Comme si j'avais besoin de ça

C’était un jour bien particulier, un jour où la jeune femme avait pris l’habitude de ne pas travailler, tout du moins pas officiellement. Sa journée posée, elle s’était levée de bon matin comme à son habitude et avait enchaîné sa routine : course à pied, quelques frappes dans un sac à la salle puis elle avait fait sa musculation sachant pertinemment qu’elle ne remettrait pas les pieds dans le gymnase avant le lendemain. Sa soirée était déjà programmée tout comme celles des six dernières années. Aujourd’hui était l’anniversaire du décès de son père. Sept ans auparavant, un homme, un membre des Ninos, avait braqué une épicerie dans le quartier où son père était en patrouille. De sang froid, il avait ouvert le feu sur l’agent en uniforme et l’avait privé de sa dernière famille, son dernier repère. Depuis ce jour, Hope avait pris l’habitude de sortir boire un verre seule dans le bar que son paternel chérissait le plus. Aussi sa soirée était déjà prise et il n’était pas question d’une sortie quelconque ou de voir des amis. Elle n’allait pas non plus enquêter sur l’un de ses nombreux dossiers d’affaires non résolues. Ce soir, elle allait sortir et boire quelques verres toute seule pour honorer la mémoire de Cole Edwards, mort en service depuis à présent sept ans. Elle ne pouvait le nier, son père lui manquait, tout comme sa mère d’ailleurs. Aussi c’était le genre de journée un peu maussade, qui l’isolait encore un peu plus du reste du monde à chaque fois. C’était le genre de journée qui arrivait quatre fois l’an, pour leur anniversaire et leur anniversaire de mort respectif à chacun.

Aussi passa-t-elle l’après-midi à ranger chez elle et faire un brin de ménage, n’ayant pas la tête à se pencher sur la moindre enquête. C’était le genre de journée où la jeune femme se mettait de la musique dans les oreilles et tentait de songer au moins de choses possible. Cela n’était évidemment clairement pas évident, encore moins avec les derniers événements. Apprendre que les dieux existaient ne l’avait pas laissé indemme. En même temps, comment pouvait-il en être autrement. C’est comme si demain on lui disait que le monde de la magie de J. K. Rowling existait réellement ou qu’elle allait devoir se méfier à la nuit tombée des vampires qui pourraient vouloir s’abreuver de son sang. Tout cela appartenait au monde imaginaire. Et jusqu’à il y a peu, les dieux, quels qu’ils soient, peu importe leur provenance, n’étaient que des mythes, des histoires contés depuis la nuit des temps. Il n’y avait rien de réels dans les mythologies. Seulement avec tout ce qu’il s’était passé l’autre soir à son chalet et puis la nuit où il l’avait sauvé et ramené dans son appartement, la brune n’était pas capable de se mettre des oeillères ou de se croire folle. Son esprit terre à terre ne pouvait aller à l’encontre de ce qu’elle avait vu de ses propres yeux.

Le soir venu, Hope enfila un jean slim noir et un débardeur bleu nuit, une paire de bottines à talons aiguilles et sa veste en cuir et se dirigea à pieds, comme chaque année, dans le même bar. C’était son rituel, elle prenait place dès son arrivée à une extrémité du bar pour se retrouver seule face à son verre. Le barman de service ce soir là travaillait en ces lieux depuis quelques années déjà. Aussi, malgré le fait qu’elle ne venait pas souvent, il la reconnaissait à présent et savait pertinemment ce qu’elle allait prendre et pourquoi elle venait ici. La brune lui adressa un sourire et un salut amical alors qu’il déposa devant elle un verre de rhum arrangé, du rhum au caramel beurre salé. Dégustant son liquide, son regard se porta sur l’assemblée jusqu’à ce que la porte d’entrée ne s’ouvre sur un visage qu’elle connaissait, à son plus grand regret. Emillien Morrel était un habitué du poste. Elle l’avait croisé quelques jours en arrière encore et en avait profité pour lui poser quelques questions. L’ivrogne qu’il était forcément passé par la cave et surtout le night club du Las Calaveras. Seulement cet idiot était tellement attaché aux petits traitements de faveur que son père avait pu lui faire lorsqu’il était encore de ce monde, qu’il ne semblait aimer que se moquer d’elle et de sa rigidité contrastante avec son géniteur. Reportant son attention sur son verre, elle espérait qu’il ne la voit pas. Portant son verre à ses lèvres, un homme assis deux sièges plus loin commença à lui adresser la parole. De toute évidence, le message qu’elle envoyait depuis son tabouret dans un coin seule face à son verre n’était pas clair pour tout le monde.

Désolée mais je ne requiers que la compagnie de mon verre ce soir.

Comme sij'avais besoin de ça

La soirée venait à peine de commencer et j’avais déjà bu un peu. Un ou deux verres de vin. Juste pour me mettre dans le bain et me rendre plus joyeux. J’étais simplement un poil pompette. La preuve était que je pouvais encore utiliser mes pouvoirs. Savoir si je pouvais ou non utiliser mes pouvoirs se montrait un bon indicateur de mon état d’ébriété. Malgré mon expérience avec l’alcool, ma limite était parfois floue.
Posant mon verre vide sur le sol, je me levai enfin de mon canapé où j’avais comaté la majeur partie de l'après-midi. Il était temps pour ma soirée de réellement commencer. Je m'étirai et me séparai de mon peignoir à regret. J’hésitai même un instant à sortir en pyjama. Mais avant que la flemme ne prenne complètement possession de moi, je réussis à enfiler des vêtements un peu plus correct. Cela dit j’étais presque certain que mon t-shirt était à l’envers, dans le sens ou les coutures étaient dehors, mais je n'avais pas assez de motivation pour vérifier. La seule raison pour laquelle j’avais réussi à me lever était pour me traîner dans un bar. Le bar que j’avais choisi pour aujourd'hui n’avait rien de spécial. Il y avait de l'alcool et c’était mon seul critère. Il était fort probable que je n’y finisse pas la soirée de toute manière. Par réelle envie ou parce que je me serai fait jeter dehors? Je verrai bien. Pour l’instant, tout était encore possible. "Bonsoir tout le monde!" Je saluais en ouvrant la porte. Personne ne m’offrit de réponse mais j’avais l’habitude. Je souris au barman, qui me connaissait évidemment. Tous les barmans de la ville me connaissaient. Je passais bien trop de temps dans les bars pour qu’on m’oublie si facilement. Mon comportement souvent excessif aidait leur mémoire, tout comme mes nombreuses consommations. En réalité, je devais facilement faire le tiers de leurs revenus. Plus ou moins. Je n'étais pas un expert en mathématiques. Et même, si jamais le barman ne me reconnaissait pas, cela n’allait pas m'empêcher d’agir comme si c’était le cas. Un des hommes déjà au bar interpella alors une jeune femme dans un coin et même moi je pouvais prévoir qu’il allait se faire rambarrer. Ce qui ne manqua pas. Cependant, cela attira mon attention sur la brunette. Sa tête me disait quelque chose. Ma mémoire n’était pas optimale, mais avec tout l’alcool que je buvais, je ne lui en tenais pas rigueur. Cependant j’avais à peine but donc je devrais facilement la replacer dans mon esprit si je réfléchissais un peu. Je caressais mon menton pensivement, faisant la moue. Et soudainement, ça me revint.

“Mon lieutenant de police préféré!” Je m’exclamai bruyamment. Je levai les deux bras pour lui faire coucou des deux mains, comme si elle était loin et que je devais compenser la distance par de grands gestes. La moitié des clients se tournèrent vers moi, majoritairement surpris par l’exclamation. En effet, la discrétion n’était pas mon domaine de prédilection. Pourquoi vous pensez que je me retrouve régulièrement au poste de police pour tapage nocturne? Les flics et moi, ont s’entendaient pas vraiment en général. Et je ne faisais pas souvent l'effort de retenir leur nom. Pourtant, je connaissais son nom à elle. Le lieutenant Edwards. En effet, j'ai vaguement connu son père. Un flic qui me laissait sortir du commissariat sans trop de casse. Pas comme celle ci qui refusait de me laisser partir gentillement alors que je ne faisais que des fautes mineurs. Elle était un peu trop... coincé. Ce qui la rendait amusante à taquiner bien sur. Spécialement lorsque je la comparai à son très cher père. Je m’assis à coté d’elle, me plaçant entre elle et l’homme qui avait tenté de l'aborder. En vérité, je me laissai tomber plus que je ne m’assis réellement. Le tabouret remarqua la différence, chancelant légèrement avant de se stabiliser.  Edwards avait cet air de “je veux rester seule pour ruminer mes pensées noire”, air confirmé par la façon dont elle venait de rejeter ce pauvre homme. Je me doutai qu’elle allât essayer de rejeter également. Mais peut être que le verre dans ses mains la rendrait plus sympathique? L’idée de voir ce lieutenant de police perdre un peu sa rigueur était amusante. La voir verser dans l’exces m’amuserait beaucoup. Je me demandai vaguement ce qu’elle faisait là. Je l'imaginai difficilement venir boire pour oublier une journée de travail difficile. De moins de vue, elle était bien trop coincée pour ça.

“Pas de meurtre aujourd'hui?” Cette fois, je murmurai avec une discrétion exagérée, cachant ma bouche avec ma main et jetant des coup d'œil de chaque côté. Ma formulation pourrait presque laisser un doute sur l’occupation de Hope. Est ce qu’elle résolvait des meurtres ou est ce qu’elle les commettait? Mes actions n'aidaient pas à éclaircir la situation. C’était mon but évidemment. Je le faisais sans raison autre que m’amuser. Pas certain qu’elle comprenne la blague cela dit. Je lui souris, montrant toutes mes dents. Et maintenant? La blague était plus claire? Lorsque le barman s’approcha de moi pour savoir ce que je voulais, je lui fis signe  de me donner la même chose qu’elle. Du rhum à ce que je pouvais voir. Malgré mon amour pour tous les boissons alcoolisée, seul le vin restait ma spécialité. J’étais curieux de savoir ce qu’un lieutenant de police préférait. En attendant mon verre, je posais ma tête sur mes mains croisée, regardant intensément le lieutenant Edwards. Si je la fixai avec suffisamment d'insistance, elle allait forcément répondre à ma question. Je battai même des cils. Irrésistible.

Comme si j'avais besoin de ça

Six ans déjà que la jeune femme était devenue orpheline. Contrairement à d’autres, elle avait eu la “chance” que cela arrive une fois adulte. Et si cette situation n’avait rien d’enviable, elle restait surtout amèrement coincée en travers de la gorge de Hope qui n’avait toujours pas vu justice être rendue. Celui qui l’avait rendu seule au monde, celui qui lui avait pris son père en tirant sur la gâchette sans réfléchir traînait toujours là dehors, libre. Cette pensée la rongeait chaque seconde de chaque minute de chaque heure de chacun de ses journées. Il n’y avait toujours pas eu justice dans cette histoire et les nuits très courtes que la lieutenante subissaient depuis tout ce temps ne semblaient pas prêtes de s’arrêter. D’apparence très calme, la brune n’en restait pas moins pensive à chaque heure du jour et de la nuit, que cela soit concernant son travail ou sa propre vie. Et si jamais rien ne débordait de son apparence frêle mais autoritaire habituellement, ce n’était pas la même chose pour l’anniversaire du deuil de son père. Se retrouver seule face à son verre était bien sa seule façon de supporter cette journée. Et si elle préférait être en tête à tête avec sa bouteille de rouge dans son canapé les autres jours, elle sortait toujours dans le bar fétiche de Cole pour ces quatre journées spéciales sur l’année. Quelque chose lui indiquait que ce soir elle allait regretter d’avoir poursuivi son rituel. La vision d’Emillien Morrel ne lui disait rien qui aille. L’entendre saluer la foule comme s’il était connu et allait être acclamé la fit soupirer brièvement. Mais très vite, elle fut détrompée, harponnée par un homme assis non loin d’elle. La gente masculine semblait incapable de ne pas réagir aux hormones qui les stimulaient. A croire que la première femme venue était un bout de viande fraîche jeté au milieu d’une fosse aux lions. La lieutenante déclina donc la proposition de son voisin de faire plus amples connaissances de manière relativement courtoise mais directive. Elle ne comptait pas se faire emmerder plus longtemps et cela servirait probablement d’avertissements pour n’importe lequel des autres hommes présents qui pourraient vouloir tenter sa chance. C’est à ce moment là qu’elle entendit à nouveau la voix de l’ivrogne s’élever.

Et merde … Il l’avait repéré et ne comptait pas la laisser boire son verre seule dans son coin, pour son plus grand malheur … Attrapant son rhum, la brune descendit l’entièreté de son verre d’un seul coup alors que le bougre franchit les derniers mètres qui les séparaient avant de prendre place sur le tabouret à côté du sien. La flic ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel en entendant l’homme s’affaler à côté d’elle avant de faire signe au barman de lui remettre la même chose. Évidemment, elle savait déjà que son nouveau voisin de bar n’allait pas la laisser siroter tranquillement son verre. Ca aurait été trop beau pour être vrai surtout venant de la part d’Emillien. Faisant signe au barman, ce dernier lui remit un nouveau verre du même breuvage. Habituellement plutôt accès sur le vin rouge, elle trinquait toujours au rhum arrangé au caramel beurre salé pour l’anniversaire de mort de son paternel. C’était l’une des choses qu’il préférait lui et cela ne déplaisait pas à Hope. Le verre fut déposé devant elle en même temps que la voix de son voisin l’interrogeait sur ses activités professionnelles. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire en somme ? Après qu’il est crié à travers le bar qu’elle était flic voilà qu’il tentait un sous-entendu grotesque ? L’écoutant alors s’adresser au barman, il lui demanda la même chose qu’elle ce qui ne manqua pas de la surprendre. A vrai dire, la jeune femme était surtout en train de se demander ce qui pouvait bien se tramer dans l’esprit vagabond de son copain de boisson de fortune. Elle savait déjà que rien ne le ferait partir d’ici. Ce n’était clairement pas le genre de la maison de la laisser tranquille. Or, venant tout juste d’arriver, elle ne pouvait pas s’arrêter et repartir ainsi. Le regard insistant et les battements de cils du beau brun eurent pour effet de lui faire lever les yeux au ciel finissant par lâcher une réponse dans une tentative désespérée de se débarrasser de lui, même si elle savait pertinemment qu’elle n’obtiendrait pas ce qu’elle voulait.

Comme n’importe qui qui travaille, cela nous arrive d’être en repos Mr Morrel.

Portant son verre à ses lèvres, le barman en déposa un identique devant Emillien. Sa façon intrusive de lui tenir compagnie n’était pas des plus agréables. Mais si elle commençait à lui rentrer dans le lard, la brune était persuadée qu’elle aurait le jeune homme sur le dos jusqu’à ce qu’elle quitte l’établissement. Aussi préféra-t-elle prendre son mal en patience sans pour autant l’inciter au dialogue. Elle ne s’imaginait absolument pas qu’il veuille s’imposer toute la soirée, surtout après l’avoir envoyé paître concernant le Las Calaveras alors qu’elle ne lui avait pas demandé grand chose. Évitant son regard, la lieutenante préféra garder ses yeux sur son verre afin d’espérer avoir à nouveau la paix en cette journée de deuil. Si Hope ne laissait pas grand chose transparaître dans son attitude au quotidien, cela se voyait clairement qu’elle recherchait la tranquillité. Mais c’était sans compter sur le fait que l’énergumène à côté d’elle s’en moquait royalement.