Loris avait toujours été une personne volontaire et passionnée. Rien ne l'arrêtait jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il désirait ou qu'il soit distrait par une autre ambition. C'était le cas dans tous les domaines et pendant qu'il poursuivait sa quête, il ne faisait aucun cas des dommages qu'il aurait pu causer aux gens. C'était typiquement le genre d'amant d'une nuit de passion extraordinaire, mais pour les croissants le lendemain, c'était pas gagné. Ou le bosseur, tellement à fond dans son projet qu'il ne comptait pas ses heures et essayait de faire tout en même temps. Seul Fernando parvenait à le canaliser quand Loris fourmillait de mille idées rocambolesques pour ses spectacles. Heureusement, le Loa parvenait à capter suffisamment l'attention de BabyCake pour aider son disciple à ne pas s'éparpiller et sublimer sa formidable énergie, avant qu'elle ne parte dans tous les sens. En ce qui concernait les autres, incapables de capter l'attention de cette fantastique boule d'énergie, ils n'avaient plus qu'à s'écarter de son chemin.

Ce jour là, Loris savait ce qu'il voulait et comme à son habitude, il y fonçait fougueusement. Ce n'était pas très conseillé de sortir seul en tenue de drag-queen. Parce que les gens étaient intolérants, fermés et stupides. Loris le savait parfaitement bien pour avoir failli se faire tuer par une bande d'homophobes qui s'étaient mis à quatre pour le rouer de coups. Si Fernando n'était pas venu à son secours, il ne s'en serait jamais sorti vivant. Mais est-ce que c'était une raison pour rester caché en permanence au Lost Heaven ? Bien-sûr, il n'était pas obligé de se maquiller aussi outrageusement, ni de porter cette mini-robe qui mettait en valeur ses longues jambes gracieuses. Pas en dehors de ses spectacles. Il n'était pas transsexuel, il n'avait pas besoin de s'habiller comme une femme tout le temps. Mais ce jour là, il avait envie de se prouver quelque chose à lui-même : qu'il n'avait pas peur. Pas peur du jugement des autres, pas peur de leur mépris ni de leur méchanceté. Alors, avec sa perruque élégante dont les mèches ondulait sous la brise, il souriait à la vie. Et si certains lui lançaient des regards méfiants, moralisateurs ou trop appuyés, il les ignorait superbement, tout en arpentant les rues de Philadelphie pour rejoindre le centre commercial.

Un paradis. Il s'émerveilla devant les différentes boutiques de luxe, bien décidé à céder à ses impulsions et dépenser son salaire dans toutes les jolies choses qu'il voyait. Plusieurs sacs se balançaient déjà au bout de ses bras tandis qu'il pénétrait dans une  nouvelle boutique qu'il n'avait encore jamais visitée auparavant. Il écarquilla les yeux qui s'illuminèrent en reconnaissant le logo d'un nouveau styliste à la mode dont il suivait assidûment les création sur internet. Acheter des vêtements directement dans les magasins, c'était un plaisir bien différent que d'acheter en ligne. On pouvait toucher les tissus, essayer les vêtements, marcher avec les chaussures... c'était fabuleux qu'une telle boutique ait pu ouvrir en ville. Il y pénétra et effleura les robes de soirées du bout de ses doigts parfaitement manucurés. Ayant confié ses précédents achats à l'accueil, il avait les bras libres pour manipuler les robes. Il allait se décider à en essayer une lorsque tout à coup, quelqu'un attrapa la robe qu'il s’apprêtait à saisir. La dernière de cette couleur ! Il fit claquer sa langue de dépit avant de fixer l'impertinente, une moue aux lèvres.

« Mauvais choix pour toi, chérie, la couleur ne t'irait pas du tout. Tu n'as pas le teint qui... »

Mais Babycake s'interrompit en dévisageant la jeune fille avec surprise. Elle possédait en effet un teint de porcelaine et ressemblait à une poupée tant sa chevelure était soignée. Il la connaissait.

« Augustine ? »

Son visage s'éclaira aussitôt, alors qu'il reconnaissait cette jolie fille qu'il n'avait plus revue depuis un bon moment. Ils avaient pourtant très rapidement sympathisé lors de cette soirée de gala, où elle était venue, accompagnée de sa mère. Le courant était passé très facilement entre eux et Loris avait gardé d'elle un souvenir très positif, malgré son petit coté étrange. En effet, à l'époque, il avait très vite remarqué qu'elle cachait des choses derrière son attitude souriante. Avec sa tenue parfaite, ses accessoires, ce fume-cigarette - un peu choquant pour une fille si jeune accompagnée de sa mère - on aurait dit qu'elle jouait un rôle.

« Je ne m'attendais pas à te revoir ici ! Tu vas bien ? »

Un peu méfiant, il jeta un coup d’œil autour d'eux. Il s'attendait bien-sûr à ce que cette dame à l'aspect si sévère, qui servait de mère à Augustine soit présente. Elle n'avait pas l'air d'être du genre à laisser sa fille faire les boutique toute seule. Est-ce qu'elle ne choisissait pas elle-même les tenues de sa fille ? Sale vieille bique enquiquineuse. Il n'avait aucune envie de revoir cette dame là ! Pourtant, pour ne pas froisser Augustine, il ne le montra pas et lui sourit chaleureusement tout en se demandant si réellement, elle allait bien. La vie n'avait pas toujours été facile pour elle, il s'en doutait bien...

Loris était sincèrement content de revoir Augustine mais il ne se serait pas attendu à une réaction pareille de sa part. Il fut agréablement surpris par le sourire lumineux qu'elle lui renvoya et par son exclamation si enthousiaste. Sur le moment, il ne se posa pas vraiment de question et il l’accueillit dans ses bras quand elle vint spontanément lui faire un câlin. Ça faisait chaud au cœur un accueil pareil, il n'allait pas s'en plaindre.
Augustine était toute petite et, avec ses hauts talons en plus, BabyCake était sacrément plus grand qu'elle. Il dû se pencher pour la serrer chaleureusement contre lui avant de se détacher pour la regarder en souriant.
Il ne put s'empêcher de rire en voyant son expression toute ébahie et surtout, en entendant ses compliments. Par un réflexe instinctif de diva, il prit la pose, une main sur la hanche, battit des cils et poussa un soupir languissant et théâtral.

« Ah enfin ! Une femme attentive dans ce monde de brutes ! Il m'a fallut déployer tous mes talents pour trouver cette couleur de chaussure, du même bleu que mes yeux. » Il ajouta en chuchotant, comme pour un secret. « Je porte des lentilles, c'est pas ma vraie couleur, chut. » Elle au moins, elle méritait de le savoir, puisqu'elle était la seule à avoir directement remarqué ce fabuleux détail. Les détails, c'est la vie.

BabyCake aurait bien sautillé de joie avec elle mais tout de même, il y avait quelque chose qui clochait dans cette situation. Il garda le sourire, hochant la tête avec plaisir quand elle lui assura qu'elle allait super bien. Bien-sûr, c'était vraiment cool de la voir aussi joyeuse mais elle n'était pas du tout comme ça la dernière fois, c'était même le jour et la nuit. Elle lui avait donné l'impression d'être une fille très réservée et timide. Alors que là, on aurait dit qu'elle sous exta. Elle parlait vite, elle était hyper chaleureuse, elle passait du coq à l'âne et elle termina par une question qui le fit pouffer un peu. Loris ne riait pas pour se moquer. Il riait parce qu'il ne savait pas trop comment réagir à cette petite tornade et qu' il était très déconcerté par ce changement si radical de comportement. Même sa question était un peu out of the blue. Il lui répondit d'un air faussement sérieux.

« Nan mon chou, je voulais juste checker si le père Noël n'était pas dans le coin. »

Il lui fit un léger clin d’œil. Après tout, à question bizarre, réponse bizarre hein. Mais dans l'immédiat, Loris essayait surtout de démêler les info que la jeune fille venait de lui déballer.

« Alors tu vis avec ton père maintenant ? C'est lui qui a voulu changer ton prénom ? C'est joli Tiffany, ça te va très bien.»

Ou bien c'était sa drôle de mère qui l'obligeait à s'appeler Augustine ? Loris se demandait s'il avait le droit de lui poser des questions intimes, il ne voulait pas la vexer. Mais ce prénom démodé qu'elle portait avant ressemblait plus à celui d'une vieille dame et il trouvait que Tiffany lui correspondait bien mieux.

« En tous cas, je suis vraiment content de te voir aussi en forme ! Et oh merci pour tes compliments, tu es un amour. Toi aussi, tu es ravissante et pleine de fraîcheur, c'est trop mignon.»

Oui, c'était mieux de la voir aussi joyeuse plutôt que toute raide comme une poupée d'exposition qui osait à peine parler. Mais BabyCake n'arrivait pas à se sentir complètement rassuré. Parce que le contraste était trop gros et trop rapide pour paraître naturel. Il pensa encore à la possibilité qu'elle ait pris de la drogue. Il ne jugeait pas, il en avait pris lui-même plusieurs fois. Mais si c'était le cas, il valait mieux ne pas la laisser toute seule. Et de toute façon, il avait envie de passer du temps avec elle, ça aurait été sympa de faire les magasins avec elle au lieu d'être tout seul.

«Tu veux que je te montre où j'ai acheté mon sac ? Ils sont fa-bu-leux. Même si tu n'achètes rien aujourd'hui, on peut faire du lèche-vitrine ensemble ! Sauf si tu dois rejoindre tes parents ou... » Il grimaça un peu. « En vrai, j'avais peur que ta vieille biq... hum, j'veux dire, j’espérais que ta mère ne soit pas dans le coin. Elle n'avait pas l'air facile. Elle te laisse plus tranquille maintenant ? »

Amusé par cette petite tornade, Loris se demandait à quel point elle était défoncée. Quand il avait fait cette blague ironique sur le père Noël, elle avait quand-même regardé derrière elle, comme si réellement, elle s'attendait à voir le gros bonhomme en rouge... En fait, plus il l'écoutait parler, plus il se rendait compte qu'elle était totalement à l'ouest. Bien-sûr, elle était jeune et bien-sûr, la maturité dépendait d'une personne à une autre. Mais même sous came, il n'avait jamais vu aucun de ses potes réagir comme ça. Ce n'était pas tellement son excès d'enthousiasme qui était déconcertant mais surtout sa façon de parler. Elle contrastait tellement avec la fille qu'il avait rencontré la dernière fois...

« Je suppose que oui. » Loris se racla la gorge, se forçant à garder le sourire. Les discours du style "mon papa a toujours raison" avaient le don de le mettre mal à l'aise. Mais c'était lié à son histoire personnelle, Tiffany n'en pouvait rien. « Tu as retrouvé ton vrai prénom, c'est génial !»

Loris ne dût pas se forcer pour paraître sincèrement content pour elle. Et après tout, c'était l'occasion de fêter ça !

Son invitation a faire les boutiques fut accueillie avec un léger temps de retard mais toujours avec la même passion.
Satisfait, le sourire de Loris s'agrandit mais il disparu aussitôt de ses lèvres charnues. Impossible de masquer le choc qui s'inscrivit sur ses traits. Elle venait de lui annoncer que Madame était morte. Il cilla légèrement et ses faux cils papillonnèrent devant le manque d'émotion qu'elle manifestait à l'annonce d'une telle nouvelle. Mais plus encore, BabyCake fut complètement déconcerté par la suite de sa phrase. Monsieur la Mort ?

« C'est... une blague de Halloween ? »

Loris n'en était pas très sûr mais il n'eut pas le temps de poser plus de question que la blonde lui attrapait le bras pour repartir dans ses bavardages de petit oiseau infatigable, multipliant les questions sur un ton d'excitation enfantine. Loris n'avait jamais été rabat-joie, tout au contraire, il était d'un naturel très joyeux et insouciant. Alors, il éclata de rire, même si cette histoire de mort lui avait parut flippante sur le moment. Il préférait croire à un genre de délire, une blague un peu noire, une métaphore pour expliquer qu'elle était enfin libérée de la vieille peau.

Tiffany à son bras, il l'emmena alors pour traverser le magasin de vêtements, tout en essayant d'en placer une au milieu de ces bavardages.

« Oui oui et oui ! On ira voir tout ça, ma puce. Pour le maquillage, je te montrerai quand tu viendras me voir. J'habite au Lost Heaven, j'ai une chambre à moi dans le bâtiment. Tu peux venir quand tu veux ! »

D'un naturel très généreux, Loris était incapable de refuser ce genre de demande, surtout formulées de façon aussi spontanée et... naïve ? Oui c'était bien le mot. Tiffany ne réagissait pas comme une droguée ordinaire en tous les cas. On aurait dit une petite fille...

Il nota le regard admiratif qu'elle portait sur sa bague et sourit en redressant sa main. Il adorait les bijoux, spécialement ceux qui étaient très gros et brillants. Aucun de ceux qu'il possédait n'avait de grande valeur, il n'avait pas assez d'argent pour se payer de véritables pierres précieuses mais ce n'était pas grave. Beaucoup de bijoux fantaisie étaient magnifiques et il était fier de ceux qu'il possédait. Ça lui faisait plaisir de rencontrer quelqu'un qui admire des bijoux sur lui, cela ne lui arrivait pas souvent. Alors, il l'ôta et l'offrit à la jeune fille, de bon cœur.

« Cadeau pour fêter ton vrai prénom ! Elle est ajustable. » Précisa-t-il en la lui offrant.

Il laissa Tiffany mettre sa bague pendant qu'il s'arrêtait à l'accueil pour demander à la vendeuse si elle voulait bien garder ses achats. Il en avait déjà beaucoup et il ne voulait pas continuer à faire du lèche-vitrine en étant trop chargé. BabyCake pensait qu'il valait mieux qu'il ait les bras libres pour mieux s'occuper de Tiffany et veiller sur elle. Dans son état, elle aurait pu tomber ou faire n'importe quoi. Il ne garda que son sac à main et ainsi, il reprit son bras avant de sortir avec elle pour rejoindre l'allée principale du grand centre commercial.
Toutes les vitrines étaient attirantes, brillant de mille-feux pour attirer le regard, exposant des collections toutes plus attractives les unes que les autres.
A présent qu'il savait que ses parents n'étaient pas dans le coin, Loris se permit de lui poser la question qui ne cessait de s'imposer à son esprit.

« T'as pris du speed ? De la Gitche ? Un cocktail des deux ? »

Il gardait un visage souriant, sans aucune gravité dans le ton de sa voix. Il ne voulait donner l'air d'être un moralisateur. Mais il pensait utile de savoir exactement ce qu'elle avait prit, tout en espérant qu'elle n'ait pas fait de mélange. Quand il vivait dans la rue, il avait fréquenté de près le milieu des toxico et il avait été témoin d'une overdose mortelle. Ça n'avait vraiment pas été beau à voir. Ce n'était pas pour autant que Loris avait fait une croix sur l'alcool et la drogue. Il savait s'amuser quand l'occasion se faisait sentir mais justement, c'était dans des soirées festives, pour des occasions spéciales. Il ne lui serait pas venu à l'idée de se saouler, juste pour aller se promener tout seul. Plus maintenant, du moins.

« Tu peux me le dire, tu sais. Quand j'avais seize ans, j'ai fait des tas de conneries donc c'est sûrement pas moi qui vais te juger. T'as quel âge d'ailleurs ? »

Un peu plus jeune que lui mais il n'était plus sûr de l'écart exact. Elle avait l'air si... enfantine ?

A sa joie, si spontanée et expressive, BabyCake l'avait accueilli dans ses bras en riant. Parfois, il suffisait d'un rien pour faire plaisir à une personne et ça lui réchauffait toujours le cœur lorsqu'il y parvenait. Pourtant, à présent qu'ils étaient sortis du magasin, il écouta la réponse délirante qu'elle lui offrit et marqua une pause en mode bitch please.

« Genre. T'as même pas de vert entre les dents, j'te crois pas. »

Des épinards hein ? Non mais sérieusement. Un sourcil redressé, une main sur la hanche, il l'observa dans un sourire en coin, pendant qu'elle affirmait ne pas faire de bêtise. Papa par ci, papa par là... Décidément, elle était en adoration devant son paternel. Il leva les yeux au ciel avant de lui répondre en esquissant une légère moue.

« Si ton papa est content, tout va bien hm. »
BabyCake dissimula sa mine suspicieuse d'un haussement d'épaule désinvolte.
« Nan, tu fais pas ton âge, Peter Pan. Moi je t'aurais donné cinq ans et demi, à tout casser.»
Il pouffa légèrement tout en l'observant. D'après ce qu'elle avait dit, elle avait une santé fragile ? Si son père prenait soin d'elle, c'était sans doute bon signe. Sauf si... ce mec était aussi taré que Madame. Peut-être que c'était lui qui droguait sa fille ? Un père dealer psychopathe ? Un pervers ? Oh merde...

Loris n'était pas si grand que ça pour un garçon, il mesurait 1m73. Evidemment, avec ses talons il gagnait quinze bons centimètres et c'était super classe pour mettre en valeur sa finesse et sa grâce. Il possédait les mensurations parfaites pour un mannequin féminin. Pourtant, il ne savait pas réellement comment interpréter le commentaire de Tiffany. Dans ses mots, on aurait dit que c'était mieux d'être petit, mignon et d'avoir l'air d'un... gamin ? BabyCake battit des cils.

« Je suis grande, je suis belle, je suis exquise et parfaite telle que je le suis, ma chérie. »

Insistant sur l'accord féminin, la drag queen lui envoya un baiser du bout des lèvres, à fond dans son rôle. Bien-sûr tout le monde l'appelait BabyCake et c'était plutôt... mignon. Oui bon ok, il aimait aussi être le petit bébé cute. Mais à la fois, il voulait mettre en avant une apparence sexy d'adulte. Loris n'était pas toujours très sûr de ce qu'il voulait. Il conserva néanmoins un ton assuré et théâtral, sur une voix de velours, pour affirmer :
« J'ai dix-neuf printemps. »

BabyCake, dressé de toute sa hauteur, abaissa un regard de femme adulte, couvant avec chaleur la petite qui courrait joyeusement vers une vitrine. Pendant quelques secondes, il fut partagé entre l'envie de courir avec le même empressement et celui de la rejoindre, d'une démarche posée et élégante. Mais cette veste en cuir allumait des étincelles dans ses propres yeux... Son hésitation ne dura pas longtemps. En quelques larges enjambées, la drag-queen bondit avec entrain pour rejoindre Tiffany, complètement à l'aise de courir avec de si hauts talons.

« Viens bichonne, vite vite ! »

Il l'attrapa par la main pour l'entraîner à l'intérieur du magasin, entremêlant ses doigts aux siens. Puis, dès qu'ils eurent franchi le seuil, il annonça d'une voix forte et haut perchée.

« Vos plus précieuses clientes sont arrivées ! Mon amie doit absoooooolument essayer cette veste en cuir rouge, celle là ! Là ! Là ! Dans la vitrine ! Alors hop hop hop, qu'on l'habille. Trouvez-moi des robes, des sacs, des accessoires qui la mettent en valeur sous cette merveilleuse veste ! »

Il détacha sa main de la sienne pour mieux pousser Tiffany vers les cabines d'essayages, pendant que des vendeuses aux sourires commerciaux se dépêchaient de répondre à son appel, allant chercher la veste demandée. Loris gloussa. Ils n'étaient pas obligé d'acheter quoique ce soit mais ils allaient se faire plaisir, se faire bichonner gratos et TOUT essayer.

« Après ça, on ira boire un smoothie, j'veux goûter le même que toi. » Souffla-t-il à l'oreille de Tiffany.

Bruissement d'étoffes, sourires pétillants et poses de divas. Cette séance d'essayage avait tout pour plaire. Ayant revêtu une robe de soirée qui mettait en valeur la finesse de sa taille, Loris portait une veste différente sur chaque bras et effectuait des demi-tour pour mieux s'admirer dans le miroir. En entendant Tiffany bougonner dans sa cabine, une moue désolée orna ses lèvres. Certes, quand on était petite, c'était souvent plus difficile de s'habiller. De son coté, il n'avait pas ce problème, la robe lui allait parfaitement, contrairement à son amie qui aurait sûrement marché dessus si elle l'avait portée.

- Dommage pour la veste mais on t'en trouvera une autre, chérie, lui dit-il distraitement, entre deux sourires renvoyés à son reflet.

Son refus de boire (manger?) ce fameux smoothie le surprit. C'était bien de drogue qu'ils parlaient, non ? Et elle disait qu'elle n'avait pas faim. Loris haussa les épaules dans un soupir songeur.

- T'es au courant qu'un smoothie c'est un jus... ? Et c'est très diététique. Trop de bizarrerie chez toi, ma jolie poupée.

Il sourit à ces mots, prononcés avec amusement et curiosité mais aucune volonté de la vexer. Lui-même ne mangeait pas beaucoup, régime oblige (Loris était en permanence au régime) mais les réactions de Tiffany étaient décidément très étranges. Tandis qu'elle revenait vers lui, son cri d'admiration le fit presque tressaillir. Posant une main délicate sur sa poitrine, dans une pose de diva surprise, il se déhancha pour lui offrir une meilleure image, l'une de ses jambes apparaissant gracieusement entre les pans de sa longue robe fendue. Loris acquiesça à ses compliments, remarquant l'effort qu'elle venait de faire en accordant ces mots au féminin et un sourire d'ange se dessina sur ses lèvres. Sourire qui se referma en entendant la suite. Papa ? Encore lui ? Dans l'immédiat, Loris décida de faire semblant de rien.

- Oui, ça va être génial ! On a préparé de nouvelles choré absolument extraordinaires, je suis sûre que ça va te plaire !

Sur un sourire, il se rapprocha d'elle pour observer le choix de sa robe.

- C'est très joli ce que tu portes ! Tu veux des conseils morpho pour mieux te mettre en valeur ? Quand on est petite, il vaut mieux porter des vêtements près du corps. Dans l’idéal, il faudrait éviter les pièces trop amples et évasées. Ça ne flattera pas ta silhouette. En revanche...

Il se retourna pour ramasser une robe qu'il avait mise de coté sur le tas de vêtements auprès d'eux et la défroisser devant elle. Courte, voire très courte et ceinturée taille haute, cette robe sexy était absolument parfaite pour elle. Evidemment, ce n'était pas une robe pour une petite fille. Mais quand même, elle avait dix-sept ans et pas cinq !

- Essaie ça. Et regarde ces sandalettes compensées à hauts talons ! Il ne faut pas hésiter à prendre de la hauteur, en gagnant quelques centimètres, la silhouette s'allonge.

Certain de ses conseils, Loris lui offrit les vêtements avant de la contempler un instant.

- Ton père accepterait que tu viennes voir mon spectacle ? D'ailleurs, est-ce qu'il est collant ou bien il te laisse sortir seule de temps en temps ?

L'enthousiasme de la jolie poupée était toujours aussi délicieux à contempler. A vrai dire, Loris passait un bon moment avec elle, tout aurait été parfait en dehors de cette inquiétude qu'il ne pouvait faire autrement d'éprouver. Ce qu'elle avait vécu était très cruel et il ne connaissait malheureusement que trop bien les traces douloureuses que pouvaient laisser une enfance traumatisante. Enfant battu par un père autoritaire et profondément intolérant, il ne pouvait s'empêcher de reproduire des schémas toxiques, comme si l'idée qu'il ne valait rien et ne méritait pas le bonheur restait ancrée profondément en lui. Ghede Nibo n'avait pas fait que le sauver d'une bande de brutes homophobes, il lui avait également offert son affection et sous son regard bienveillant, Loris avait commencé à se reconstruire, ce qui l'avait probablement empêché de finir prostitué ou drogué. Impossible de se réfugier dans l'enfance quand on vivait dans la rue, parce que personne n'en avait rien à foutre et l'innocence de Loris avait été bafouée bien trop tôt. Il aurait pu en devenir cynique mais ce n'était simplement pas dans sa nature. Aussi, quand il voyait cette jeune fille si pétillante de joie enfantine et au comportement si décalé, il ne pouvait faire autrement que d'éprouver de la compassion pour elle.

Il laissa échapper un léger rire en la voyant pépier devant la robe qu'il avait préparée à son intention et se mit à rire de plus belle quand il la regarda enfiler ses sandalettes compensées.

- Je suis ravie de mon choix, j'ai toujours tellement de gout, ça te va à la perfection !

Lui assura-t-il, tout en se rapprochant d'elle, pour arranger le col de sa robe. Redressa sa main vers les cheveux de Tiffany, il rangea une mèche folle derrière son oreille, dans un geste délicat avant d'écouter ses paroles. Même s'il soignait son expression pour faire semblant de rien et afficher un sourire léger et désinvolte, il ne perdit pas une miette de ses explications. Bien, si son vieux père la laissait sortir, c'était très rassurant car d'après ce qu'il avait compris, sa marâtre avait plutôt tendance à la maintenir comme une petite princesse en cage. Même s'il remarqua l'hésitation de Tiffany à nommer son professeur de harpe, il n'y fit pas vraiment attention et hocha la tête quand elle affirma que son paternel lui donnait du temps, malgré ses occupations professionnelles. Loris haussa néanmoins un sourcil. Quoique ça veuille dire ? Pourquoi elle disait ça, elle ignorait ce que faisait son vieux, en tant qu'homme d'affaire ? C'était plutôt étrange, ça aussi.

- Oh tant mieux... C'est plutôt original ton instrument de musique, c'est très... poétique la harpe. Un peu moyen-âgeux, mais très charmant. Un jour, on devrait faire un duo, je danserai pendant que tu joues !

La harpe, oui. Pourquoi pas ? Tant qu'elle aimait ça et que personne ne l'y forçait, il trouvait ça plutôt cool. Mais alors que Loris lui proposait de venir le voir au Lost Heaven, la réaction de la petite tornade ne se fit pas attendre et il éclata de rire à nouveau, en la voyant courir partout avec sa robe sexy. Le décolleté très profond la mettait en valeur, selon lui, car la robe épousait sa petite poitrine avec grâce et subtilité, offrant à son allure une aura des plus sensuelle, sans être vulgaire. Enfin, elle aurait pu gagner en sensualité en évitant de sautiller de cette façon, comme un petit diable dans une boite. De son coté, Loris aimait aussi beaucoup la robe qu'il portait et il se félicitait d'être venu faire les boutiques en tenue de drag-queen, ce qui lui permettait de mieux voir l'effet, en ayant déjà habilement dissimulé son sexe (ce qui lui permettait de porter des tenues féminines très moulantes) et portant un soutien gorge postiche, avec maquillage en prime pour un fabuleux décolleté.

- Extra ! J'ai choisi moi aussi, alors est-ce que... euh... Tiffany, ça va ?

Elle s'était interrompue pour tousser mais cette quinte était assez violente et plutôt longue, au point que Loris hésita à lui masser le dos ou à l'aider d'une quelconque façon. Pourtant, elle se reprit d'elle-même, retrouvant le sourire et reprenant la conversation comme si de rien n'était.

- Pauvre petite caille, tu as l'air vraiment... fragile.

Loris inclina la tête dans un léger soupir, ayant décidément beaucoup de mal à empêcher cette grosse méfiance vis à vis du père. Il travaillait de nuit et tout le monde savait que le monde nocturne était un milieu glauque où frayaient les criminels de tous les étages. Un nouveau point assez négatif à ajouter dans le dossier de ce mystérieux père, resurgi des ombres.

- Tu sais ce qu'il fait comme boulot ton gentil papa ? Généralement les hommes d'affaires qui travaillent dans des bureaux le font la journée. Enfin, ça dépend des affaires.

Les affaires louches ne se faisaient jamais au grand jour évidemment. Mais Loris camoufla sa méfiance par un sourire enjôleur, en prenant Tiffany par la main.

- Tu m'as dit tout à l'heure que tu n'avais pas la permission d'acheter des choses aujourd'hui, pas vrai ? Moi j'ai dépensé tout mon fric déjà, j'ai plus rien mais ma robe me plait pas mal aussi. Du coup, voilà ce qu'on va faire... on s'avance doucement vers la sortie et dès que les vendeuses ont le dos tournés, on se casse. Tu crois que tu pourras courir ?

Il regarda ses hauts talons. Elle avait l'air de garder son équilibre sans aucun souci mais en revanche, si elle avait de nouveau une quinte de toux, ça pourrait les mettre dans la panade. De son coté, il n'avait aucun scrupules à voler ces choses, ce magasin était horriblement cher et c'était plutôt eux les voleurs, à ce prix là.

Ils avaient couru à toute allure, sur un dernier regard complice, se sauvant avec leurs jolies fringues sur le dos, dès que les vendeuses avaient eu le dos tourné. C'était un truc qu'il faisait très souvent autrefois, quand son père ne lui filait pas d'argent de poche. Et puis, il avait développé ses talents de Pic Pocket quand il s'était retrouvé à la rue, chipant ce dont il avait besoin dans les magasins, avant de se tirer en courant. Sous son maquillage sophistiqué, BabyCake était toujours cet ado révolté au regard frondeur, qui se réjouissait de trouver une pote de crime en la personne de Tiffany. Quand elle lui avait fait la démonstration de ses talents de danseuse, avec ses hauts talons, il avait éclaté d'un rire joyeux, oubliant pour un instant toute l'inquiétude qu'elle lui inspirait. Elle le faisait délirer cette gamine.
A présent qu'ils se trouvaient hors de vue des agents de sécurité, Loris attrapa spontanément sa main, pour mieux danser avec elle, dans un nouvel éclat de rire. Ils tournoyèrent ainsi tous les deux, excités comme des puces, jusqu'à enfin reprendre leur souffle.

- Merde, je viens d'y penser ! T'as dit que ton vieux s'occupait de sécurité ? J'espère qu'il ne bosse pas dans ce centre commercial !

C'était bien ce qu'elle avait dit, non ? Qu'il s'occupait de la sécurité des gens. Sauf qu'il travaillait de nuit et c'était ça qui était louche. Ça et d'autres choses, comme par exemple laisser une fille visiblement traumatisée, en compagnie d'une vieille mégère complètement maboule.

- En tous cas, t'as l'air d'aller mieux. En te voyant tousser, j'ai cru que t'avais un truc grave...

Il haussa les épaules dans un léger sourire. Si les médecins géraient et qu'elle avait assez de force pour courir, alors il n'allait pas faire comme si elle était en verre. Pourtant Tiffany donnait vraiment l'air d'être une petite poupée toute fragile à protéger, surtout avec ses réactions enfantines.

- J'vais bientôt devoir rentrer, je dois être à l'heure pour les répétitions. Tiens, donne-moi les coordonnées de ton père, comme ça je pourrai lui envoyer une invitation VIP et vous serez bien placés.

Le but, évidemment, en dehors de les inviter à assister à son show, c'était de réussir à collecter des informations sur ce fameux père, un peu trop bizarre à son gout. Dès qu'il aurait son nom et son adresse, Loris comptait bien le surveiller un peu, histoire d'en savoir un peu plus sur le bonhomme. Si jamais il ne faisait rien du tout et qu'il laissait une fille innocente se faire martyriser, il ne pourrait pas se le pardonner. C'était trop dur à vivre, il était passé par là et jamais personne n'avait fait attention à lui, jamais personne ne s'était soucié de ce qu'il endurait. Quand on voit un enfant triste avec des bleus sur le corps, c'est plus facile de détourner la tête et se dire que ça ne nous regarde pas. Mais Loris n'avait pas envie de faire ça.

- J'aimerais être toujours d'aussi bonne humeur que toi, tu sais ! Ne change surtout jamais ça.

Peut-être que ce n'était qu'une façade mais même en se forçant, ce n'était pas facile de rire en permanence. Même s'il essayait, il n'y arrivait pas toujours. Mais faire du shopping était un truc toujours extra pour combler les moments de solitude. Avec tous les effets qu'il s'était procurés, il se sentait déjà beaucoup mieux et maintenant, il avait hâte de prendre le temps de tout admirer et de classer ses nouveaux achats dans sa chambre.

Loris avait relâché un rire joyeux et soulagé en voyant Tiffany lui répondre de manière si gaie en balayant son inquiétude. Il n'y avait rien de forcé là dedans, elle paraissait tout à fait sincère et sa joie de vivre était réellement contagieuse. Tout en riant avec elle, il avait donc prit ses coordonnées, les ajoutant dans la mémoire de son téléphone pour avoir tout à disposition. Il n'oublierait sûrement pas de lui envoyer régulièrement des petits texto pour prendre de ses nouvelles, jusqu'au jour où ils pourraient se revoir.

Rattrapant la jeune fille entre ses bras, il la serra chaleureusement contre lui avant de lui coller un baiser sur la joue. Un faux baiser en vérité, puisque Loris avait l'habitude d'écarter subtilement les lèvres pour éviter de laisser des traces de rouge sur les joues des gens.

Les compliments que Tiffany lui adressa en retour lui amenèrent un sourire pétillant aux lèvres. Cette fille était décidément adorable et Loris pouvait dire qu'elle lui manquerait sûrement beaucoup, elle aussi.

- Quand tu voudras ! Prends bien soin de toi, beauté et à très vite...

Loris la regarda partir en sautillant avant de se détourner, un sourire toujours au lèvres, pour retourner en direction du Lost Heaven. Dès qu'il aurait rangé ses affaires, il se mettrait à étudier d'un peu plus près le père de son amie. A présent, grâce aux informations qu'elle venait de lui offrir, il avait son nom et son adresse. Un petit tour sur internet pour découvrir l'endroit où il bossait et ce serait parti. Loris ne manquerait pas de stalquer Leonard dès que possible pour en apprendre un maximum sur lui. S'il s'avérait que ce mec était dangereux, alors il mettrait son amie en garde et il l'aiderait à s'échapper. Pas question de la laisser entre les mains d'un tortionnaire cette fois, plus jamais ça.