. Il savait parfaitement où la trouver s’il avait besoin, il le lui avait dit. Ce qu’il lui avait fait était bien pire qu’une puce GPS introduite sous sa peau. D’après les paroles du beau blond, jamais plus elle ne pourrait lui échapper. Il savait à tout instant du jour et de la nuit où elle se trouvait mais également ce qu’elle pouvait ressentir. Et intérieurement, Faith était bien plus énervée qu’elle n’était horrifiée qu’une telle chose soit possible. Si cette femme qui lui faisait face était venue pour la tester ou l’observer, l’épier voir la surveiller, il allait avoir de ses nouvelles très rapidement. Surtout que celle qu’il avait envoyé était soit une véritable idiote au départ, soit partie du principe qu’elle serait plus maligne que Maître Sherman : erreur de débutant. Si elle était très sûre d’elle, elle n’en oubliait pas pour autant qu’il pouvait y avoir des adversaires plus durs à battre que d’autres et que c’était ses faux pas qui leur fournissaient les armes pour l’abattre. C’était exactement ce que l’agent Spencer avait fait. Outre le fait que sa faculté à lire dans les pensées l’avait aidé, sa façon d’agir et de venir la rencontrer de but en blanc en voulant jouant à la plus fine des deux l’avait mise dans une position délicate qui permettait à la brune, en bonne avocate qu’elle était, de poser des questions poussant au déséquilibre, à la chute. La prononciation du prénom humain du dieu nordique ainsi que l’incompréhension feinte eurent le droit à un regard vers le plafond. Elle se foutait complètement de sa tronche et elle ne se gênait plus pour lui faire comprendre qu’elle voyait clair dans son petit jeu.

C’est ainsi qu’elle enchaîna, laissant tomber les faux semblants et mettant son interlocutrice au pied du mur. Seulement, malgré ses mises en garde, l’agent Spencer ne semblait pas encline au fait de devenir raisonnable et d’arrêter d’espérer de manière vaine au fait qu’elle pourrait l’embobiner. Sa remarque quand au respect et au vouvoiement fit sortir un soupir exaspéré d’entre les lèvres de la belle. Ils pouvaient tous aller au diable, les dieux comme leurs fervents admirateurs. Puis une nouvelle remarque donna envie à Faith d’exploser. Son interlocutrice continuait de jouer sur les devinettes et les apparences trompeuses. De toute évidence, elle ne travaillait pas pour le dieu de la malice pour rien. Seulement, elle risquait à ce rythme là de vite déchanter avec l’avocate. Dans son esprit, elle avait senti la fin du jeu approcher puis s’éloigner à nouveau, trouvant une nouvelle manière de jouer avec ses nerfs. Tout ce que la belle sentait venir à cet instant, c’était une migraine carabinée. De plus, en cette fin de journée, elle se sentait faiblir. Son attitude hautaine lui tapait sur le système. Se pointer à son bureau pour jouer les donneuses de leçons n’était franchement pas la meilleure des idées. Entendant ses pensées une nouvelle fois, elle leva les yeux au ciel sous la remarque stupide et inutile sur son soit disant don et le fait qu’elle soit protégée par son nouveau statut. Une nouvelle remarque, un indice qui n’en était pas un, l’avocate continuait de réfléchir. Il était évident qu’elle ne faisait pas partie du FBI, ça a brune l’avait deviné après à peine deux minutes d’échange. Puis elle se rappela d’une personne dont Tryggvi lui avait parlé après sa longue semaine de douleurs, de souffrance inimaginable avant qu’elle ne cède, qu’elle n’accepte la vérité que dans le but de pouvoir continuer de vivre. Parce que sa vie était précieuse ou plutôt elle était utile pour ses proches qu’elle continuait d’entretenir financièrement. Si elle venait à disparaître demain, ils ne seraient plus à l’abri du besoin et avec son passé, c’était une chose inimaginable. Plongeant son regard émeraude dans les yeux de la femme qui lui faisait face, elle reprit sans crier mais sans retenue.

Je croyais que l’autre “disciple” était une blonde tatouée.

Évidemment, à sa manière de prononcer le mot “disciple”, il était clair que la belle ne voyait pas cela comme un honneur mais comme une prison, une cage dorée. Faisant appel à sa mémoire, Faith se replongea dans ce souvenir douloureux durant lequel le dieu nordique avait tenté de lui expliquer beaucoup de choses. Elle n’avait clairement pas écouté grand chose de ses propos, se moquant éperdument de tout cela.

Et moi j’ai autre chose à faire que vous rencontrer Juliet. Je ne veux pas de cette malédiction, ni de ce dieu et encore moins de vous dans ma vie. Novembre est bien trop proche à mon humble avis. Vous devez être contente vous avez vu ma tête alors maintenant du balai.

Contournant son bureau, l’avocate appuya sur un raccourci pour appeler l’accueil de cabinet.

Oui John c’est Faith. Appelez la sécurité pour raccompagner l’agent Spencer en dehors de ses lieux et appelez le FBI pour leur signifier que ça sera le premier et dernier avertissement quant aux intrusions de l’agent Spencer. Et s’ils vous disent qu’il n’existe pas d’agent Spencer à l’agence, prévenez la sécurité qu’il faudra avertir la police merci.

Son regard émeraude était resté plongé au fond des prunelles de son interlocutrice. Elle n’avait pas revu Loki depuis la transformation et cela lui allait parfaitement. Devoir supporter un de ses chiens chiens ne l’intéressait absolument pas. Ouvrant son dernier tiroir, elle en sortit une petite poignée de fruits secs qu’elle avala rapidement. Depuis qu’elle avait été transformé, l’avocate avait de grosses pertes d’énergie, comme si ce foutu fragment d’essence divine la bouffait de l’intérieur.