Jay était contrariée. Les derniers jours n’avaient pas été des plus agréables ni des plus calmes pour les affaires et la Disciple du Dieu Nordique de la Malice était pour ainsi dire d’une humeur plutôt exécrable.

La partie légale de ses affaires avec sa salle tournait plutôt bien, les mortels ne se rendant pas compte des tumultes qui habitait le monde des Dieux ou plutôt devait-elle dire : le monde perdu des Dieux car Sanctum n’était plus. Elle n’était pas allée là-bas depuis un moment mais Sanctum lui avait permis à une époque de se trouver loin des sombres histoires qui composaient son quotidien et donc de pouvoir se faire oublier le temps de quelques années.

Son Dieu n’était pas à ses côtés depuis que le café dans lequel il était allé, le Moon&Star Coffee avait été la cible d’une attaque de Dieux Celtes. Juliet le savait pertinemment, quand les Dieux commençaient à jouer et à régler leurs conflits sur Terre, les choses finissaient rarement bien pour les mortels et ceux qui côtoyaient les Divins.

Installée dans le sous-sol du Divina, Juliet vérifiait une fois de plus l’organisation des combats du soir. Elle voulait donner du spectacle et de la distraction à tous mais tout l’énergie qu’elle avait à revendre la tiraillait. Elle n’avait pas combattu depuis longtemps et avait besoin d’évacuer la frustration qui la tenaillait depuis que Loki s’était éclipsé. Elle avait besoin d’évacuer cette colère, de se fatiguer suffisamment pour pouvoir dormir et se reposer enfin. Les insomnies se répétaient, la fatigue s’accumulait et la blonde tatouée savait que si elle ne mettait pas des limites, son efficacité allait en pâtir. Laissant la feuille qu’elle tenait et le stylo sur la table, elle remonta avec son ordinateur portable vers la salle du Divina et s’installa à une table, regardant les quelques personnes présentes avant de se plonger sur un énième rapport qu’elle adressait à Loki.

Des informations brèves que seul lui comprendrait, des messages envoyés dans leur langage codé que seuls eux utilisaient et qui permettait d’éviter à des personnes non initiées de les comprendre. Même les NGA avec tout leur savoir et leurs connaissances en nouvelles technologies ne pourraient que difficilement comprendre ce qu’ils s’échangeaient et là était tout le but de ces échanges, préserver leur business.

Jay entendit une voix qu’elle connaissait, celle d’une serveuse du Divina, une mortelle qui pourtant en savait beaucoup sur les Divins. Il était difficile de lui cacher des choses, tant la Blonde passait son temps à enquêter et à surveiller ses alliés comme ses ennemis. Quelque chose l’intriguait avec cette Teresa et la Sicilienne se mit en tête de creuser un peu plus aujourd’hui, histoire d’occuper son esprit avec autre chose.

« Teresa. Peux-tu venir ? »

La requête n’en était pas une. Une formulation plus agréable qu’un claquement de doigts, n’était en rien une invitation mais bel et bien un ordre. Sourire amical sur le visage, Jay se sait plus charmante et surtout moins effrayante lorsqu’elle met les formes. Elle n’a en rien envie de traumatiser cette petite biche pour le moment. Pour le moment.

« Un verre de scotch, sans glace. Tu t’en serviras un aussi ou un verre de ce que tu veux, c’est moi qui offre. »

Elle n’avait nullement soif mais il était plus simple de parler autour d’un verre, mettre en confiance son interlocutrice était primordial si elle voulait que cette conversation soit productive.

Juliet avait pour habitude de connaître ses proches mais de se renseigner continuellement sur ses rivaux ou ses ennemis. Mark n’était pour autant pas un ennemi, mais elle conservait toujours une certaine méfiance à son égard. Elle ne pouvait agir en toute insouciance avec lui, d’une part car l’insouciance était une notion qui lui avait toujours été étrangère et dans un second temps, car elle se devait d’être toujours ses gardes. La Divinité que Mark servait n’était pas des plus pacifiques ni des plus douces. Les Aztèques de manière générale étaient de toute manière peu recommandable et même si pour l’instant, elle était en bons termes avec De Monroy, elle savait que cette fragile alliance pouvait très vite se briser et elle concentrait pour le moment ses efforts pour se préserver de toute difficulté.

Pour se renseigner d’avantage et trouver des faiblesses à exploiter, elle avait choisi ce jour-là de jeter son dévolu sur Teresa, la douce et innocente brebis qui travaillait au Divina. Simple humaine parmi les Dieux et Disciples, elle n’était pas à sa place ici, c’était un fait mais la Sicilienne voulait savoir pour quelle raison exactement elle avait été admise parmi eux, dans ce cercle si restreint. Elle n’allait pas servir de sacrifice dans les jours à venir, elle était trop éloignée des Divins qui arpentaient ces lieux si bien que la raison de sa présence ici échappait à Jay qui voulait comprendre.

La Brune s’installa avec son élégance naturelle face à la blonde qui la regarda faire en silence. Elle fit glisser le verre de la Disciple de Loki avant de s’adresser à elle comme à une amie, comme si tout était normal et que tout allait bien. Juliet ne répondrait pas dans les détails car même si elle doutait que Teresa puisse vraiment être un poids ou un obstacle pour elle et ses affaires, la prudence était de mise. Elles n’étaient de toute façon pas amies et jamais la Blonde ne confierait ses états d’âmes au premier venu. Personne à part éventuellement son Dieu ne savait ce qui se tramait véritablement dans sa tête et il en était mieux ainsi. Son esprit était un désordre sans nom, ses pensées étaient de plus en plus chaotiques et parfois même désorganisées quand on savait à quel point la Sicilienne était perturbée depuis que Loki était aux abonnés absents. Seule sa présence l’aidait à calmer ses insomnies et sa paranoïa et même si elle s’était résignée à reprendre des cachets pour limiter les effets de ses crises, elle ne pourrait rester des mois durant dans cette situation. Elle prenait son mal en patience mais devait avant tout trouver un autre moyen de s’apaiser l’esprit sans avoir pour autant besoin de se charger de cachets.

« Dure journée ? Beaucoup de combats en prévision pour ce soir ? »

Des questions plutôt banales pour lesquelles Juliet prit son temps avant de répondre prenant une gorgée de la boisson apportée, avant de plonger son regard dans celui de son invitée.

« Quelques combats oui, je pense que tu connais mon travail, je préfère le qualitatif au quantitatif. Il ne sert à rien de proposer des combats de piètre qualité, mieux vaut un beau combat dans les règles avec une mise à mort travaillée, plutôt que de sales combats. »

La qualité importait réellement pour la Disicple de Loki pour qui l’organisation de ces évènements tenait à cœur. Depuis qu’elle avait commencé à baigner dedans au Japon, elle ne s’était jamais détachée de ces manifestations et prenait plaisir à organiser les combats, à définir les combattants et à suivre les avancée et performances de ceux qui étaient digne de son intérêt.

« Tu t’intéresses aux combats ? Si tu veux je peux te trouver un adversaire à ta portée ? »

Mine impassible, la proposition semblait totalement sérieuse, même si Juliet n’imaginait absolument pas Teresa dans l’Arène, la douce Brune ne saisirait peut-être pas la plaisanterie qui dans le fond n’en était pas forcément une. Elle s’imaginait déjà observer les réactions afin de déceler la moindre trace d’inquiétude dans le regard de l’assemblée, cherchant à trouver la personne qui porterait un peu trop d’attention à cette blanche colombe. Mais Juliet savait aussi que cela ne se produirait pas de suite. Elle doutait fortement que Teresa prenne cette proposition au sérieux et elle se doutait que le cas échant, elle serait déclinée. Elle n’était pas de ceux qui s’exprimaient par le sang et la violence, elle ne faisait pas parti du même univers que la Sicilienne et que ceux qui fréquentaient le sous-sol du Divina Bar et la question restait intacte, que faisait-elle donc ici parmi eux ?

La Blonde s’ennuyait de ces banalités, elle cherchait à occuper son quotidien, à s’amuser au détriment d’autrui, à rendre chacune de ses journées différente et à utiliser à bon escient le temps qu’elle avait, à savoir des siècles devant elle si son Dieu le lui permettait. Converser avec Teresa lui donnait l’impression de parler avec une enfant. Cette femme qui semblait si pure et si innocente n’avait vraiment rien à faire ici et si Juliet avait éprouvé ce que l’on appelait de la compassion, elle l’aurait peut-être prise sous son aile, au lieu de jouer avec elle comme le ferait un chat avec sa proie.

La Disciple Nordique essayait de s’amuser avec la jolie Brune et ses réactions étaient telles que Jay les avait imaginées. D’une part, elle ne semblait rien connaître aux combats mais ne lui faisait pas l’affront de prétendre le contraire. La simple humaine par intelligence ou simple humilité ne prétendait pas être une femme qu’elle n’était pas, ce qui était la clé pour survivre dans le milieu dans lequel elle évoluait. Mentir à des Divins était une sottise sans nom et Juliet ne s’ennuyait jamais lorsqu’elle assistait aux châtiments infligés à ceux qui tentaient de leurrer les immortels.

« Pardon ? »

Ah, oui, il était évident qu’elle allait prendre aux sérieux les propos de la tatouée, mais jamais elle n’allait la mettre dans l’Arène et la faire descendre dans ce monde de sang et de sueur. Ce serait stupide et un gâchis sans nom, la place de Teresa était ici, à servir les clients et non en bas, à exercer l’une de ses activités.

« Je pense que pour moi, comme pour vous, il est plus prudent de me laisser faire le service. »

Elle ne réagit pas, la regardant en silence, attendant de voir si elle allait poursuivre sur sa lancée. Le silence était une arme très efficace pour faire parler les gens, plus ils étaient mal à l’aise et plus ils avaient tendance à parler.

« Je ne suis pas comme la majorité des gens ici. Enfin tout le monde le sait, je crois. Peut-être qu'un jour, oui. Mais visiblement, ce n'est pas pour tout de suite. »

Juliet haussa des épaules, avant de s’adosser à sa chaise. Elle n’était pas comme eux, c’était certain et non, ce n’était un secret pour personne, quant à savoir qu’elle Divinité pourrait vouloir d’elle, là était justement toute la question et tout l’intérêt de cette conversation, en savoir plus sur ce point obscur aux yeux de la Sicilienne.

« Comment vous est venue l'idée de ce genre de pratique ? Je veux dire, vous avez toujours eu envie d'organiser des combats ? »

Un petit rire sec pour réponse, une gorgée avant de regarder le plafond et d’articuler lentement, prenant le temps de répondre comme à son habitude.

« Ai-je l’air d’être une de ces enfants qui vit son rêve d’enfance ? Ai-je l’air d’être une de ses personnes qui se trouve portée par ses rêves et ses passions, ou ai-je tout simplement l’air d’être une adulte qui se fout de toutes ces inepties ? » termina-t-elle sur un ton toujours aussi doux malgré ses paroles qui devenaient de moins en moins agréables aux oreilles. Juliet n’était pas une enfant, elle n’était pas bercée par ses rêves, par des envies et ne vivait pas dans un monde utopique. Elle vivait sa vie avec les codes qu’elle connaissait, les cartes qui lui avaient été données et s’était hissée à cette position par son travail et par les preuves qu’elle avait faite. Le nom de son père n’avait que peu joué dans cette ascension, si ce n’était pour la sortir de cette vie encore plus misérable qu’elle avait commencée à mener auprès de sa mère. Le nom de Masseria avait été son billet vers la sortie mais tout le travail effectué pour parvenir à s’émanciper, elle ne le devait qu’à elle-même.

« Tu sais Teresa, organiser des combats est un passe-temps, comme tu peux passer ton temps libre à danser ou chanter par exemple. Mais nous sommes différentes, alors nous avons des occupations différentes, ce qui est plutôt logique en soit. »

Pour une étrangère aux cercles dans lesquels vivait Juliet, il était difficile compréhensible d’envisager les activités de Jay comme étant un passe-temps classique, mais pour elle, c’était aussi naturel que de prendre un thé avec une amie ou d’organiser une soirée. Elles vivaient des vies complètement différentes, elles n’étaient pas sur la même voie et ne le seraient très certainement jamais car elles étaient bien trop différentes.

« Je baigne dans ce monde depuis plusieurs décennies ma chère, c’est une seconde nature chez moi. Rassures-toi par ailleurs, je n’avais pas l’intention de te faire combattre, il faudrait éviter d’abîmer ton charmant minois. »

Le ton était charmeur et la Sicilienne semblait plus calme à présent, bien que ce ne soit qu’en apparence car au fond d’elle rugissait toujours cette tempête qui se faisait entendre depuis des jours trop nombreux pour être comptés.

« Et toi, tu as toujours voulu travailler ici ? Tu n’es pas trop … effrayée par ce qui t’entoure ? »

Comment pourrait-elle ne pas l’être ? Elle vivait dangereusement et ne semblait pas s’en rendre compte à moins qu’elle soit sous la protection d’une personne qui lui évite de venir ici la boule au ventre.

La jeune femme semblait passer par plusieurs états, Juliet prenait bien soin de les noter, réalisant que ses propos semblaient avoir de l’impact sur la douce Teresa. Elle y allait plutôt doucement pour qui la connaissait, elle ne prenait pour l’instant pas un malin plaisir à vouloir détruire ce petit ange, elle s’amusait juste avec elle en douceur, selon les normes de la Sicilienne bien entendu.

« Je ne vais pas mentir, je n'ai jamais eu comme objectif de vie de finir serveuse dans un bar. Même dans un endroit qui regroupe des dieux et leurs disciples.»

Quelle charmante petite ingrate. Kali, la déesse de la destruction lui offrait un emploi, un lieu où travailler, elle lui offrait l’opportunité de servir des êtres qui lui étaient en tout point supérieur et elle trouvait le moyen de redire sur ce cadeau Divin, mais passons. Ce n’était ni une des consœurs de Juliet, ni une proche de Loki, simplement une humaine qui ne semblait pas mesurer la beauté du cadeau qui lui était fait.

« On va dire que la vie ne m'a jamais fait de cadeau et que j'ai toujours espéré avoir beaucoup plus que ce que j'aurai pu prétendre avoir. »

Et elle en rajoutait une couche en plus, sans le savoir, admettant qu’elle ne se satisfaisait pas de ce qu’elle avait, qu’elle souhaitait plus. Bichette, au bout d’un moment, il faut cesser de souhaiter et il faut agir. Les Génies n’existent que dans les contes de Fée et la vie n’était pas un putain de conte de Fée, il était peut-être temps pour la Brune de l’apprendre et surtout de le comprendre.

« J'ai dû faire des choix, et celui de rejoindre le Divina m'a été proposé à un moment où j'en avais le plus besoin. »

Elle entend que ce n’était à ses yeux rien de plus qu’une opportunité. On aurait pu lui offrir un poste dans une banque qu’elle l’aurait accepté sans plus réfléchir, on lui aurait proposé de travailler dans n’importe quel endroit, elle aurait dit oui. Elle ne semblait pas réaliser qu’elle avait l’occasion d’être quelqu’un de différent du commun des mortels. Plus la conversation avançait et moins Juliet penchait sur son hypothèse qu’un Dieu souhaite de faire de cette jeune femme une Disciple. Elle était très certainement là pour faire joli, tout simplement. La Tatouée ne soupira pas, même intérieurement, elle en avait envie. Elle resta plutôt de marbre, écoutant attentivement les paroles de son interlocutrice, son regard plongé dans le sien. Sa grande spécialité d’ailleurs, fixer les gens pour les mettre mal à l’aise. Un petit plaisir qu’elle se refusait rarement.

« Pour ce qui est du monde des dieux, il m'intéresse et me fascine plus qu'il ne m'effraye. Et je pense avoir un ange gardien protecteur qui veille sur moi, dans l'ombre. »
La Blonde hausse un sourcil, intriguée par ses paroles. Etait-ce tout simplement de la naïveté ou une réalité ? Avait-elle réellement quelqu’un qui veillait sur elle ? Les Anges Gardien n’existaient pas, des Disciples ou des Divins avaient quant à eux de réels pouvoirs et pouvaient donc avoir les mêmes tâches et attributs que ces créatures imaginaires.

« Même si j'imagine que nous devons tous avoir un protecteur, dans ce bas monde. »

Bon sang, on touchait les bas-fonds de la naïveté. Juliet sourit, presque gentiment, comme pour atténuer la force de ses propos qu’une fois de plus elle ne prendrait pas la peine de minimiser. Elle n’était pas ainsi. Elle ne voyait aucune raison de ménager la Serveuse alors elle ne le ferait pas. Elle avait autre chose à faire que de perdre son temps dans des paroles inutiles.

« Un protecteur est là pour protéger ceux qui ne peuvent se débrouiller seuls et qui comptent sur quelqu’un pour les aider car ils ne sont pas en capacité de s’en sortir et d'être autonome. Mais ce n’est que mon avis. »

Elle termina à son tour son verre avant de regarder Teresa, son doux sourire toujours sur son visage.

« J’entends de ce que tu dis que tu n’es pas particulièrement heureuse ici, que c’est un travail comme un autre alors qu’est-ce qui te retient au Divina ? Pourquoi t’infliger cela alors que tu pourrais gagner plus et vivre en sécurité dans un endroit autre que celui ci ? Parce que franchement, tu pourrais mourir de milles et une façon, et la moitié de ces manières ne dureraient pas plus de trois secondes quand on connait les habitués et les personnes qui viennent ici. Même un Disciple pourrait te briser en deux dans un accès de colère ou simplement pour se distraire. Qu’est ce qui te retient donc entre ces murs, petit oiseau ? »

Elle avait parlé à demi-mots, pour ne pas qu’on les entende. Elle apprécierait des confessions, des informations plus intéressantes mais elle doutait de les avoir aujourd’hui. Elle savait que ce travail se faisait à l’usure et qu’elle finirait bien un jour par avoir une réponse, mais certainement pas aujourd’hui.

Elle sortit de sa poche une carte pour sa salle de sport qu’elle glissa sur la table.

« Si un jour l’envie te dit, d’apprendre à te débrouiller Seule, sans attendre l’aide d’un protecteur invisible, tu sais où me trouver. Je ne donne pas de cours, mais je pourrais peut-être faire une exception ou à défaut Carter le fera, si le cœur lui en dit. »

Allait-elle se décider, si oui ou non elle souhaitait prendre sa vie en main ou si elle voulait juste rester une princesse en détresse. Son choix serait plus que déterminant pour savoir si la Sicilienne allait toujours lui accorder de l’attention ou non.