Fouilles nocturnes

Dorian saisit un énorme bloc de béton entre ses deux mains, bras écartés à la limite de leur envergure. Il leva ses yeux saphir vers le firmament, où un océan d’étoiles contemplait le dieu du ciel depuis les profondeurs du cosmos. L’homme aux cheveux noirs comme la nuit prit une longue respiration, puis serra les dents. Ses muscles puissants se bandèrent. Des câbles d’acier soulevèrent la peau de son cou rougi par l’effort.
Le bloc oblong frémit. Céda à la force prodigieuse du Nordique et quitta le contact du sol, entraînant avec lui la carcasse empêtrée d’un SUV. Un rugissement fit gronder l’amoncellement de gravats. Le bloc lesté de métal bascula au-dessus de la tête de Dorian, suffisamment massif pour aplatir son porteur. Le sol composé de débris s’effondra alors sous les pieds du dieu réincarné, telle la gueule d’un monstre prêt à l’engloutir. Par les crocs de Fenrir ! Cet endroit tient vraiment à devenir mon tombeau ! Týr mobilisa son pouvoir et s’éleva difficilement dans les airs, son fardeau impitoyable à bout de bras.

Déblayer le jour serait tellement plus facile ! Le ciel d’un bleu froid gonflerait ses muscles d’une vigueur accrue. Il travaillerait plus vite et se fatiguerait moins. Problème : les manœuvres impossibles attireraient les regards médusés aussi sûrement qu’une aurore boréale dans un ciel polaire. La journée, trop d’humains travaillaient encore sur ce chantier et dans les immeubles alentour.

Son bras gauche fléchit. La charge colossale pencha doucement sur le côté, puis s’écroula dans un bruit sourd.
Dorian lévita jusqu’au toit cabossé d’une voiture, sur lequel il reprit pied. Sa poitrine musculeuse se soulevait à un rythme rapide. Le sang battait à un rythme effréné contre ses tempes. Haletant, il ferma les yeux quelques secondes afin de reprendre ses esprits. Pourtant, Dorian sentait encore un torrent d’énergie couler dans ses veines. Un rire nerveux jaillit de ses lèvres.
À l’époque où les anciens dieux régnaient sur le monde, la force écrasante de Thor le rustre l’agaçait. Lors d’une aventure commune, Týr avait tout juste réussi à trainasser le chaudron géant de Hymir, quand le dieu de la force l’avait soulevé sans effort. Aujourd’hui, il se réjouissait de porter l’équivalent d’une mini-baleine au-dessus de sa tête.

Dorian retira ses gants de travail, achetés dans une enseigne spécialisée dans le matériel de construction. Il avisa ses mains puissantes. Les doigts étaient moins longs que ceux de Godric, mais la paume avait une forme carrée, beaucoup plus large. Cette nouvelle enveloppe charnelle était une merveille, bien plus robuste que ne l’était la précédente. Týr apprenait chaque jour à en repousser les limites.
Il déboutonna sa chemise épaisse, qui retenait trop de chaleur après une heure à remuer les vestiges de l’ancienne Tour des médias. La moiteur de ses biceps luisait sous le clair de lune, et l’air froid apaisa sa peau brûlante. Il éprouvait l’envie d’ôter son débardeur, exposant son torse aux éléments comme à l’ancienne époque, mais jugea plus avisé de le garder. Le vêtement fut plié selon des angles parfaits, puis rangé avec soin dans le compartiment d’un grand sac à dos flambant neuf. Dorian en extirpa un petit boitier relié à une tige rétractable. Un disque concave collé à une boule se trouvait à son extrémité ; des fils électriques débordaient du dispositif.
L’ancien ingénieur dirigea la tige au-dessus de l’espace qu’il venait de dégager, puis tourna le gros bouton du boitier de commande. Un son aigu, répétitif, s’échappa du haut-parleur rudimentaire soudé à l’intérieur du boitier.
Dorian sourit.

— On dirait que je te retrouve enfin, Týr ok Fenrisúlfr.

Dorian revint sur ses pas, rangea la sonde qu’il avait bricolée dans son sac. D’un bond, il atterrit sur la carcasse du SUV qu’il venait d’extraire.
Ses yeux, accoutumés à la faible luminosité, se plissèrent pour examiner le véhicule en lambeaux. Il hocha la tête, en quête de repères. Le modèle s’avérait difficile à identifier. La peinture s’était évaporée dans le brasier ; les parties reconnaissables en plastique et en tissu – sièges et tableau de bord – avaient entièrement brûlé. Le gabarit semblait toutefois identique au SUV derrière lequel Pontiac s’était abrité, avant leur combat à mort.
D’un geste vif, il arracha la portière tordue du côté passager – lui semblait-il –et la projeta derrière lui.

— Tiens tiens…

Sa main frôla un bac de métal écrasé, dont l’ossature restait fixée au béton qui avait traversé le SUV de part en part. La poubelle qui dégageait une odeur de café, et qui l’avait interpellé lorsqu’il tenait les Gitchers dans sa ligne de mire, doigt sur la détente de son fusil.
Il pouvait certes s’agir d’une autre poubelle fixée à un autre pilier, d’un SUV garé dans un autre secteur du parking. Son détecteur avait peut-être détecté un objet aux mêmes propriétés métalliques que celui qu’il recherchait. Mis ensemble, ces trois éléments convergeaient toutefois dans la même direction. Les forces du destin se mettaient-elles une fois encore de son côté, en l’appuyant dans ses recherches ?
C’est ce que Týr croyait, jusqu’à ce que des bruits suspects proviennent du champ de décombres et que le faisceau d’une lampe torche l’aveugle.

— Qui va là ? dit-il en se protégeant les yeux de la main. Vous seriez avisée de braquer votre lampe dans une autre direction. La lune nous éclaire avec abondance cette nuit, et dissipe assez de mystère pour que deux honnêtes gens se parlent sans crainte.

L’agressivité était absente de sa voix calme et profonde. Celle-ci dégageait une puissante autorité naturelle, accentuée par la stature impressionnante de son physique.

Fouilles nocturnes

Les journées étaient devenues longues depuis les événements du mois d’Octobre. La jeune femme n’aimait pas franchement être forcé au repos. Elle avait déjà réussi à esquiver près d’une semaine d’hospitalisation en convainquant les médecins qu’elle pouvait sortir plus tôt et continuer de se faire suivre à domicile voir de venir en consultations externes au besoin. Cependant, son chef n’avait clairement pas accepté qu’elle réduise la durée de son arrêt pour “accident du travail”. Il ne voulait pas la revoir au poste avant la fin du mois de Janvier et même si elle avait tout de même essayé, la brune avait bien compris qu’il n’était pas possible de négocier avec lui sur ce point là. Mais n’étant pas au courant de ses activités extra-professionnelles, elle comptait bien utiliser ce temps libre à bon escient. Son enquête sur le gang des Ninos avait déjà bien avancé mais il fallait mieux battre le fer pendant qu’il était encore chaud et son séjour à l’hôpital lui avait déjà fait perdre pas mal de temps sur ce point là. Se concentrer sur une enquête, peu importe laquelle, lui évitait d’avoir à réfléchir à un sujet plus sensible. Sa découverte en fin d’année dernière concernant l’existence du monde divin l’a laissé perplexe. La brune ne pouvait pas contester ce qu’elle avait vu. Melchiah Valeyard, son cardiologue, était un être doté de dons extraordinaires, inimaginables et même improbables, impossibles. Elle n’arrivait pas vraiment à se résoudre à la chose. L’attraction qu’exerçait son ami sur elle ainsi que le désir qu’il faisait par moment naître au fond d’elle n’arrangeaient en rien tout cela. Elle ne pouvait démentir cette vérité dont elle avait été témoin mais elle n’arrivait pas non plus à y croire.

Comme tout bon scientifique qui se respecte, Hope avait besoin de preuves tangibles, de tests pour vérifier les hypothèses. Certes, elle avait été témoin de sa colère perceptible à l’oeil nu grâce à ses yeux rouges, de sa résistance aux balles, de sa puissance et également de ce halo de lumière qui l’avait entouré dont elle ne connaissait toujours pas l’origine. Rien de tout cela n’était normal. Et pourtant, son esprit n’arrivait pas à se résigner à une telle vérité. La jeune femme ne pouvait contester ce qu’elle avait vu. De plus, Melchiah était une personne de confiance à la base. Cela faisait des années qu’elle le connaissait, il avait suivi sa mère jusqu’à sa mort et l’avait soutenu par la suite. S’intéresser à son cardiologue de la sorte n’avait jamais été dans les projets de la brune. Elle ne savait pas que cette attraction venait en partie du fait qu’il était un dieu et que tous les dieux exerçaient ce genre de choses sur son entourage humain. La lieutenante ne s’était donc jamais posée la question de qui d’autres dans son entourage pouvaient avoir le même impact. Maintenant qu’elle avait réalisé que le dieu nordique n’avait pas changé d’un poil depuis qu’ils se connaissaient, la laissant doucement atteindre le même âge physique que lui, elle était bien plus attentive à ce genre de choses. Il faut dire que ne pensant pas cela possible jusqu’alors, il était difficile de faire attention à cela surtout que les dieux en règle général se dissimulaient très bien parmi la population humaine, depuis des siècles …

De sortie pour surveiller les Ninos et affiner ses recherches, la lieutenante se demandait si elle n’allait pas devoir avoir recours à des façons de faire moins classiques et approuvées. Ce n’était pas du tout son genre de penser ainsi, respectant de manière scrupuleuse les règles comme le protocole d’un test en laboratoire. Mais elle commençait sérieusement à patauger dans ses recherches. Les membres du gang se couvraient entre eux. C’était un bien trop gros déshonneur que de donner le nom d’un des leurs, surtout à un flic. C’est pourquoi elle rentrait une nouvelle fois sans avoir avancé même d’un cheveu. A proximité de la tour des médias, une petite nostalgie la fit prendre un autre chemin, un détour avant de rentrer à son appartement. Godric Oathbridge, agent du FBI, avait perdu la vie sous ces décombres trois mois auparavant. Elle était tout juste sortie de l’hôpital pour arriver après la célébration à ses funérailles. C’était sur sa tombe qu’elle avait revu la procureur de Philadelphie qui semblait bien plus abattue qu’elle par la perte de son collègue et ami. S’approchant des ruines, essayant d’imaginer en vain ce qui avait bien pu se produire ici alors qu’elle était déjà à l’hôpital, l’attention de la jeune femme fut attirée par un bruit étrange provenant d’un lieu interdit au public. Armée de son pistolet personnel, un Beretta 9mm, elle sortit également sa lampe torche afin de s’éclairer le chemin jusqu’à la personne qui était en train de fouiller l’endroit. C’est cette même lampe qu’elle utilisa pour inspecter la personne qu’elle trouva là. L’homme qu’elle découvrit devait être à peine plus âgé qu’elle. Son allure ne lui apprit rien d’autres que le fait qu’il semblait plutôt entretenu. Son visage lui était inconnu. Analysant la situation, ne voyant pas d’arme aux premiers abords sur ce type, elle baissa légèrement le faisceau de sa lampe afin de continuer de voir son interlocuteur sans trop l’éblouir. Elle ne l’éteignit pas pour autant.

Lieutenant Edwards. Cette zone est interdite au public Monsieur. Déclinez moi votre identité et expliquez moi un peu ce que vous faites là.

Méfiante, Hope n’était pas du genre à tirer des conclusions hâtives non plus aussi attendait-elle d’avoir quelques explications avant d’escorter ce civil en dehors de la zone. Elle était loin de s’imaginer faire face à son ancien collègue réincarné, elle était loin d’imaginer qu’elle avait à faire à un autre dieu nordique. Pour autant cette légère attraction faisait son oeuvre et n’allait pas tarder à venir titiller la curiosité et les interrogations de la jeune femme.

Fouilles nocturnes


Týr reconnut la voix en même temps que celle-ci prononçait son nom. Parmi les rares personnes susceptibles de passer à proximité de l’ancienne Tour des médias, sous le clair de lune d’une nuit d’hiver, et de s’intéresser à un individu qui remuait les décombres, il fallait que ce soit Hope Edwards.
L’enquête était entre les mains du FBI. Il suffisait donc à Dorian de montrer son insigne, de commander à la policière de partir sans poser de questions et elle serait tenue d’obéir.
Toutefois, depuis sa réincarnation (l’humain Dorian Kerr se fichait des événements à Philadelphie comme du championnat national de cricket malaisien), Týr avait épluché en long et en large les rapports de police et articles de presse sur la journée du 1er octobre. Notamment ceux qui mentionnaient les actions de la lieutenante.
Pour des raisons encore nébuleuses, les fils de leurs destinées s’entremêlaient. Formaient une trame à l’aspect encore incertain. Celui qui fut Godric aurait sans doute écarté cette distraction d’un revers de la main. Dorian choisit de lui accorder de l’attention.
Il baissa la main qui protégeait ses yeux et écarta les bras.

— Je m’appelle Dorian. Je sais qu’une interdiction de circuler s’applique à cette zone durant la journée, avec pour objectif de ne pas gêner les travaux de déblaiement. Et garantir la sécurité des citoyens, puisque le sol instable pourrait se dérober sous nos pieds et refermer sur nos jambes des mâchoires de béton. Je regrette que vous ayez pris ce risque afin de m’avertir, lieutenant Edwards, mais je vous assure que j’ai le pied sûr et que je ne risque rien.

Dorian s’abaissa et s’empara d’une lourde barre en acier. Il s’écarta de deux pas, exposant son flanc gauche à la policière, puis enfonça en deux coups secs la pointe métallique entre deux blocs.

— Je fais ce que tout homme engagé devrait faire. Consacrer du temps et de l’énergie à combattre la désolation. À honorer les morts. À offrir de l’espoir aux vivants. À remettre de l’ordre dans le désordre. (La lune se voila. Le sol dévasté s’assombrit.) Voulez-vous m’éclairer ?

Dorian tira sur la barre, exerçant un effet de levier avec une force surhumaine. Ses muscles se tendirent comme des câbles d’acier. Un bloc frémit, puis bascula sur le côté au prix de lourds efforts.

— C’est également un très bon exercice pour évaluer sa condition physique.

Il souffla, les muscles luisant de sueur, puis se tourna à nouveau vers la policière.

— La presse a fait le récit de votre intervention contestée, lieutenant Hope Edwards, lors de la funeste journée du 1er octobre. Cependant les articles livraient peu de faits et une abondance d’interprétation. Or, seule l’énonciation de la vérité est capable de rendre justice aux événements ainsi qu’aux personnes impliquées. Je serai donc curieux d’entendre votre version. (La voix de Dorian s’adoucit.) Et avant cela, de connaître votre état de santé. Vos blessures avaient l’air sévères. (Il la scruta quelques secondes de son regard perçant. Elle semblait parfaitement valide, avec un bon maintien. Mais le dieu savait par expérience que maintes séquelles échappaient au sens de la vue.) Ainsi, vous pourrez continuer à surveiller mes faits et gestes tout en m’éclairant sur votre réalité. C’est un échange assez juste, non ? Ou si, comme moi, vous appréciez la compagnie du silence, vous pouvez également vous assoir sur une poutre et vous taire.

Mais ce serait dommage. Bientôt, Dorian Kerr prendrait officiellement ses fonctions auprès de la procureure de Philadelphie. Dès lors, ils auraient certainement l’occasion de se revoir et même collaborer à nouveau.

Fouilles nocturnes

L’homme ne semblait pas penser à mal aux premiers abords. A vrai dire, il lui répondit honnêtement être au courant des restrictions d’accès qui s’appliquaient à cette zone. Cependant, il semblait n’en avoir que faire, se jugeant dans son bon droit parce qu’il était certain qu’il saurait garder l’équilibre et ne pas se blesser. Evidemment, il était impossible de jurer d’une telle chose. Le grand brun qui lui faisait face était de toute évidence un tantinet arrogant. De plus, il se présenta que par l’usage de son prénom. Son mouvement vers le bas puis la saisie d’une barre en fer poussa réellement Hope à se méfier et à être sur ses gardes. Une main sur son arme personnelle, un pas en arrière, elle observa les gestes de son interlocuteur qui ne semblaient aucunement orientés vers une quelconque violence. Ses paroles semblaient sages et censées mais son attitude désinvolte ne lui donnait guère envie de boire ses paroles sans y réfléchir. Mêler politesse et attitude snob était assez perturbant. Cela ne risquait pas de baisser la méfiance de la jeune femme déjà bien aux aguets depuis quelques temps pour d’autres raisons. Le fait qu’il utilise la barre de fer pour déblayer des gravats plutôt que l’attaquer la rassura que moyennement. Rien ne l’empêchait de faire volte face à tout instant. C’est alors qu’il lui demanda de l’éclairer. Le culot de cet individu la surprenait de plus en plus. Baissant légèrement le faisceau pour ne pas l’éblouir à tort et devenir responsable de sa prochaine maladresse potentielle, la lieutenante reprit la parole d’un ton ferme et déterminée alors qu’elle l’éclairait involontairement pour faire sa manoeuvre.

Je veux bien croire que vous pensiez à bien Dorian dont je ne connais pas le nom. Cela dit je réitère : vous n’avez rien à faire ici même si vos intentions semblent louables..

Seulement, l’homme qui lui faisait face semblait bien se moquer de ce qu’elle pouvait lui dire sur le fait qu’il n’avait rien à faire dans les décombres de la tour des médias. Se pensait-il à l’abri du mauvais sort ou quelque chose du genre ? En quoi déblayer était-il pour lui signe d’engagement ? Dorian semblait s’exprimer comme quelqu’un voulant protéger la veuve et l’orphelin ? Se moquait-il de son statut de policière ou bien faisait-il parti du même côté ? Ses paroles étaient emplis de mystère et ne faisaient que la pousser à se poser plus de questions. Hors, c’était ce dernier qui semblait s’interroger sur les événements du 1er Octobre. En réalité, il l’interrogeait sur la manifestation où elle était intervenue juste après avoir mis à rude épreuve ses muscles pour enlever un rocher de là. La méfiance était de mise mais surtout, se rapprocher de lui n’était pas du tout une bonne idée. Au vue de la force dont il venait de faire preuve, elle n’aurait aucune chance si jamais ses suspicions sur un éventuel criminel se révélaient exactes. Il n’en avait pas tout l’air mais pourquoi un homme de loi viendrait fouiller les décombres en plein milieu de la nuit ? Cela n’avait à son sens aucun sens, cela suivait aucune logique. A moins que cet homme ne fasse pas parti du FBI et qu’il ait été évincé de l’affaire. La déstabilisant une fois de plus, la jeune femme ne comprit pas pourquoi son état pouvait-il l’intéresser de la sorte ? Avait-il connu son père ? Rien n’était moins sûr étant donné qu’il avait disparu depuis plus de sept ans. Son regard interrogateur ne semblait pas agressif mais presque .. inquiet ?

Je n’en doute pas mais vous pourriez tout autant vous entraînez en sécurité dans une salle. Pourquoi devrais-je vous surveiller ? Que cherchez-vous au juste ? Et puis pourquoi cela vous intéresse-t-il de savoir comment je vais ou comment je vois la journée du 1er Octobre ?

Orientant un peu mieux sa lampe torche, la curiosité de la brune avait été titillé par les paroles de son interlocuteur. En outre, le charisme du dieu agissait déjà telle une flamme pour un papillon. Loin d’être consciente de cette attraction pour l’heure, elle était bien décidée à en savoir plus sur cet énergumène qui s’improvisait maître de chantier et ouvrier à la fois. Elle avait eu une première information mais honnêtement connaître son prénom ne lui apportait pas grand chose. Elle était loin d’imaginer qu’il était le successeur de Godric tant en tant qu’agent du FBI affilié au bureau du procureur qu’en tant qu’enveloppe charnelle d’un dieu nordique.

Je ne lis pas la presse ou peu. Comme beaucoup de policiers je la trouve incertaine, ne dévoilant la “vérité” que sous l’angle qui les intéresse. Que savez-vous de moi ou de cette journée ? Qu’espérez-vous donc apprendre de ma bouche ?

Sa méfiance était naturelle mais aussi largement perceptible par Dorian. A vrai dire, cela n’avait pas de sens qu’un inconnu s’interroge voir s’inquiète de ce qu’elle avait vécu et des cicatrices qu’elle garderait des suites de cet événement. Étonnamment et malgré le fait qu’elle était sur ses gardes, Hope était relativement ouverte à la discussion. Seulement elle ne se confiait pas si facilement et surtout pas à un étranger qui venait creuser dans les décombres d’un attentat en pleine nuit. Il allait lui en falloir un peu plus pour oser s’exprimer sur la question. Après tout, il pourrait bien aussi être un de ces foutus journalistes en quête d’un scoop. Salir la mémoire des autres ne les dérangeait pas contrairement à la jeune femme. Elle espérait toutefois que l’agent Oathbridge n’en serait pas une nouvelle fois la cible.

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L’avalanche de questions laissa Dorian de marbre. Concentré sur sa tâche, il poursuivait son œuvre tout en profitant du faisceau de lumière que Hope Edwards avait consenti à orienter avantageusement. Le geste familier de la policière sur l’étui de son arme n’avait pas échappé à la vigilance du dieu, mais il n’éprouvait pas le moindre sentiment d’insécurité.

— Vous aimez poser les questions sans répondre à celles des autres, n’est-ce pas ? dit-il sur un ton neutre. Si je ne respirais pas cet air nocturne sous un ciel étoilé, j’aurais l’impression de subir un interrogatoire au commissariat au même titre qu’un suspect dans une affaire criminelle.

Il remplit un seau métallique de fins gravats, dont il déversa énergiquement le contenu à une faible distance. Puis Dorian leva les yeux sur la brune et se figea, la toisant d’un regard qui perçait l’âme.

— Manifestement, vous n’êtes pas encore entièrement rétablie. Ou trop coincée pour échanger plus de mots que nécessaire. Cette humaine me rappelle quelqu’un… C’est dommage, car nous aurions pu avoir une discussion enrichissante. (Il s’abaissa et remplit un nouveau chargement sans s’interrompre.) J’en viens donc au fait qui vous intéresse : je cherche un objet ayant appartenu à une victime, et je suis à deux doigts de le trouver. À moins que vous ayez un motif valable pour m’arrêter, mais je sais déjà que non, la décision de partir ou satisfaire votre curiosité en restant vous appartient. D’ailleurs, si vous me donnez un coup de main avec le détecteur rangé dans mon sac, vous saurez bientôt de quel objet je parle.

Dorian pointa son sac du doigt, où dépassait le manche d’un appareil de mesure. Fruit de ses connaissances en ingénierie, l’objet ressemblait à un détecteur de métaux de fabrication artisanale.

— Par contre, lieutenant Edwards, il vous sera difficile de tenir à la fois le détecteur et une lampe torche, tout en gardant une main à un cheveu de votre arme. Laissez-moi donc vous dire une chose : j’ai toujours tenu les forces de l’ordre en estime – tant qu’elles servent la justice et ne protègent pas des intérêts particuliers ou des idéologies méprisables. Et je ne suis pas homme à fabuler sur mes convictions. Mais au final, vous allez devoir faire le choix de me faire confiance, ou de continuer à voir chaque nouvelle personne que vous rencontrez à travers le voile obscur de vos peurs.

Týr avait vu nombre de mortels pousser la méfiance jusqu’à la névrose, jusqu’à la paranoïa. Le plus souvent de façon temporaire, après un trauma ou une agression comme celle que Hope Edwards avait subie. Ou un acte de traîtrise, qui changeait parfois des personnes de manière définitive. La policière n’en était pas encore à ce stade, auquel cas elle aurait déjà brandi son pistolet. Des années après leur première rencontre, le dieu estimait néanmoins qu’elle manquait encore de confiance en son propre jugement.
Il poursuivit son discours d’une voix claire et fluide, comme s’il énonçait une évidence.

— Je comprends : vous êtes policière, et en tant que telle vous vous mêlez chaque jour à la lie de l’humanité. À des personnes odieuses, brutales et dangereuses, dont le mensonge est une seconde nature. La prudence vous permet d’accomplir votre travail. Elle vous maintient en vie. Mais un bon officier doit aussi écouter la voix de son instinct. Se fier à son expérience, à ses tripes autant qu’à sa tête. Vous n’êtes plus une gamine de vingt ans : jugez de mon honnêteté et agissez en conséquence.

Týr avait donné ce conseil à une quantité innombrable de guerriers, diplomates, enquêteurs et responsables au fil des siècles. Certains avaient trouvé la mort en essayant de l’appliquer. D’autres étaient devenus des sages.

— Par ailleurs…

D’un bond, le dieu sauta sur une dalle à un mètre de lui. Qui s’enfonça sous ses pieds. Des vibrations agitèrent le sol irrégulier constitué de débris, qui s’effondra à quelques pas de l’humaine. Si elle s’était trouvée à cet endroit, Hope aurait sombré dans une dangereuse trouée de métal et de béton.

— … si j’avais voulu vous causer du tort, ce serait déjà fait. Je vous conseille d’emprunter le passage sur votre droite pour éviter un accident ; la zone est plus stable.

Il tourna le dos à l’humaine et remplit un autre seau de gravats avec une étonnante vitalité.

Fouilles nocturnes


Ce Dorian avait la tête dure, au moins autant que la lieutenante si ce n’était plus. Sa remarque était justifiable, compréhensible. D’un autre côté, c’était son job de poser les questions, d’obtenir des réponses. Même si cela faisait plusieurs mois qu’elle n’avait pu exercer ses fonctions, les habitudes semblaient avoir la vie dure. Techniquement, Hope n’avait pas plus le droit d’être là que lui. Son regard la transperça. Que cherchait-il ici et qu’attendait-il d’elle ? Elle n’en avait toujours pas la moindre idée. Pour autant, son instinct la poussait à ne pas se méfier de lui comme elle l’aurait fait en présence d’un criminel. Il lui inspirait la droiture et l’honnêteté, pas le vice ni le meurtre. La pic concernant la satisfaction de sa curiosité fut mal accueillie, laissant un rictus désagréable traverser son visage. Oui la jeune femme était habitée d’une certaine curiosité, mais ce n’était pas ce qui l’avait amené ici. C’était son devoir, son sens de la justice et de l’éthique qui l’avait poussé à agir comme si elle était toujours en fonction. La reprise n’allait plus tarder mais pour autant, ce n’était pas encore l’heure pour elle de se saisir de son arme de service et de sa plaque. Si beaucoup pensaient qu’elle était devenue névrosée pendant les événements du 1er Octobre, tous ceux là se plantaient monumentalement. La brune avait toujours été d’une nature méfiante. Mais depuis qu’elle avait découvert l’existence des dieux sur Terre, cela était devenue bien pire. Il cherchait un objet ayant appartenu à une victime. C’était à la fois une information et de la désinformation. Plus de cent malheureuses victimes avaient perdu la vie lors de l’attentat du 1er octobre. Aussi, cela pouvait être n’importe quel type d’objet ayant appartenu à n’importe qui. Son regard s’orienta sur le sac désigné par le grand brun d’où dépassait un manche. La remarque suivante surprit un peu plus encore la jeune femme. Il avait vu son réflexe, cela confirmait donc ses soupçons, qu’il est un bon ou un mauvais fond, cet homme avait l’habitude de côtoyer les forces de l’ordre.

Ce n’est pas comme si ce que vous me disiez me donnait envie de vous faire confiance. Lorsqu’on veut des réponses, il faut être prêt à en donner aussi. Or, un simple prénom ne fait pas office d’une identité si je ne m’abuse.

Soufflant d’exaspération, elle lâcha l’affaire avec son arme pour aller chercher ce fameux détecteur qui ne semblait pas sorti d’une usine, bien au contraire. La brune regarda l’objet avec attention, admirant au passage le travail minutieux qui avait été fait pour le créer. Allant de surprise en surprise, la remarque suivante du travailleur nocturne semblait la conforter sur le fait qu’il s’agissait d’un collègue de travail. Pour sûr, certains éléments néfastes à la vie humaine seraient également capables de sortir une telle réplique pour se couvrir. Faire confiance était tout simplement impossible pour Hope. Elle ne voulait plus le faire depuis que son père lui avait été arraché et elle avait maintenant bien trop peur de faire confiance à une personne ayant des capacités hors normes comme elle l’avait fait avec son cardiologue. Elle s’était sentie trompée et ne voulait certainement pas que cela recommence avec qui que ce soit. Tout le monde pensait qu’elle virait à la méfiance parce qu’elle avait pris la mauvaise décision le jour de la manifestation, mais c’était faux. Revenant à sa position initiale, le détecteur en mains

Et pourtant c’est de toute évidence mon instinct qui a été décrié dans les journaux. J’ai simplement agi comme je le devais. Un homme armé en plein milieu d’une foule, cela peut faire très vite un grand nombre de victimes. L’alerte quand à une arme potentielle avait été donné mais cela est encore plus difficile de gérer une foule en panique lorsque le fait est avéré. Je me suis faufilée pour neutraliser le gamin du tueur qui au final avait été injustement accusé d’être armé. La fausse alerte a simplement permis qu’il soit une cible plus facile à abattre … Qu’est-ce que vous faites dans la vie pour raisonner de cette façon ?

S’approchant de lui petit à petit en suivant son conseil tout en le vérifiant en prenant son temps et en tâtant le terrain, Hope était surprise de voir à quel point cet homme souhaitait la mettre en confiance. Il n’était pas aisé de faire cela avec elle aujourd’hui mais il était vrai aussi qu’elle ne donnait pas sa chance à grand monde, cherchant à rester coupée du monde. Elle ne put s’empêcher d’ajouter une fois à ses côtés :

Je ne vois pas ce qui vous empêcherez de le faire encore maintenant si ce n’est votre conscience. Seulement, avant ou plus tard, quelle importance. Vous pourriez encore que personne ne viendrait vous en empêcher.

A part elle-même évidemment. La lieutenante se débrouillait plus que bien dans le combat au corps à corps et même contre des gabarits bien plus gros que le sien. Mais elle était loin d’imaginer qu’elle avait encore affaire à l’un d’eux. S’il avait des questions, elle aussi et donc la brune rappela à son interlocuteur comment il allait obtenir les informations qu’il voulait. Elle restait curieuse de savoir pourquoi il se préoccupait de son point de vue et de son bien être même si la réponse à ce second point allait être très longue et fastidieuse tant le corps s’était parfaitement remis que la tête n’arrivait toujours pas à se détacher de ce qu’elle avait appris maintenant plusieurs mois auparavant.

Je vous ai donné une réponse, à vous dans m’en donner une aussi pour que cette discussion soit enrichissante pour tous les deux.

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Pour Hope Edwards, le nom qu’elle avait reçu à la naissance faisait office d’identité. Il représentait son héritage, l’unique manière de se présenter au reste du monde – avec son grade. Týr ne pouvait lui expliquer que son histoire remontait à un âge où les mortels se dressaient vers le ciel avec déférence et vénération. Que Dorian Kerr, né le 5 mai 1983 au Texas, n’existait plus. Qu’avant d’occuper ce corps, elle l’avait connu sous l’identité de Godric Oathbridge.
Elle attendait de lui une vérité qu’il ne pouvait lui fournir – pas encore.

Hope le rejoignit avec le détecteur et Dorian tourna un bouton, expliquant à la policière qu’il servait à régler la sensibilité. Plus ils approcheraient du but, plus il faudrait l’accroître afin de localiser l’objet avec précision. L’appareil générait une onde sonore de type sinusoïdal, dont la période diminuait à l’approche de l’alliage pour lequel il était réglé. Ainsi, un signal plus rapide indiquait une plus grande proximité.
Le Nordique reprit ensuite son travail de déblayage, avec moins de vigueur à présent qu’un nuage voilait la clarté lunaire. Témoigner d’une force surnaturelle sous les yeux vigilants de la policière aurait, de toute façon, été inapproprié. La jeune femme commença alors à se confier. Les mots sortaient péniblement de sa bouche, sans enthousiasme, mais Týr savait que le premier pas était toujours le plus difficile.
Évidemment, il eut droit à d’autres questions.

— J’ai fait bien des choses au cours de ma vie, lieutenante Edwards. Ce soir, je creuse comme un déterreur. Bien qu’à d’autres époques, on m’aurait qualifié de pilleur de tombe.

Dorian gloussa. En tant que juge et connétable, il avait jugé et condamné plusieurs coupables de tels crimes au cours des siècles précédents. La situation ne manquait donc pas d’ironie.
Il s’arrêta un instant, puis la fixa d’une mine solennelle.

— Les gens cherchent toujours un bouc émissaire lorsqu’un drame se produit. Un visage tangible, sur lequel ils peuvent libérer leur peur, déchainer leur colère et déverser leurs larmes accusatrices. Ceux qui avaient déjà le cœur mauvais comme la peste saisisse l’occasion de cracher leur mauvaise bile en toute impunité, profitant de la déferlante d’émotions. C’est pourquoi ils n’ont guère prêté attention à la manière dont cette fausse alerte s’est répandue, qui est pourtant la cause véritable de cet incident. Et qu’ils vous ont pris pour cible. (Son front se plissa ; il retourna à son labeur.) Des accusations semblables pèsent sur l’agent du FBI qui a perdu la vie à l’endroit où nous nous trouvons, bien que sa hiérarchie le soutienne devant les caméras. Elle l’a même érigé en héros, afin de mieux couvrir leurs défaillances sur l’affaire des Gitchers. Quelle odieuse tentative de manipulation ! En vérité, aucun de vous deux n’a eu droit à un traitement juste. Approchez le détecteur, s’il vous plaît.

Hope plongea la sonde dans le trou que Dorian venait de dégager. Le bip s’accéléra au point d’émettre un son quasi continu.

— Nous y sommes ! se réjouit-il.

Le dieu se mit à genoux, s’écorcha les mains et les bras à dégager les débris qui appartenaient à l’ancien parking souterrain. Ses doigts fouillèrent une mixture granuleuse, composée de cendre et de grains noirâtres.

Voilà tout ce qui reste de toi, mon vieil ami. Même tes cendres ont été souillées.

Les phalanges de Dorian se courbèrent. Il exhuma un petit objet, le frotta à l’aide de son débardeur humide de sueur. La couche de saletés qui le recouvrait disparut peu à peu, dévoilant un pendentif de couleur dorée. Dorian se releva, puis dressa le médaillon vers le ciel étoilé.

Le médaillon:

— Týr ok Fenrisúlfr, murmura-t-il comme une prière, trop bas pour que Hope puisse discerner ses paroles.

Il se tourna en direction de Hope.

— Cet objet appartenait à Godric Oathbridge, et je suis son successeur. Agent spécial Dorian Kerr, du FBI. Je vous remercie de votre aide dans la progression de mon enquête, lieutenante Edwards.

Fouilles nocturnes


Regarder ainsi un autre travailler en ne faisant rien ou pas grand chose n’était pas la spécialité de Hope. Elle avait l’impression d’être un fardeau ou de ne servir à rien et dans ses deux cas, cela ne durait jamais longtemps. Finissant par prendre le détecteur pour apporter un peu d’aide à ce Dorian qui semblait chercher un objet en particulier. Quoi donc ? Ca la jeune femme n’en savait foutrement rien. Mais elle avait l’étrange sensation qu’elle pouvait lui accorder le bénéfice du doute. D’un autre côté, elle sentait également qu’il était en train de se moquer d’elle. De quelle façon ? A quel sujet ? Elle n’en avait pas la moindre idée. La brune avançait relativement dans le flou avec cet inconnu. Mais elle ne pouvait pas partir et le laisser faire ce qu’il voulait, encore moins après la réponse qu’elle eut où il s’affublait lui même des termes déterreur et pilleur de tombe. C’était plutôt atypique comme langage et cela n’échappa pas à l’attention de la lieutenante. Il se croyait en Egypte ou bien ? C’était très étrange comme remarque mais la réaction du jeune homme à ses propres paroles l’était d’autant plus. Si au fond d’elle, elle avait un pressentiment comme quoi elle pouvait lui faire confiance, sa réticence naturelle additionnée au comportement de son interlocuteur ne risquaient pas de lui permettre de le faire aujourd’hui. Le petit gloussement appuya en ce sens. C’est alors que son regard vint trouver le sien d’une manière bien trop solennelle par rapport à l’instant moqueur précédent. Cet homme était décontenançant au plus haut point. Sa façon d’être, son comportement n’avait rien de normal ou de logique. Écoutant les paroles de son acolyte d’un soir, elle ne put que déplorer ses mots sans être capable de les contester. Elle avait été un bouc émissaire ridicule. Mais le pire était la façon dont la mort de l’agent Oathbridge avait été utilisé. Il semblait vouloir justifier le pourquoi de la réaction majoritaire à laquelle elle avait été confronté. Aussi Hope ne put s’empêcher de commenter :

La situation de l’agent Oathbridge est bien pire que la mienne. Je me moque éperdument de ce que les gens peuvent penser de moi. Je trouve ça simplement désolant.

C’est alors qu’il lui fit signe d’approcher le détecteur de métaux avant de se réjouir au son que ce dernier produisit. La lieutenante n’avait toujours pas la moindre idée de ce qu’il pouvait bien chercher. L’observant se mettre à genoux pour dégoter l’objet tant convoité, il ne semblait avoir aucune retenue tant il était pressé de mettre la main sur son trésor. Ce n’est qu’une fois que Dorian s’était redressé que la jeune femme put enfin apercevoir sa trouvaille. Il s’agissait d’un petit médaillon doré auquel il sembla accorder quelques paroles inaudibles par la brune. Les explications qui suivirent ne la surprirent guère. Evidemment, la flic restait méfiante, n’arrivant à justifier le pourquoi du comportement de son homologue du FBI. Lorsqu’il s’était présenté, il aurait très bien pu lui dire immédiatement qu’il était le remplaçant de l’agent Oathbridge. Mais au lieu de ça, il avait préféré se montrer joueur voir moqueur avec Hope. Reculant d’un pas, laissant sa réticence naturelle reprendre le dessus et s’exprimer à travers le langage non verbal, elle finit par lâcher :

Et vous n’auriez pas pu me dire dès le départ que vous étiez là en toute légitimité alors que ça n’est pas mon cas.

Evidemment, l’enquête menée sur l’attentat du 1er Octobre sur la tour des médias de Philadelphie était menée par le FBI et le bureau du procureur. Si elle n’était plus en fonction, elle avait tout de même cette information. Or, justement, la jeune femme n’avait plus ses attributs de lieutenante pour le moment. Son arrêt lié à l’émeute qui l’avait envoyé à l’hôpital ne se terminait que dans une bonne semaine. Avait-il joué à cela pour la piéger ? Dans quel but ? Non, cela n’avait probablement pas de sens. Mais ce qui était certain, c’est que si l’agent Oathbridge ne s’était pas particulièrement montré avenant ou sympathique avec elle lors de leur première collaboration, l’agent Kerr partait sur de très mauvaises bases en se jouant d’elle de la sorte. Seulement, chassez le naturel et il reviendra toujours au galop.

Pourquoi aviez-vous besoin de retrouver ce médaillon ? Quel impact a-t-il dans votre enquête concernant l'attentat ?

A deux doigts de tourner les talons pour partir, la brune avait une fois de plus sa curiosité prendre le dessus pour essayer de comprendre les agissements de son homologue du FBI. Tout dans sa posture laissait à penser qu’elle allait tourner les talons d’une minute à l’autre pour rentrer chez elle. Elle ne craignait pas qu’on lui reproche sa présence sur les lieux. S’il avait voulu le faire, il l’aurait fait dès le départ après tout. Mais ce raisonnement n’éteignait pas la méfiance de Hope, loin de là.

Fouilles nocturnes


La lieutenante reçut avec une pointe de mécontentement les révélations tardives de Dorian sur son identité et la raison de sa présence. Les humains d’aujourd’hui… des créatures enfermées dans une insatisfaction permanente ;  chaque génération plus impatiente que la précédente, alors que leur espérance de vie ne cessait de croître. Seuls les poètes et les penseurs parvenaient encore à focaliser leur esprit sur les véritables problèmes qui menaçaient l’âme du monde – et la leur.

— J’aurais pu. Comme vous auriez pu passer à côté de ce chantier ou appeler une patrouille, au lieu de venir fouiner avec votre torche. Il me semble que nous sommes quittes.

Si le ton restait neutre ; la chute ne laissait aucune place à la réplique.
Týr n’était pas en mesure de tout lui expliquer. De révéler certains secrets. Par ailleurs, si cette humaine était assez futée, elle comprendrait tôt ou tard qu’il souhaitait obtenir des réactions naturelles et spontanées de sa part. Une attitude que ne permettait pas le dialogue entre un agent du FBI et une policière au repos dans ces circonstances.

L’attention du dieu nordique portait à présent sur la magnifique pièce d’orfèvrerie qu’il caressait des doigts. Il se rappelait encore le jour où ses croyants lui avaient remis, émus jusqu’aux larmes quelques semaines après leur avoir conté la véritable histoire de Týr et du loup Fenrir.
Une mortelle comme Hope Edwards serait incapable de mesurer l’importance de ce petit objet. De comprendre tout ce qu’il représentait pour celui qui s’affichait comme simple agent du FBI. De saisir le lien mystique qui l’unissait à ses fidèles, avec leur foi qui le nourrissait de la même manière que chaque goutte de pluie nourrit la plante. Selon Týr, un dieu avait le devoir sacré d’honorer leurs prières, de chérir chacune de leurs offrandes.
Il y avait toutefois une autre raison à son entêtement, que la policière soulevait avec justesse.

— Question très pertinente, lieutenante Edwards ! (L’enthousiasme de Dorian revint dans ses yeux pétillants d’intelligence.) À votre avis, que nous apprend ce médaillon ? (Il se dégagea totalement du trou qu’il avait creusé, puis la fixa de son regard intense.) Il nous apprend que l’agent Oathbridge a trouvé la mort ici. Ou à une faible distance de cette position, en tenant compte du souffle de l’explosion.

Dorian s’éloigna de quelques mètres. D’un bras, il retira des gravats un piquet surmonté d’un ruban bariolé, planté sur la longueur d’un avant-bras, puis vint l’enfoncer avec une égale facilité à l’emplacement de leur découverte.

— L’entrée du parking de la Tour des médias se trouvait approximativement par ici, dit-il en pointant du doigt l’extrémité du chantier, à une trentaine de mètres derrière Hope. Cela signifie, de toute évidence, que mon prédécesseur n’a pas foncé tête baissée au contact des terroristes, provoquant ainsi une réaction violente et immédiate de leur part avec les tragiques conséquences que l’on connaît. Soit il soupçonnait quelque chose et se trouvait sur place avant le gang maudit, soit il est arrivé plus tard. (Il pivota sur lui-même, embrassant du regard le lieu approximatif où se trouvaient les escaliers et la cage d’ascenseur.) Auquel cas, il serait parvenu à gagner l’intérieur du bâtiment par un autre accès, puis s’est mis en position d’observer les agissements des poseurs de bombe à distance. Dans les deux cas, cela réfute la thèse de certains journalistes qui l’ont dépeint comme une tête brûlée.

Il jeta un œil à l’intérieur du trou, songeur. Dorian savait que l’enquête n’irait jamais jusqu’au bout, sous peine de révéler la présence sur les lieux d’Irene, d’autres divinités et d’envoyés de Sanctum. Mais il pouvait la mener suffisamment loin pour livrer au grand jour des pans essentiels de la vérité. Et laver ainsi l’honneur de Godric Oathbridge – son honneur.

— Des analyses plus poussées nous permettront d’établir de façon plus précise les circonstances de son décès, notamment la présence d’armes et d’autres personnes dans les environs proches. (Il leva à nouveau les yeux vers Hope.) Qu’en dites-vous, lieutenante-qui-n’êtes-pas-là-en-toute-légitimité ? Ne pensez-vous pas que vos propres actions ce jour-là méritent d’être défendues, au lieu de hausser les épaules et laisser des idiots médire à votre sujet ?

Fouilles nocturnes


La réplique de l’agent Kerr était cinglante et sans appel. Elle ne comprenait pas le but. La jeune femme n’arrivait pas à voir l’intérêt que pouvait en tirer l’agent du FBI de l’interroger de la sorte sans se présenter au préalable. Avait-il une quelconque idée derrière la tête ? Avait-il pour but de la piéger ? Hope était à des années lumières d’imaginer la réflexion et l’objectif du dieu Týr derrière ses manigances et ses actions surprenantes. Pour cause, elle ne savait pas qu’il était un dieu réincarné, suite à la destruction de son enveloppe précédente Godric Oathbridge, ni qu’il pouvait avoir un quelconque intérêt pour elle en lien avec sa symbiote. Si elle se montrait sur ses gardes, c’est parce que les seuls qui s’intéressaient à la suite des événements du 1er Octobre la concernant cherchaient principalement à savoir si elle était simplement en arrêt ou bien qu’elle avait été mise à pied pour ses décisions qui avaient été jugé comme stupides par certains. Les commérages n’avaient jamais été son fort et elle ne comptait pas s’y mettre aujourd’hui. Interrogeant alors l’agent du FBI sur sa trouvaille et le pourquoi de sa nécessité, elle vit d’un coup d’un seul un éclat pétillant au fond des prunelles de son interlocuteur. Cet homme était intelligent et réfléchi, c’était certain. Il avait forcément une arrière pensée lorsqu’il avait décidé de ne pas décliner son identité et donc son appartenance au FBI au début de leur échange. Mais de quel genre pouvait-être cette arrière-pensée, cet objectif caché ? Cette question ne cessait de turlupiner la brune qui se creusait les méninges sans penser qu’elle puisse être à des années lumières de la vérité, sans se rendre compte du charme magnétique divin qui s’exerçait sur elle. Savoir que ce phénomène existait ne permettait pas systématiquement de s’en rendre. De plus, même si la lieutenante connaissait l’existence des dieux et s’en méfier grandement, elle ne pouvait accuser chaque nouvelle personne qu’elle croisait d’être la réincarnation d’une divinité lambda. Ce n’était clairement pas la première chose qui lui venait à l’esprit et elle n’avait pas encore réalisé que les dieux pouvaient se cacher derrière n’importe quelle personnalité, y compris son cardiologue, son supérieur ou encore son coéquipier d’un jour.

Le fait qu’il lui retourne la question concernant ce médaillon et les secrets qu’il pouvait leur révéler lui donna envie d’observer d’un peu plus près le dit objet. Malheureusement, cela n’était pas du goût de Dorian qui l’éloigna bien vite de son champ de vision. Ce geste attisa d’autant plus sa curiosité alors que les façons de procéder de son interlocuteur laissaient à désirer. Ils étaient sur une scène de crime et cet élément était une pièce à conviction qu’il était en train de manipuler à mains nues, supprimant peut être les rares empreintes qu’ils auraient pu retrouver dessus datant de l’attentat à la bombe. Sûrement que la scientifique n’aurait trouvé que des traces provenant de l’agent Oathbridge lui-même, mais il ne fallait jamais jurer de rien dans ce métier. Ce qui semblait certain, c’est qu’il ne savait pas que ce médaillon pouvait être une aubaine ou bien une malchance pour lui s’il la laissait s’en approcher suffisamment. Car la brune avait déjà vu ce symbole, ses gravures, peu de temps auparavant. Lors de ses recherches sur le panthéon de Melchiah, la lieutenante avait aperçu ce symbole comme représentant l’un de ses homonymes. Evidemment, elle était encore bien loin, même si elle voyait la dite pièce, de se douter du fait qu’elle faisait face à l’heureux et unique propriétaire de ce symbole, le dieu nordique des serments.

Comment savez-vous qu’il appartenait à l’agent Oathbridge ?

Suivant du regard son acolyte, ce dernier alla chercher un piquet et revint le planter là où il avait déduit que le corps de Godric reposait. Ce qui était certain, c’est que l’homme était plutôt entraîné. A peine eut-il planté le piquet qu’il reprit son explication de plus belle. Dorian exposait sa théorie à voix haute, laissant la brune imaginait petit à petit dans sa tête comment l’agent Oathbridge avait pu se retrouver dans le souffle de l’explosion. Ecoutant d’une oreille les mots de l’agent du FBI, elle ne put s’empêcher de réagir à l’expression “tête brûlée”.

Il n’y a que ceux qui ne le connaissaient même pas un peu pour le décrire de la sorte. Il pouvait paraître ainsi avec ses collègues de travail mais très certainement pas dans l’exécution de ce dernier.

Hope se souvenait parfaitement de leur rencontre. Cela faisait quelques semaines, mois tout au plus qu’elle était passée lieutenante. La vie d’agent de terrain était toute nouvelle pour elle à l’époque. Elle avait récupéré une enquête en collaboration avec le FBI représenté par la personne de Godric Oathbridge. Avec le recul, la jeune femme avait compris qu’il n’avait voulu que lui donner des conseils pour l’avenir mais la façon de faire de cet homme était vraiment peu recommandable. Il n’avait aucun tact, aucune maîtrise de lui, semblant se proclamer comme l’agent parfait qui savait tout sur tout. Mais malgré cette attitude hautaine qu’elle n’aimait pas, la brune ne lui aurait jamais souhaité une fin aussi tragique. Elle ne pouvait que regretter un représentant de la loi aussi sérieux, investi dans sa mission. C’est alors qu’elle croisa de nouveau le regard de son interlocuteur qui se mit à appuyer là où ça faisait mal, sans crier gare. Le regard azuré de la brune laissa transparaître son agacement vis à vis de ce qu’on pensait d’elle. Si seulement on pouvait la laisser dans son coin faire son job tranquille.

L’agent Oathbridge mérite qu’on prouve qu’il a cherché à faire son job correctement jusqu’au bout. Seuls ceux qui ne le connaissaient pas pourraient dire qu’il était mauvais dans ce qu’il faisait.

Marquant un temps d’arrêt, son regard toujours rivé dans celui de son interlocuteur, Hope réfléchissait aux bons mots à employer pour faire comprendre la façon dont elle voyait les choses la concernant.

J’ai fait mes propres choix et je les assume. L’agent Oathbridge n’est malheureusement plus là pour en faire autant. Ce dont on m’accuse n’est pas à la hauteur des accusations le concernant. Il est bien plus juste et important de prouver qu’il a fait ce qu’il avait à faire jusqu’au bout plutôt que de débattre d’une décision que beaucoup ne comprendront jamais vu qu’ils réfléchissent en ayant tous les éléments en mains, ce qui n’était pas mon cas lorsque j’ai fait mes choix.

Marquant un nouveau temps de pause, la lieutenante finit par ajouter, commençant à se demander si l’agent Kerr ne faisait pas parti des gens qui jugeaient ses agissements comme stupides.

Le fait que des gens médisent mon travail, je m’en contrefous royalement. Mais il est logique que je ne leur donne pas le bâton pour me battre. Que pensez-vous donc que je devrais faire ? Polémiquer avec des gens qui ne sont pas capables de se remettre en question ?

Ce qui était certain, c’est que s’il voulait qu’elle se justifie pour essayer de comprendre le pourquoi de sa décision et peut-être se dire qu’en réalité elle avait bien fait, il allait attendre longtemps.

Fouilles nocturnes


Comment savait-il ? Au point de connaître la composition exacte de l’alliage constituant le médaillon ? Une réponse de plus que Dorian ne pouvait fournir à la policière. Dans leurs échanges avec les humains, les dieux devaient constamment occulter la vérité. Un jour, peut-être, il songea que Hope Edwards connaîtrait leur existence. Et converser alors en toute franchise, avec Irene comme avec lui.
En attendant cet hypothétique futur, Dorian prononcerait comme bien souvent des demi-vérités. Car il n’aimait pas mentir, aux dignes représentants de la loi encore moins que les autres. C’est pourquoi il se réfugiait souvent dans le mutisme, élargissait ou détournait le fil de la conversation.

— En tant qu’enquêtrice, vous savez qu’on en apprend beaucoup sur la vie d’une personne lorsqu’on s’en donne la peine. Il avait des origines scandinaves, le saviez-vous ? Ainsi qu’une passion pour le folklore de ses ancêtres.

Le folklore. Un mot qui mettait sur un pied d’égalité le glorieux royaume d’Asgard et la caverne du Père Noël. Le premier n’était plus qu’un lointain souvenir ancré dans la mémoire des dieux nordiques, un lieu qui faisait encore rêver d’innombrables mortels à travers la culture populaire. Et pour une infime partie de l’humanité, l’Asgard était encore une véritable croyance.
Les nouveaux dieux avaient dévoyé le récit chrétien de Noël comme les plus beaux mythes des temps anciens. En avaient fait des enjeux commerciaux. Des jeux vidéos et des figurines en plastique produits à l’échelle industrielle.

Dorian soupira, puis glissa le médaillon dans une poche de son jean. Cet objet sacré n’appartenait qu’à lui, et il ne songea pas un instant à laisser Hope l’examiner de plus près. Encore moins le toucher.
Il écouta avec attention les remarques de la policière sur sa précédente incarnation, arqua un sourcil.
Qu’elle complimente Godric n’allait pas de soi : la manière douce de guider les humains n’entrait pas dans les attributs du Nordique. Dans le monde des dieux comme des hommes, il avait toujours incarné une figure austère, juste mais sévère. Hope avait passé outre cette dureté, portant sur le travail de Godric un jugement impartial.
Týr s’en réjouit. Pour elle autant que pour lui.

À présent qu’il avait marqué la zone d’investigation avec des piquets, il récupéra son détecteur artisanal et se dirigea vers le sac contenu ses affaires. Il en tira sa chemise pliée en quatre, se demandant sans raison particulière si Irene la trouverait à son goût. Athéna, d’une éloquence qui ferait pâlir les plus grands philosophes grecs lorsqu’elle s’exprime en Primat ou procureure, plus nébuleuse que la Zorya de minuit lorsque nous abordons des sujets privés.

Il ouvrit les bras et enfila son vêtement pendant que la policière livrait son point de vue quant à la défense de son honneur. Le dieu perçut une pointe de mécontentement, de bravade dans le ton de sa voix.
Celle de Dorian restait d’une confiance sans aspérité. Ses propos coulaient comme des évidences.

— Je pense que vous devriez vous soucier du jugement que porte la population sur votre travail, et ne pas « vous en foutre royalement ». (L’expression de son visage se durcit, semblable à un juge énonçant un verdict.) Car si vous laissez les médisants traîner votre honneur dans la boue, les innocents apercevront un visage sale, couvert d’une couche d’immondices masquant la vérité. La vérité et la justice valent toujours la peine qu’on se batte pour elles, lieutenante Edwards. Et lorsqu’on porte un insigne, cela devient un devoir.

Dorian acheva de boutonner sa chemise, puis glissa les bretelles du sac à dos sur une de ses puissantes épaules.

— Les gens ont besoin de croire en quelque chose. Quelque chose de grand et de noble. Quelque chose qui les inspire, qui tire leurs âmes de la sauvagerie et de la médiocrité. Quelque chose comme le sens de la justice. Et pour croire, ils ont besoin de visages humains qui incarnent ces valeurs. Des exemples. Des gens comme eux qui leur prouvent que c’est possible.

D’un pas souple qui évitait les obstacles, il prit la direction de la route. Invita Hope à marcher dans ses pas.

— Regardez en arrière, dans votre passé. Une figure d’autorité a probablement inspiré votre vocation. Un modèle. Quelqu’un de votre famille, ou un personnage public. C’est souvent le cas chez les policiers.
Maintenant, songez, à ce qu’aurait été votre vie si cette personnalité émérite avait été décriée. Pensez à un avenir – à un présent – où les enfants n’ont plus de héros auxquels se raccrocher. Un monde où les adultes lisent dans la presse que les policiers agissent bêtement. Les gens perdront foi en la justice et leurs représentants.

Ils arrivèrent à l’entrée du chantier. Dorian marqua une halte, tendit la main à Hope pour l’aider à descendre d’un assemblage de béton. Puis il toisa la policière.

— La bataille pour la justice et la vérité est une lutte de tous les instants. Un combat éternel et exigeant. Il ne s’agit pas d’engager de vaines polémiques, mais de faire valoir votre honneur et vos compétences. De répliquer sans démesure à chaque attaque. Les citoyens de Philadelphie jugeront ensuite. Certains vous jugeront mal, mais la plupart ne sont pas aussi aveugles et stupides qu’on essaie de nous le faire croire. Il faut simplement respecter la période de l’émotion et du deuil.

Le dieu respira l’air froid à pleins poumons, embrassa l’horizon urbain du regard. Il se rappelait encore Philadelphie à l’état de campement, quand les roues des charrettes creusaient des sillons dans ses rues boueuses. La ville de l’amour fraternel avait traversé bien des crises depuis lors, et en traverseraient encore.

— La nuit est calme, mais la ville reste sous tension. Aujourd’hui des fratries se déchirent pour leurs croyances. Les gens ont besoin de repères, d’institutions en lesquelles ils peuvent avoir confiance. Ils ont besoin d’une police irréprochable, lieutenante Edwards. De gens comme vous et moi.

Fouilles nocturnes


Ce nouvel agent du FBI semblait similaire au précédent. Sûrement avait-il un moule au siège du FBI pour tous les faire de la même manière. La lieutenante voyait bien qu’elle était à des années lumières d’une telle retenue, d’un tel professionnalisme et d’une telle méticulosité. Evidemment, elle ne déballait pas les indices qu’elle avait sur une affaire à quiconque le demandait. Cependant, elle se doutait qu’elle laissait parfois des miettes à se mettre sous la dent à ses interlocuteurs lorsque l’agent Kerr, tout comme l’agent Oathbridge, ne disait jamais un mot de trop, laissant le sol brillant et étincelant, sans la moindre trace à suivre. Ils ne jouaient clairement pas dans la même catégorie. Sa remarque semblait minutieusement pensée pour la botter en touche. La jeune femme ne connaissait pas du tout la vie personnelle de Godric Oathbridge. Ils avaient eu l’occasion de collaborer une fois sur une enquête en binôme lors de ses premiers pas en tant que lieutenant et c’était tout. Cela s’en était tenu strictement à la relation professionnelle, pour le plus grand plaisir de la brune qui ne supportait pas ceux qui mélangeaient travail et vie privée. Regrettant de n’avoir pu observer la dite pièce plus en détails, elle fronça cependant un peu les yeux en voyant l’agent mettre la pièce dans sa poche comme s’il allait la garder pour lui au lieu de la mettre dans les pièces à convictions de l’affaire liée à l’attentat du 1er Octobre.

Certes et non je reconnais ne pas m’en être douté. Mais qu’entendez-vous par le folklore de ses ancêtres ?

Le nom de l’agent Oathbridge ne donnait aucun indice quant à son affiliation scandinave. Ce qui était d’une évidence, c’est que Hope ne se serait pas montrée aussi élogieuse avec son collègue s’il avait été en face d’elle ou s’il avait pu avoir un retour sur ce qu’ils étaient en train de se dire. Mais la vérité était qu’elle faisait des compliments directement à la personne concernée sans en avoir la moindre petite idée. Suivant le cheminement des actes de Dorian, elle revint sur ses pas pour le suivre alors qu’il avait récupéré le détecteur et qu’il le fourra dans son sac avant de récupérer de quoi mieux se vêtir. Répondant à sa question précédente, elle ne voyait pas vraiment où il voulait en venir. Le grand brun semblait trouver cela important de laver son honneur à elle également, point de vue qu’elle ne partageait nullement. A vrai dire, elle s’était toujours moquée de l’avis des autres, préférant faire comme elle l’entendait dans son coin, que cela plaise ou non aux autres. La brune ne voyait pas l’intérêt dans tout ça, être le centre de l’attention ne lui plaisait que très peu aussi, laisser couler permettait généralement que les gens passent à autre chose plus rapidement. Confiant, son interlocuteur continua de défendre son point de vue comme s’il n’y avait pas d’autre vérité possible. Puis devenant de plus en plus sérieux, son regard avait un quelque chose de sévère qui ne plaisait pas franchement à la lieutenante. Se sentant offensée même agressée, elle répliqua presque instinctivement, ne partageant qu’à moitié les vérités qu’il énonçait.

Évidemment que la vérité et la justice méritent qu’on se batte pour elle. Je ne serais pas où je suis si je ne le pensais pas. Je ne partage pas votre avis concernant les gens d’en bas dont je fais partie. Vos paroles n’ont du sens que pour les figures plus importantes comme un agent du FBI, le chef de la police ou encore le procureur. Les gens se contre-foutent complètement des petites mains.

Sèche, elle ne s’énerva pas pour autant. S’il croyait qu’elle se prenait pour quelqu’un, Dorian Kerr se mettait le doigt dans l’oeil jusqu’au coude. Continuant de le suivre jusqu’à la sortie des décombres, elle l’écouta à nouveau, sentant rapidement son coeur s’emballer alors que l’image de son père faisait irruption dans son esprit. Seulement l’exercice que lui proposait le jeune homme était au dessus de ses forces. Il n’était plus là et rien ne pourrait le ramener. Cela l’empêchait totalement d’imaginer quoi que ce soit le concernant. Elle n’avait jamais vu tant que ça son père comme un héros mais plus comme une personne cherchant à faire le bien autour d’elle avec ses petits moyens. En réalité c’était exactement l’image qu’il avait mis dans sa tête, faisant cogiter la brune rapidement sur le fait que si tout le monde agissait de la sorte, il n’y aurait pas ou très peu de problèmes sur Terre. Hope n’apparentait pas cela à l’image d’un héros au sens populaire, et pourtant cela en était bien un en quelque sorte, un exemple à suivre. Arrivés à la grille qui évitait que les gens ne viennent sur les décombres de la tour des médias, la brune descendit seule de l’amas de gravats, plus par habitude qu’autre chose et réorienta par la suite son regard azur sur Dorian qui semblait l’évaluer.

Je ne pense pas avoir les compétences et la carrure pour jouer les figures de la vérité et de la loi. Bien d’autres peuvent prendre le temps de faire ça.

Évidemment, cela sous-entendait qu’elle n’avait pas le temps elle de faire ce genre de choses, même en arrêt. Cela n’était pas un mensonge, c’était un déguisement de la vérité. Hope continuait de poursuivre l’enquête de son père dès qu’elle avait un moment. De plus, cette histoire de dieux la préoccupait bien plus qu’elle n’était prête à l’admettre.

Seulement personne n’est irréprochable agent Kerr. Ni vous ni moi. Je n’aurais jamais une telle prétention.

Oui la nuit était calme, mais elle savait pertinemment que cela ne durerait pas. La remarque sur les croyances la fit tiquer toutefois, elle préféra ne pas arpenter ce chemin sinueux qui avait beaucoup changé au cours des derniers mois dans son esprit. Préférant mettre un terme à cette entrevue involontaire, elle ajouta :

Je vous souhaite une bonne soirée agent Kerr et au plaisir.

Pivotant les talons, ses pas la menèrent bien vite à son appartement afin d’ajouter les éléments nouveaux collectés durant sa surveillance des Ninos à son dossier. Elle était en train de rassembler les noms de tous les membres du gang l’année où son père avait été tué. Une fois qu’elle aurait une liste complète des suspects potentiels, elle pourrait les rayer à tour de rôle jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un.