Sentence de mort Printemps 2021, dans une zone reculée à l’ouest de Philadelphie.Dorian arrêta sa voiture à un kilomètre de sa destination, au pied d’arbres touffus. Un sentier cabossé, à peine visible depuis le chemin de terre qu’il suivait depuis la sortie ouest de Philadelphie, avait attiré son attention par le généreux camouflage qu’il offrait à son véhicule.
Il ouvrit le coffre, s’empara d’un épais gilet pare-balle et de jambières renforcées jusqu’au genou. Un couteau à large lame fut attaché à la première ; un pistolet au canon allongé à la seconde. Ainsi équipé, le dieu nordique ressemblait à un hybride entre un démineur du SWAT et un gladiateur moderne. Enfin, il glissa un fusil semi-automatique en bandoulière et logea une dizaine de chargeurs dans les emplacements prévus à cet effet. Sa mission n’exigeait pas un arsenal de guerre, cependant le dieu stratège ne souhaitait guère réitérer la déconvenue de son assaut sur Adrien, dieu polaire entouré de fidèles armés jusqu’aux dents.
« Janet Perkins passe le weekend dans son chalet en lisière de la ville », lui avait assuré son informatrice. Une habitude fréquente, chez les divinités de la nature. Malgré la magie qui enveloppait Philadelphie d’une atmosphère particulièrement agréable, beaucoup avaient besoin de se ressourcer parmi les arbres, les herbes et la terre. Lorsque Dorian avait demandé si Janet y allait seule, l’indic avait fixé avec hésitation l’insigne du FBI avant de hausser les épaules :
« Ça lui arrive d’emmener un type ou deux avec elle. »Croyants zélés ? Ou amants éphémères ?
Dorian vissa un silencieux au canon du semi-automatique. Il devait frapper vite et fort, minimiser le risque de victimes collatérales. Tirer avec une précision suffisante pour abattre une mésange bleue durant son envol – la forme que revêtait Janet pour fuir le danger. Une fois sa mission accomplie, le justicier repartirait aussi discrètement qu’il était venu. L’ancien Vice-Primat ne souhaitait pas déclencher une spirale de violence meurtrière autour des divinités.
Il désirait simplement la justice.
Le crépuscule teinta le ciel d’obscurité. Les premières étoiles émergèrent, spectatrices attentives du drame à venir. Dorian se coiffa d’une cagoule, puis ajusta ses lunettes électroniques de vision nocturne. Janet, figure de proue des Vigilants extrémistes avant la chute de Sanctum, était une déesse du printemps et ses pouvoirs faiblissaient durant la nuit. Stratégiquement, les conditions étaient optimales pour lui faire subir le châtiment des fossoyeurs de Sanctum : la destruction de son enveloppe charnelle, avec pour conséquence l’altération de son essence divine.
Týr s’envola dans la nuit naissante. Le ciel immaculé nourrissait ses forces. Le même ciel qu’il aimait contempler avec Athéna, pendant son aimée récitait de sa voix de cristal les récits épiques d’aèdes inspirés de murmures divins. Le cœur affligé du Nordique se serra douloureusement. Aucune aube, aucun ciel azur ne lui avait apporté du réconfort depuis que l’âme d’Athéna lui avait été arrachée. Il plissa les yeux pour en chasser l’humidité naissante, activa l’électronique de vision nocturne et baissa la tête. En contrebas, le terrain arboré lui apparaissait en teintes de vert.
Lorsque les reliefs sombres du chalet apparurent dans son champ de vision, la fureur avait remplacé le chagrin dans la poitrine du Nordique.
* * *
Le faisceau d’un puissant projecteur éblouit le dieu guerrier flottant dans les airs. Aveuglé, Dorian dégagea brusquement ses lunettes électroniques. Il dirigea son arme vers la source de lumière et se mit à tirer. Des bruits de verre brisé accompagnèrent les détonations étouffées par le silencieux, puis la lumière mourut dans un crépitement électrique.
Silence. Que rompirent des voix humaines.
Mu par des réflexes surhumains, le dieu du ciel esquiva une série de flèches de feu tirées depuis le sol. Un projectile s’embrasa sur sa gauche, brûlant de sa chaleur intense la chair de son épaule. En contrebas, diverses formes et lueurs surnaturelles s’élevaient alors que plusieurs silhouettes s’extrayaient de leurs cachettes.
Un piège.Dorian épaula son fusil, orientant son corps de sorte à offrir la surface la plus réduite à ses ennemis. Un cri perçant menaça ses arrières. Dorian fit volte-face, paré à faire feu. Grâce à une manœuvre fulgurante, un faucon géant se joua de la salve de tirs. Deux balles traversèrent néanmoins une aile, avant que la divinité animorphe referme ses serres tranchantes comme des rasoirs sur le canon de son fusil.
— Abandonne, Týr ! Nous sommes nombreux et préparés. Tu n’as aucune chance !Le Nordique reconnut cette voix nasillarde entre mille.
Janet. Il dégaina son couteau, le planta dans l’œil hargneux du rapace qui entraîna le fusil d’assaut dans sa chute. D’autres projectiles le prenaient déjà pour cible, crevant l’obscurité de couleurs disparates. Dorian ôta sa cagoule dans un geste de colère. Il avait évalué les forces ennemies à une quinzaine d’individus, dont la moitié devait être des dieux et l’autre des disciples. D’autres se terraient peut-être encore à l’intérieur du chalet.
— Tiwaz, tonna-t-il avec une détermination féroce.
Invocation de la victoire, des forces favorables du destin.