Go back to work, human

Une bonne raclée. C'est ce que m'était pris en pleine face il y a deux jours. Des ecchymoses qui firent ciller mon employeur. Et à raison... J'avais une sale tronche : œil au beurre noir, points de suture à l'arcade, c'était moche. Cela m'apprendrait à aller contre la volonté de mon guide... A croire qu'à chaque fois que je n'exécutais pas sa volonté ma malchance revenait au triple galop. Usant et humiliant...

Mon regard bas en disait long : je n'en menais pas large. Difficile de jouer les fiers quand on sortait d'une bagarre avec une tête aussi esquintée ! Surtout face à la clientèle du Divina bar...

Des regards curieux ou indifférents. Mais rarement intéressés plus de deux secondes. Ces personnes n'en avaient strictement rien à foutre. Pour le coup, cela m'arrangeait. Je m'en voulais bien assez d'avoir tenté de jouer les dures. Pourtant, cela ne m'empêcherait pas de réessayer plus tard. C'est ce qu'il y a de beau avec la bêtise humaine : on ignore jusqu'où elle peut être repoussée !

Je servais des cafés, thés et autres mélanges dont je ne souhaitais demander la composition à ceux qui les concoctaient. Certains breuvages donnaient l'air de véritables potions. Hydromel à élixirs divin menant à l'éternité ? Grignoter une des pommes d'or d'Idunn ne me donnerait pas la jeunesse éternelle à moi simple humaine. Je n'étais pas si crédule. À vrai dire, je n'aspirais pas à l'éternité. Peut-être un peu... l'idée d'avoir l'éternité pour parvenir à atteindre la postérité ! Mais je crois qu'arriverait un jour où je voudrais baisser les rideaux. Un brin pessimiste face à l'idée de mettre fin à ce qui a la chance de pouvoir être éternel...

Pensive, je ne fis pas attention à la cafetière penchée sur la tasse du client et le bord fut atteint bien plus vite que je ne le pensais, se renversant sur l'assiette et sur la table... "Oh merde ! Euh... pardon ! Désolée ! Excusez-moi, je vais nettoyer", atterris-je en sortant du support plein de serviette en papier. Vive l'écologie disent-ils... J'éponge et éponge en empirant la catastrophe car du café vient goutter sur les cuisses du client. "Mince, pardon... Je... je peux faire quelque chose pour vous dédommager ?" Demanda maladroitement la gueule cassée que j'étais.

Mon emploi du temps se résume assez bien: donjon, protestation dans la rue, vlog, alcool. Il est à noté qu'habitant avec Maverick, je ne paye aucun loyer. Un de mes principaux passe-temps est de trouver de nouveaux croyants pour Thanatos, ce qui est soi est une tâche tout de même corcée. Je me promène donc dans les endroits les moins éloquants de Philadephie, à la recherche d'âmes à la dérive, ou bien je vais prendre un verre aux endroits les plus propices. Au boût de quelques temps, j'ai fait une liste détaillée des endroits les plus fréquentés par la clientèle. C'est amusant de catégoriser ses moutons perdus.

Or, ce soir j'avais envie de faire différent. Mais bon, faire différent revient du pareil au même. J'ai choisi d'aller rauder au Divina Club, dont je suis peut-être un peu trop familière. Bien que mon donjon ne soit pas directement lié au bar, comme il se situe juste au-dessus et que je descends souvent discuter avec Mavercik, il m'arrie souvent de terminer mes soirées au bar. Je ne connais pas encore très bien les serveuses, ayant un léger problème de communication lorsqu'il s'agit d'intéragir platement. Je ne suis pas vraiment du genre, disons, small talk.
C'est donc avec cette idée en tête que je prends place. Il n'est pas très tard, alors je commande un café ordinaire. Je sais, le café c'est nocif pour la planète. Je sais également que la culture de café est corrompue et en général faite dans des conditions peu désirables. Or, si je m'arrêtais à tout instant à ce que je devrais pas consommer par bonne conscience, je pense que je serais devenue canibale au lieu de végane il y a dix ans de cela.

Je sors un petit calepin que je traîne généralement avec moi. Je glisse le crayon barrant le calepin et me met à faire une liste très peu excitante: je tente de comptabiliser nos gains depuis les dernières semaines. Cela ne fait que quelques temps que le donjon est ouvert, et je souhaite tenir un journal très détaillé des gains que nous faisons grâce à son existence. Après tout, cela avait été mon idée...

Tout à coup, je me fais bousculer. Je reçois un liquide brûlant sur ma main gauche, et quelques goûtes éclaboussent mon calepin. Par réflexe, je l'écarte avant même de lever le regard. Évidemment, je suis surprise. Mais mon attitude reste de marbre, n'ayant pas envie d'adopter une attitude quelconque.

"Oh merde ! Euh... pardon ! Désolée ! Excusez-moi, je vais nettoyer"

Sans penser, je réponds

"C'est mal de jurer quand on travaille...

Mon intonation n'est ni chaude ni froide. Elle est comme elle est. Je ne saurais me décrire moi-même, encore moins décrire mon intonation habituelle. Je suppose qu'elle est nonchalente et blasée. Dans la presse, la serveuse glisse le papier vers mes jambes. J'observe son mouvement, curieuse. Je laisse le liquide couler sur mes jambes, amusée.

"Aoooutch" Dis-je très lentement, et de manière accentuée.

Je n'en ai rien à faire du café sur mes pantalons noirs. J'ai une résistance à la douleur supérieure à la moyenne, sinon je ne serais pas sado-masochiste. Par contre, la réaction de la serveuse m'amuse particulièrement. Un demi-sourire s'entend sur mes lèvres.

"Mince, pardon... Je... je peux faire quelque chose pour vous dédommager ?"

" Ohh... J'espère sincèrement que tu ne dis pas cela à tous tes clients lorsque tu as un accident. Tu devrais penser à t'endurcir légèrement."

Je prends le temps, à la pénombre du bar, d'observer son visage. Je fronce les sourcils. Peut-être que ma phrase n'était pas appropriée considérant dans quel état se trouve son visage.

"Tu pourrais commencer par me dire ton prénom, car ce n'est clairement pas madame-au-blackeye. Moi, c'est Alycia..."

Tout en lui demandant cela, je me lève à mon tour. Je glisse ma main vers la sienne, à une distance inappropriée de son corps, et lui retire la lingette de papier délicatement. Elle sent bon; c'est fruité ou boisé? Je ne saurais le dire avec le mélange d'odeurs dans le bar. Je me recule immédiatement avec un rictus amusé collé sur mon visage, puis me mets à essuyer son dégât.