Tout est passé si vite qu’il ne se souvient même pas comment, ni pourquoi c’est arrivé. C’est, tout simplement arrivé. Les mains en sang, pas son sang non, une femme étendue sur l’asphalte humide de la rue. Il avait plu fort la veille. Et en allant au travail, Kendall avait entendu des cris et des bruits de lutte, puis un coup de feu. En arrivant, les agresseurs étaient en train de courir pour s’enfuir à l’opposé de la ruelle, laissant pour morte cette jeune femme qui s’était défendue pour ses affaires. Elle s’était prise une balle dans le ventre et était actuellement en train de se vider de son sang. Kendall arriva rapidement à son niveau, et la seule chose que la jeune femme ne put lâcher à travers ses lèvres ensanglantées n’étaient que des gazouillis incompréhensibles.

«Tenez bon !»

Il espérait qu’elle tienne bon le temps qu’il fasse le nécessaire pour stabiliser la blessure. Il retira sa veste et la serra autour de la plaie. Usant de sa médecine divine sans non plus le montrer pour faire remonter la balle et soigner les organes alentours mais de façon très légère. Le but n’étant pas de produire des miracles et de se faire remarquer par d’autres humains. En voyant l’homme au-dessus de la jeune femme, un des passant se mis à crier d’appeler les ambulances car il y avait un blessé. Courageux ceci-dit de faire le nécessaire, mais à ce rythme, les ambulances n’arriveraient jamais à temps. Kendall releva la tête vers le passant qui s’était tourné pour appeler à l’aide, et profita de ce moment de diversion pour disparaître avec le corps de la victime. L’instant d’après, une forte lumière ébloui toute la pièce d’accueil des urgences et les doubles portes s’ouvrirent à la volée. La forte lumière se dissipa pour laisser la lumière du jour entrer et, par la même occasion, le Docteur McLight qui entra en trombe dans la salle, faisant sursauter la secrétaire d’accueil et quelques patients venus pour de minimes urgences, une femme blessée dans les bras, sa chemise maculée de sang.

«Appelez un urgentiste immédiatement ! Et qu’on me fournisse un brancard au plus vite !» Ordonnais-je en me dirigeant directement vers le bloc.

J’avais parlé assez fort et d’un ton autoritaire pour presser les infirmiers et brancardiers qui commençaient à venir vers moi. Je m’arrêtais quand enfin un brancard arriva devant moi, je posais la jeune femme encore consciente qui me regardait avec de grands yeux de biches. Je relevais les yeux vers un homme de la quarantaine et le fixais subitement. Je reconnu sans mal son visage et son aura ce qui me fit frissonner légèrement. Comme si le temps s’était arrêté, je le fixais de mes azurs et de façon surprise. Puis je fronçais les sourcils et finis par reprendre mes esprits.

«Cette femme vient de se faire tirer dessus, la balle est restée à l’intérieure et a dû toucher une artère. Je vais avoir besoin de vous pour m’assister.»
─ »Mais docteur, vous n’êtes pas chirurgien ! Assura un des infirmiers avec nous tandis que le brancard roulait jusqu’au bloc.

Je regardais l’infirmier qui venait de parler et désignais le médecin urgentiste en face de moi.

«J’ai suffisamment de maîtrise pour ça, et ce jeune homme va m’assister !» Fis-je comprendre en m’éloignant pour aller me changer avant de rentrer dans le bloc et mettre ce qu'il faut pour garder la salle opératoire stérile.

En tenue officielle mise en un temps record, charlotte sur la tête, masque, gants, tunique et pantalon, je retournais au bloc et commençais par m’approcher de Diancecht, du moins son hôte, retirant ma veste que je lui avais mis en maintien pour éviter qu’elle ne perde trop de sang. Une veste de costume bonne à mettre à la poubelle. J’allais également devoir rendre des comptes à la police, et il ne me tardais pas d’y venir.

Sauvetage et chemins croisés

Il avait choisi ce métier après son internat majoritairement pour l’adrénaline, le frisson, et la sensation d’être utile immédiatement – même s’il avait un grand respect pour ses collègues généralistes et d’autres spécialités. Mais pour l’heure, il avait plutôt l’impression d’être au service bobologie de l’hôpital : les urgences étaient pleines à craquer, et majoritairement de gens qui auraient eu d’autres alternatives que celles-ci. Il comprenait bien qu’évaluer la gravité d’un problème n’était pas évident pour les gens, mais cette poussée soudaine de boutons, par exemple, aurait probablement pu attendre une visite chez le médecin de famille. Et bien qu’il ne montre pas son ennui à ses patients – il avait bien trop de respect pour eux pour faire cela – il n’en pensait pas moins.

Cependant, il ne souhaitait pas réellement qu’un patient avec quelque chose de grave arrive. Les journées tranquilles, presque un peu chiantes, qu’il avait, étaient aussi des journées où personne ne mourrait ou n’était sur le point de mourir ; c’était plutôt une bonne chose, au final. Alors quand il entendit son bipper faire le son des urgences, il grinça des dents, s’excusa en deux mots au patient, et se rua dans la salle d’attente. L’agitation était à son comble, des infirmiers et infirmières palliant le plus urgent ainsi que les patients qui paniquaient. D’une démarche rapide mais sans courir, Aaron s’approcha du brancard qui causait toute cette agitation, avant de rester, interpellé, devant l’homme qui se tenait devant lui. Enfin, l’homme, c’était un bien grand mot. Quelques secondes se passèrent où ils restèrent immobiles, sans rien dire, alors qu’autour d’eux la fureur du lieu continuait, avant que son interlocuteur, Lugh, ne brise le silence. Aaron acquiesça, et attrapa le brancard pendant que l’autre divinité n’aille préparer le bloc et se changer.

Il prit la main de la patiente, et lui fit un petit sourire rassurant. A son contact, la peur dans les yeux de la demoiselle sembla se calmer, comme si elle était un peu ailleurs.

- Tout va bien se passer, ne vous inquiétez pas. Vous avez vos papiers ? Non ? Elle répondit d’un bref mouvement de tête. Pas de souci, ce n’est pas grave. Et votre nom et votre date de naissance ?

Elle lui donna, et l’infirmière à ses côtés alla chercher si un dossier à ce nom existait ; par chance, c’était le cas, et ils purent récupérer toutes ses données, notamment son groupe sanguin et de potentielles allergies. Le bloc étant préparé, il y pénétra avec un infirmier et une préparatrice, et offrit un dernier sourire à la victime avant de laisser la main à l’anesthésiste.

- Allez mademoiselle, on va vous réparer, ne vous inquiétez pas.

Lugh revint, rentrant dans le bloc, et Aaron hocha la tête. Il était content de le revoir, mais le temps que l’intervention ne débute, il préférait garder toute concentration pour l’opération – même si avec deux dieux à ses côtés, elle ne risquait pas grand-chose. Quand la jeune femme fut dans les vapes, il commença à travailler, et se détendit. Il risqua même un sourire – bien qu’invisible sous son masque – et prit la parole.

- Je ne m’attendais pas à te trouver là…

L’anesthésiste faisait son travail pour endormir la blessée tandis que chacun s’attelait à préparer le nécessaire pour les soins et enlever la balle restée dans le ventre de cette jeune femme. Si un peu plus tôt son esprit s’était retrouvé confronté à celui de son grand père il gardait malgré tout une certaine excitation et une surprise qui s’était lue sur son visage quelques minutes auparavant. Lugh avait été bien plus proche de Diancecht que son grand-père maternel, Balor, qu’il avait tué de sang-froid.

Si j’avais su que tout le panthéon celte se trouvait dans l’hôpital, j’aurais peut-être tenté de trouver un autre métier plutôt que leur piquer la vedette, entre Dagda et Diancecht, j’étais relativement bien servi, sans parler des autres divinités à droite à gauche que j’ai pu croiser jusqu’à maintenant. Alors que je suis revenu dans le bloc pour m’occuper de notre patiente, je m’attelais à faire les choses convenablement, pas non plus à l’ancienne ni en utilisant une quelconque magie pour soigner. Ce sera à l’humaine, mais avec le plus et le détail de la divinité que je suis, sans que personne ne s’en aperçoive, ou presque. Alors que je m’attelais à l’extraction de la balle mon regard se releva brièvement sur l’urgentiste pour se reposer sur ce que je faisais.

«Moi non plus… A croire que je vais trouver toute la famille dans les parages.» Mon regard souriait, accompagné de mes lèvres étirées en un rictus camouflé par le masque. Comme s’il ne s’agissait que d’une basique opération de routine, ou d’une simple recette de cuisine à faire en duo, je commençais à taper la discussion avec mon grand-père. «Ça fait longtemps que tu es en ville ?» Extrayant la balle après quelques minutes à tenter de la récupérer, et après étude des parties molles de visu pour savoir si les intestins étaient atteints, je finissais par retirer d’éventuels éclats -sait-on jamais- pour ensuite me préoccuper de la désinfection, j’avais tendance à préférer la cautérisation, mais il semblerait qu’une suture soit de mise. «On aurait pu se revoir dans de bien pires situations que celle-ci… content de voir que tu te portes bien en tout cas.» Lançant un petit regard à l'attention de mon comparse et lui fit un petit clin d'oeil solennel.

Alors je m’appliquais comme si j’avais toujours fait ça. Et ce n’était pas faux en soit. Mes doigts, sous la lumière du spot dégageaient une très infime particule de lumière afin d’améliorer la guérison de cette jeune femme, une chose qui ne se voyait pas à l’œil humain et qui me permettait d’insuffler des soins pour éviter toute infection et une régénération plus efficiente. Je levais les yeux sur l’infirmière qui m’informa qu’on avait pu mettre la main sur son dossier médical et je m’en étonnais. Je haussais les sourcils.

«Vous avez réussi à avoir son nom ? Une bonne chose… Et on a son groupe sanguin dans les registres ?»

Apparemment oui. La convalescence va pouvoir lui être efficace. Cependant j’allais devoir retourner sur les lieux et apporter ma déposition à la police. De plus, ayant vu le visage d’un des agresseurs, il me serait aisé de pouvoir en faire un portrait. Enfin, pour l’instant, je m’assurais surtout de maintenir l’état de santé de notre chère victime avant de me lancer dans quoique ce soit d’autre. Il ne fallut pas longtemps pour que les infirmiers et l’anesthésiste s’assurent qu’elle soit désormais hors de danger pour pouvoir retourner dans les vestiaires et… constater que je n’avais absolument pas d’affaires de rechange. Je ne pouvais mettre aucun de mes vêtements puisqu’ils étaient tous tâchés de sang. Et vu comment ça s’était bien imbibé, j’allais devoir me prendre même une douche.

En entendant la porte derrière moi, je tournais la tête pour regarder par-dessus mon épaule tandis que je retirais mon masque et ma charlotte ainsi que mes gants.

Sauvetage et chemins croisés

Aaron gloussa : il devait bien avouer qu’il s’était trouvé assez étonné de croiser dans son quotidien tant de divinités. La proximité avec le portail pour Sanctum n’y était pas pour rien – à l’instar de la propension de ses habitants de choisir des carrières socialement reconnues – mais tout de même, c’était plutôt cocasse.
Les doigts de Diancecht filaient avec une précision qui lui était habituelle, mais qui avait toujours le don d’impressionner ceux avec qui il travaillait au quotidien, qu’ils soient collègues médecins ou personnel paramédical. Il acquiesça à la question de Lugh, et jeta un coup d’œil à ses autres collègues – pour qui la réponse à cette question risquait d’être quelque peu surprenante ; ceux-ci ne semblaient pas être particulièrement attentifs à la conversation, même s’ils semblaient assez médusés de la facilité avec laquelle les deux médecins papotaient pendant leur travail.

- Cinq ans à peu près. Enfin, quand il n’était qu’Aaron, cela faisait déjà plusieurs années qu’il avait été là, mais ça n’était pas le sens de sa question. Il gloussa à la remarque de son collègue. Moi de même… Tu bosses pour la police, c’est ça ? Parce que si c’est le cas, effectivement, vu ce que je vois parfois passer, ça aurait pu être pire…

Un petit sourire en coin, toujours bien caché par son masque, quand il entraperçu le bonus que Lugh laissait à leur patiente : en voilà une qui serait sur pieds en deux temps trois mouvements. D’un air faussement enthousiaste, Diancecht répondit, à propos du dossier de la patiente :

- Oui, elle a eu quelques moments de lucidité juste avant son anesthésie, ça tombait plutôt bien, n’est-ce pas ?

Ils terminèrent l’opération rapidement et efficacement. Laissant les infirmières prendre le relai, et les préparateurs pour remettre en ordre le bloc, Aaron sortit en les remerciant, et emboîta le pas de son petit-fils – heureusement son incarnation à lui semblait plus jeune que la sienne, même si pas de beaucoup – et entra lui aussi dans les vestiaires, se débarrassant des équipements à usage unique sur le chemin.

- Tout va bien ? Qu’est-ce qu’il s’est passé au fait ?

Il mourrait d’envie de lui poser des questions personnelles sur ce qu’il devenait, mais ce n’était peut-être pas le meilleur lieu pour cela. Constatant cependant l’état de ses vêtements – et son état général en fait – l’urgentiste grimaça et eut un sourire compatissant :

- J’ai des fringues de rechange dans mon casier si tu veux… Enfin, je crois que j’ai un tshirt un peu trop grand pour moi, dans lequel tu devrais pouvoir entrer, avisa-t-il en jaugeant le gabarit de Lugh et ses dix centimètres de plus. Et euh… Les douches sont là, si tu veux, pointa-t-il en direction d’une porte métalisée.

A voir la consternation des aides soignant et infirmiers autour des deux divinités qui tapaient tranquillement la discussion durant l’opération, il était évident que ça ne perturbait absolument pas Lugh et Diancecht. Attentif à l’un comme à la patiente entre leurs mains.

«Quand je ne m’occupe pas des analyses ou des patients en chambre oui, je donne un coup de main à la police.»

Ca ne faisait pas longtemps non plus qu’il était dans les parages et qu’il pouvait participer à aider la police dans certaines de leurs enquêtes, mais quand il le fallait, il était très enthousiaste à cette idée. Il ne disait jamais non même sur son temps de travail, et puis en général le reste du personnel était au courant, ils reprenaient le travail ou les analyses quand Kendall était sur une affaire, vu l’urgence et les cours délais demandés pour une enquête, il fallait qu’il soit efficace sur un court laps de temps. Mais là encore, même là, il ne laissait que très rarement du travail à ses comparses et avait tendance à faire les choses en temps et en heure. Au moins, les choses actuelles avaient le don de lui changer son quotidien et de lui permettre autre chose de mouvementé. La raison pour laquelle il avait voulu être consultant restait encore vague, même pour lui, c’était probablement une façon de vouloir du changement soudain en pleine journée.

«En effet, c’est une aubaine.»

Et je devais remercier Diancecht pour cela. Laissant la patiente aux mains du reste des comparses pour son réveil et surtout la suite de ses soins ou la prise en charge, informer la famille de son état et sa présence ici, bref, le côté administratif de la chose en gros. Je me retrouvais à ne pas avoir de vêtements de rechange alors que toutes mes affaires étaient clairement dans un sale état. En me tournant vers Diancecht, je pinçais les lèvres par contrariété et lui montrais l’état sanguinolant de mes affaires.

«Je suis juste bon à jeter mes affaires sauf que je n’ai aucun vêtement de rechange.»

Et je ricanais un peu en reposant les fringues sur le banc du vestiaire. Zieutant mon comparse et grand père tout en retirant mon haut, je me tournais pour regarder la porte qu’il m’indiquait pour les douches et esquissais un sourire.

«Je crois bien en avoir besoin, en effet.» Vu comment mon torse était rouge, en effet, ça ne serait pas de refus. «Je n’en n’ai pas pour longtemps, mais je ne suis pas contre un T-shirt si tu en as un trop grand. Merci en tout cas…»

En effet, vu mon gabarit, ce n’était pas simple de partager les mêmes vêtements qu’un autre collègue. Mais promis, je le lui rendrai une fois ma journée terminée. J’allais toutefois me promener avec un pantalon d’infirmier blanc le reste de la journée jusqu’à rentrer chez moi. Glam avec mes chaussures en cuir cirées tâchées de sang que je vais devoir nettoyer. Je fis signe que j’allais me doucher, récupérant une serviette dans une armoire à disposition et entrant dans le local des douches pour calmement retirer tout ce sang. Après m’être suffisamment lavé, je sortais avec une simple serviette autour de la taille. En vrai, j’avais très envie de rentrer chez moi pour me changer en utilisant la vitesse lumière mais bon… Je vais éviter. Je récupérais mes affaires pour m’habiller calmement. Je ne savais pas si Papy était resté pour m’attendre je commençais à me rhabiller. Avec mon boxer et au moins un pantalon immaculé blanc.

Sauvetage et chemins croisés

Aaron haussa les épaules : ça n’était pas grand-chose, et en plus il n’était même pas sûr que le haut lui aille – au pire il irait voir du côté de ses collègues, ayant un ou deux brancardiers et infirmiers qui étaient également des armoires à glace. C’était d’ailleurs bien pratique, parce que pour des procédures de contention, être une crevette comme lui, ça n’était pas toujours très efficace. Et même si son pouvoir était souvent utile si c’était la peur qui motivait les actes du patient, il s’agissait plus de colère souvent – auquel cas il était juste bon pour se prendre une torgnole s’il s’approchait trop. Et dieu ou pas, ça faisait quand même fichtrement mal.

D’ailleurs, en pensant patients… En soupirant, le médecin revint en salle d’attente. Il jeta un coup d’œil à tous ces sièges occupés, à toutes ces larmes, à toute cette patience… Un léger sifflement involontaire s’échappa de ses lèvres, et il retourna dans les vestiaires. Plus tard ; il avait bien mérité une petite pause pour l’heure. Fouillant dans son casier, il en ressortit une barre de céréales, et s’assit sur le banc central de la pièce, dans une position à l’opposé de toute classe. Jambes écartées, fesses à deux centimètres du bord… On sentait comme une sorte de légère lassitude.
Deux utilisations de son pouvoir, même légères, avaient le don de le rendre ko. Il fallait qu’il travaille ça. Non, il fallait qu’il se trouve des croyants, se corrigea-t-il. Mis à part quelques « illuminés » paganistes et deux-trois métalleux nostalgiques, il n’y avait pas grand monde pour croire en lui – encore moins pour le vénérer. Et il était hors de question qu’il joue aux manipulateurs comme beaucoup de ses camarades. Il ne savait pas du tout comme s’y prendre, surtout quand il se surprenait à parler, quand quelque chose n’allait pas, à un autre dieu que lui même. Un comble quand même ! Nerveux, il tritura son pendentif (en or), et sursauta en entendant la porte des douches s’ouvrir. Il se redressa, se racla la gorge, et alla chercher le tshirt dans son casier. Il était noir, avec un logo de la nasa à l’avant.

- Tiens, essaie ça ! proposa-t-il à Lugh avec un sourire. Alors, toi, ça fait longtemps que tu es là ? Ce me fait plaisir de te voir en tout cas ! Ca faisait un peu trop longtemps à mon goût.

D’ailleurs, c’était « amusant » de voir que depuis tout ce temps, il avait toujours la même tête. Bien évidemment, ses vêtements, sa coupe de cheveux, ses manières, avaient évolués avec son époque, mais en dehors de ça, il était facilement reconnaissable. Diancecht lui ces derniers millénaires avait sauté d’incarnations en incarnations, n’arrivant guère à les garder plus de quelques siècles, voire même décennies. Non pas qu’il n’était pas précautionneux, mais plutôt qu’il avait tendance à se mettre dans des situations quelques peu dangereuses. Et comme il n’avait pas beaucoup de disciples, se réincarner lui prenait un peu plus de temps qu’à d’autres divinités.

La jeune femme désormais sauve et entre les mains du personnel médical, Kendall pouvait retourner au travail à commencer par signaler à la police la situation pour cette dame qui s’était faite agressée, ses papiers probablement volés avec son sac à main et son argent. Pour l’heure, ls avaient déjà un nom et un prénom, ce qui avait permis aux infirmiers de trouver un dossier médical la concernant et un numéro à appeler pour prévenir la famille de son état. En attendant, il était parti prendre une douche qui lui faisait le plus grand bien. Après quoi, il sorti de la salle d’eau pour remette un vêtement propre et un pantalon d’infirmier à sa taille dans un casier fait pour les emprunts et il se dirigea vers Diancecht et attrapa le T-shirt qu’il lui tendait.

«Merci…»

Enfilant le T-shirt qui était pile poil à la taille du géant, il constata l’état dépareillé dans lequel il était et sourit de manière amusée. Non, c’était certain qu’il n’allait pas vraiment faire le beau dans un accoutrement pareil, mais au moins ça dépannerait la journée. Une fois le haut lissé sur ses muscles, le brun coula son regard vers son grand-père qui se réjouissait de le revoir et surtout du temps qu’ils avaient mis à se revoir. En effet, cela faisait bien des siècles qu’ils ne s’étaient pas vus. Et pourtant, Lugh tentait toujours de garder contact avec ses pairs malgré son côté solitaire.

«Ho, cela ne fait pas si longtemps que je suis en ville, je dirais une bonne semaine ou deux déjà. Mais cela fait effectivement bien longtemps qu’on ne s’est pas vus. Et je constate que tu as encore fait des folies de ton corps.»

Vu qu’il avait encore changé d’apparence. Contrairement à moi qui faisais très attention à mon corps depuis tant d’années, et pourtant ce n’était pas les risques que je prenais qui m’auraient été inévitables. Plus je reste loin des conflits et des dieux, mieux je me porte. Même si autrefois j’étais réputé comme l’un des meilleurs combattants et guerriers, je n’ai, bien entendu rien perdu de tout mes arts puisque même en ermite et solitaire j’ai tendance à me renforcer et améliorer mes techniques, mais ça ne vaut pas un adversaire à ma mesure qui puisse me permettre de réellement user de tous mes talents pour le vaincre. Si pour d'autres divinités je ne pouvais pas reconnaître leur corps de réincarnation, j'avais quelques avantages pour mon panthéon, et notamment pour ressentir un de mes proches avec qui j'avais souvent traîné autrefois. Ce genre de sensation ne s'oublie pas. J’arborais un tendre sourire à mon grand père et de manière taquine je venais effectuer une petite tape amicale sur son épaule, gardant ma main sur celle-ci.

«Toujours à aimer prendre des risques pour aider les autres, pas vrai ? Que dirais-tu d’aller manger et boire dans un endroit sympa après la journée qui nous attend ? Si tu as besoin d’aide pour libérer un peu la salle d’attente des urgences n’hésite pas à me dire. Je serais ravi de te donner un coup de main. Surtout que bon, c’est vite fait les petits bobos. Entre deux analyses je peux largement venir t’aider.»

Le plus long serait d’expliquer aux patients, mais également de faire des examens complémentaires dans le besoin. Je sais que nous pourrions les renvoyer aux collègues de l’hôpital après une étude des blessures en question sans que ça ne presse pour le reste. Et tant mieux si ça n’était pas des cas mortels.

«Entre ton ancienne réincarnation et celle-ci combien de décennies se sont écoulées ? Tu devrais quand même te ménager et tenter de te renforcer.»

Bien oui, forcément que je m’inquiète pour mon grand-père. Surtout que plus il se réincarne, plus il s’affaibli, et les croyances celtes se font rares, surtout pour certains d’entre nous. Si de mon côté j’arrive à garder la forme, c’est parce que par mon art en dehors de l’hôpital je réussis à trouver des croyants. Et même si cette croyance s’étend sur tous les dieux de mon panthéon, beaucoup ne croient qu’aux dieux qui ont le plus d’influence ou de renommée.

Sauvetage et chemins croisés

Aaron eut un sourire amusé. « Pas si longtemps », quand on parlait de divinités immortelles, ça avait toujours un sens très changeant. Si lui-même était un habitué des sauts temporels, il savait qu’il n’en était pas de même chez ses petits camarades. Et, de facto, qu’il soit dans le coin depuis moins de dix ans était déjà considéré comme « pas si longtemps ». Lugh aurait quant à lui bien pu être arrivé il y a deux secondes, sur des millénaires, ça n’était qu’un battement de paupière au final.
Il haussa les épaules, et fit un léger rictus : « Définit folies ? » Il essayait d’être soigneux, mais son penchant pour l’héroïsme suicidaire lui jouait bien des tours. Et ça, Lugh le savait fort bien, car il mit exactement le doigt dessus. Et à sa façon de le dire, il aurait été difficile de déterminer qui était l’aîné dans l’histoire. Diancecht prit un faux air coupable, et hocha la tête lentement avant de répondre plus sérieusement : « Je devrais être un peu plus tranquille ici, tout de même… » Le risque majeur étant les patients mécontents, il avait de la marge.

« Ne t’inquiète pas, je me débrouille. Et je ne voudrais quand même pas habituer les patients à trop de vitesse, gloussa-t-il. Mais je suis partant pour un repas ! J’ai quelques adresses dans le coin, mais si c’est pour tomber sur de la famille de patients ou pire, des collègues, je te propose d’aller plus loin. Le médecin réfléchit, et compta sur ses doigts en grimaçant. Je dirais trois ? C’était pendant la guerre du golfe, si je me souviens bien. Pas du côté des Etats-Unis par contre. Ça n’a pas duré longtemps, tu peux t’en douter. »

Il était ici depuis plus longtemps déjà qu’il n’avait été dans son incarnation précédente. Aussi, en tant que médecin, il se foutait du camp dans lequel il était. La piétaille n’était pas responsable des choix des dirigeants, et il avait l’intime conviction qu’il n’y avait que des victimes. Bien évidemment, il était plutôt objecteur de conscience, mais si les hommes – et les femmes – tenaient tant que ça à se jeter dans la bagarre, il ne pouvait rien faire d’autre qu’essayer de les sauver si le besoin s’en faisait sentir.

« Je fais de mon mieux… Mais bon, ici je risque moins, c’est déjà ça. Et je suppose qu’il y a bien un ou deux internes qui me mettent suffisamment sur un piédestal pour me faire avoir un rythme de croisière ! »

Il gloussa, mais la vérité était que tout cela l’inquiétait. Il lui semblait parfois être si loin des préoccupations des autres divinités ! Il appréciait son statut, ses connaissances, et les pouvoirs que cela lui conférait dorénavant. Mais il se rendait compte qu’il voyait tout cela comme un moyen plutôt qu’une fin. Il soupira, et se gratta l’arrière du crâne dans un geste de malaise.

« Enfin, peu importe. Mon shift se termine dans une heure, j’y retourne et je te rejoins ?

Folies… En l’occurrence faire des folies de son corps voulait dire bien des choses, mais dans le contexte de divinité à divinité, il n’en n’était sujet que de réincarnation et autres petits atouts qu’ils pouvaient se permettre selon leurs pouvoirs. Toujours est-il que Lugh avait buté un moment pour reconnaître la faible aura de son grand père dans ce corps qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de croiser jusqu’à maintenant. Et si Diancecht n’avait pas lancé la conversation à ce sujet, il aurait eu le doute jusqu’à lui poser directement la question quant à savoir s’il était bel et bien celui auquel il pensait. Alors tandis qu’il enfilait son haut, le dieu de la lumière s’approcha de son comparse avec un sourire doux et sincère.

«Tu as toujours aimé prendre des risques au point de te retrouver dans de beaux draps.»

C’est ce côté héroïque et suicidaire qui lui faisait tant défaut et qui m’inquiétait réellement. Parce qu’à l’heure actuelle il serait risqué pour mon grand père de se retrouver une fois de plus mort et de devoir probablement disparaître car on ne croirait plus assez en lui. Et ça, je ne voulais pas que ça arrive. D’où ma proposition qu’il déclina.

«On n’est pas à l’abri d’un fou dangereux, même dans un hôpital. Mais oui, tu as moins de risque qu’en étant dans l’armée ou dans la police.»

Je n’écartais aucune possibilité, c’est la raison pour laquelle je suis resté vivant si longtemps dans le même corps. Et ce n’était pas tant le fait que Diancecht s’occupe de son corps avec un certaine avidité, c’était que nous n’avions pas la même façon de donner notre corps pour sauver des vies. Même s’il m’arrivait de sauter dans le tas pour tenter d’aider une personne, j’avais surtout tendance à peser le pour et le contre mais surtout à analyser les moindres détails et la situation pour me permettre de prendre ou non des risques. Sans dire bien entendu que Diancecht ne faisait pas de la sorte. Mais avoir un pouvoir qui nous permet d’échapper à certaines situations n’est pas négligeable dans nos conditions. D’un hochement de tête j’acceptais volontiers, écoutant sa réponse à mes questions. Je m’occupais de tirer sur mon T-Shirt pour lisser un peu ce dernier.

«Avec plaisir pour le restaurant, ça ne me dérange pas d’aller plus loin, dans un quartier plus sympa.» Un petit sourire contrit, je me penchais légèrement en fronçant les sourcils. «Si bien entendu, tu me laisses rentrer chez moi pour aller me changer.» Parce que je ne comptais certainement pas sortir avec lui dans cette tenue, surtout pas pour un repas de retrouvailles.

Je m’éloignais un peu de lui, pliant mes affaires mortes, de toute évidence, j’allais devoir les rattraper d’une manière ou d’une autre. Cela faisait tout de même assez longtemps que je ne l’avais pas revu. Puis entre ça et le temps de trouver le bon réceptacle, ce n’était vraiment pas évident.

«En effet, ça n’a pas dû être long du peu que j’en ai entendu parler. Mais qui sait, on aurait pu se croiser si j’avais daigné me battre pour une cause ou une autre.»

Or, j’étais très loin des attentes des hommes et leur combat me semblait vain, inutile et sans réel honneur à obtenir. Une bonne manière de tout simplement jouer la chair à canon pour servir de juste cause à l’état pour lequel on sert et donne sa vie. Enfin, s’il y a bien une chose que mon éternité a pu m’apprendre, c’est que les conflits ont toujours été pour tout et n’importe quoi, que ce soit entre divinités ou entre humains, alors un mélange des deux…

«Au moins tu es chouchouté. Ça ne fait pas de mal…» Je hochais la tête. Il allait falloir me trouver une excuse auprès de la secrétaire pour m’éclipser quelques temps. Mais je pense avoir le prétexte tout trouvé, en fait, ça ne sera pas qu’un prétexte puisque je dois de toute façon m’y rendre.

«Bien sûr, ça nous permettra une pause, et pour moi de faire le nécessaire et de lancer une enquête, moyennant quelques heures après ça pour me rendre au commissariat après m’être assuré de la déposition de cette jeune femme qui a bien failli y rester.»

Je bombais un peu le torse en posant ma main contre mon poitrail en lâchant un bref soupir.

«quoiqu’il en soit, on se retrouve dans une heure. Je serais au labo.»

Un large sourire et je tendais la main vers mon grand père pour le saluer et lui offrir une embrassade amicale. N’hésitant pas à lui lâcher dans le même temps quelques mots montrant l’enthousiasme et le plaisir de le revoir. «Je me réjouis de te revoir après tout ce temps. A tout à l’heure…» Et je m’écartais pour le laisser vaquer à ses occupations tandis que de mon côté j’en faisais de même et m’occupant de la patiente à son réveil pour prendre sa déposition et lui proposer d’aller au commissariat pour déposer sa plainte. Etant consultant, les choses seront un peu plus rapides et aisées qu’en général en n’étant qu’un simple civil. Et une fois l'heure passée, il ne me restait plus qu'à attendre tout en terminant de ranger mon labo, préparer mes paperasses pour le commissariat, et prévenir mes collègues et la secrétaire de mon absence pour la journée.

Sauvetage et chemins croisés

Diancecht trouvait l’intérêt que lui portait Lugh vraiment adorable – et il eut un sourire attendri en entendant la réponse de celui-ci – mais aussi légèrement inquiétant. Il espérait ne pas trop susciter de misérabilisme, que ce soit chez Lugh ou chez d’autres dieux. D’ailleurs, c’était à se demander qui étant le grand-père et qui était le petit-fils dans cette histoire. Etait-il si mal en point ? Il n’avait peut-être plus autant de puissance que par le passé, et pas autant que ses co-divinités actuellement, mais il se sentait au final plutôt bien. Mais cela était peut-être dû à sa part humaine bien plus importante chez lui que chez d’autres dieux ou déesses. Il n’allait pas se mettre à agir en dehors de sa personnalité ou de ses convictions pour essayer de changer ce « problème » : il avait sûrement plus urgent à faire. Comme aller au restaurant avec son petit-fils et rattraper le temps perdu. Chacun ses priorités !

Laissant de bonne grâce ce dernier aller se changer et régler ses soucis administratifs (c’était une plaie que lui-même, avec honte, reléguait régulièrement à ses collègues ou aux internes), Diancecht retourna en salle des urgences. Une heure, avec toute cette agitation, serait vite passée. Quelques fractures, saignements et irritations de peau plus tard, il se débarrassait de sa blouse, sautait dans une douche et retrouvait Lugh au laboratoire, habillé d’un jean et d’une chemise rose pâle toute simple. Son menton au bras, il pénétra dans les lieux en toquant à la porte, grand sourire aux lèvres.

- Alors, tu as une idée de ce que tu veux manger ? Asiatique, italien, indien, autre chose ? Je ne suis pas difficile. J’ai quelques bonnes adresses dans le quartier d’à côté, mais si tu as un resto en tête, pas de souci.

A leur époque, il trouvait toujours de quoi se nourrir sans viande, c’était quand même bien pratique. Il aimait ce luxe de pouvoir manger ce qu’il voulait, et pas ce qui tombait dans son assiette, ou qu’il parvenait à grappiller de ci de là, comme ça avait pu être le cas dans le passé.

- Alors, pas trop de soucis de paperasses ou que sais-je ?

Après des tas de paperasses, d’appels et de demandes qui furent plus longues et fastidieuses qu’inespérées, Lugh réussi toutefois à se débarrasser comme il put de tout ce qu’il avait dû faire. Refilant un peu de travaille à la secrétaire qui se limait les ongles en regardant les patients dans le blanc des yeux. Reléguant également les prises de sangs aux infirmiers, il aurait, de toute façon le temps plus tard de terminer ses analyses et de faire les choses en temps et en heures. Terminant de ranger ses documents pour la police, il se tourna quand l’on frappa à la porte et qu’il incita à entrer. Diancecht dévoilé il esquissa un sourire et récupéra sa pochette puis son sac d’affaires sales pour se lever et lui faire face.

«Je viens tout juste de terminer le gros du travail. Il ne manque plus qu’à passer chez moi pour me changer, au commissariat ensuite pour déposer le dossier et nous pourrons aller manger. Et, je n’ai pas de préférence, je mange vraiment de tout. Comme je ne connais pas trop le coin, je te laisse choisir…»

Chose pour laquelle il n’allait pas mettre trois plombes histoire de profiter de son grand père. Sa présence lui avait donné un certain boost et une profonde excitation. Lui qui avait pour habitude d’être hyperactif ou d’avoir la bougeotte, il arrivait difficilement à se contenir, et ça se voyait à son allure.

«Allez, on y va !» Je sortais en passant devant Diancecht puis devant le bureau de la secrétaire pour lui souhaiter une bonne journée et un bon courage.

Une fois hors du labo, je filais, sans réellement attendre mon grand père en filant dans les couloirs. Peut-être devrais-je l’attendre et éviter de filer comme une fusée. Je m’arrêtais, me retournais et le regardais en attendant qu’il arrive à mon niveau.

«Désolé, je suis tellement excité que je ne tiens plus en place.» Mais je me contiens. Du moins j’essaye.

finalement, Lugh emmena Diancecht jusqu’à chez lui, heureusement, ce n’était pas très loin de l’hôpital, à quelques rues plus loin. L’invitant à entrer dans son appartement assez grand mais tout à fait raisonnable, décoré sobrement à l’écossaise, il lui demanda quelques instants le temps d’enfiler de nouveaux vêtements, optant pour un jean bleu clair délavé, une chemise canari et une veste en cuir brun clair avec des boots de la même couleur que le cuir pour revenir dans son salon éclairé par une grande fenêtre qui laisser filtrer pleinement les rayons du soleil. Tout l’appartement était disposé côté soleil, ce qui faisait qu’il était éclairé toute la journée. Lugh récupéra son dossier, invita son grand père à sortir pour faire un tour au commissariat, faire deux trois salutations aux collègues et filer pour le restaurant choisi par Diancecht. Une fois arrivé et installé, Kendall pris place en face de son grand père et le regardait avec un sourire franc. Un regard d’enfant qui pétillait à l’idée d’entendre un peu ce qu’il devenait de beau.

«Alors ! Raconte-moi tout… Depuis combien de temps tu es revenu ? Ça fait tellement longtemps qu’on ne s’est pas croisé que j’ai envie de savoir ce que tu as fait durant ces dernières décennies.»

Pétillant d'enthousiasme et de joie de passer du temps avec lui, j'espérais pouvoir passer un bon petit moment avec lui et discuter de tout et de rien. Même si mes questions pouvaient être déplacées. J'espérais ne pas trop le brusquer, il avait l'habitude que je sois franc avec lui comme avec les autres de toute manière. Ma jambe gauche tremblotait d'impatience dans un rythme frénétique, appuyée sur la point du pied, j'avais à peine pris la carte pour la regarder que j'étais excité comme jamais.

Sauvetage et chemins croisés

Diancecht acquiesça, tout sourire. L’enthousiasme de Lugh était communicatif, le médecin ne s’était pas senti aussi motivé depuis bien longtemps déjà. C’en était presque drôle, car il était obligé d’allonger le pas pour suivre le rythme de son petit-fils dans les couloirs ; ce dernier dû même s’arrêter un instant à cause de ça, et s’excusa. Diancecht haussa les épaules et évacua le problème d’un léger signe de la main : ça n’était pas très grave. Il faillit faire une blague sur le fait que les aînés n’avaient plus autant la forme que les petits jeunes, mais au vu de la situation, ça n’avait pas beaucoup de sens...
Une fois au restaurant – un indien avec une carte assez réduite mais vraiment excellente – il répondit aux questions brûlantes de Lugh.

- Ici, ça va faire quoi… 5 ans ? A peu près. Le temps passe si vite, j’ai l’impression que c’était hier… Enfin, ça ressemble probablement encore plus à hier pour quelqu’un qui a plusieurs millénaires derrière lui. Il lança un clin d’œil à son petit-fils, et continua en changeant de ton, lâchant une grimace amère : Avant ça, pas grand-chose. J’ai fait un passage éclair au début des années 90, mais sinon rien…

Il se gratta l’arrière du crâne, mal à l’aise – il connaissait les sentiments et les jugements de la plupart des divinités sur ces sauts corporels, alors venant de quelqu’un d’aussi proche de lui… Il avait conscience de tous les reproches qu’on pouvait lui faire.
Quant à ce qu’ils avaient fait ces dernières années… Il repensa à ses débuts dans ce « nouveau monde », maladroits et douloureux. A ces tourbillons sombres, les hésitations et les déchirements entre ses différents souvenirs, ses différentes pensées. L’étoile à six branches, dont l’or froid se faisait hérisser ses poils entre ses clavicules. Son autre famille, à des kilomètres de là, dont il n’avait plus de nouvelles depuis qu’il avait emménagé avec Yann. Yann…

- Du coup-là c’est un peu la routine, je me suis posé, je croise des « collègues »,reprit-il avec un sourire masquant sa nostalgie. Je ne vais pas trop à Sanctum, je crois que j’ai pas mal de différents avec pas mal d’autres personnes là-bas. Pas de conflit ouvert, bien entendu, mais je les trouve un peu… Conservateurs. Il rosit légèrement, et inclina la tête pour continuer : Et toi alors !? Raconte-moi !

Prenant le thé glacé qu’il avait commandé, il sirota, curieux de voir où en était son petit-fils.

Le sourire du plus jeune se profila sur son visage, suite aux propos de son grand père. Un tendre regard à son attention. En effet, cinq ans, pour lui c’était presque cinq minutes. Il appuya sa tête contre ses mains accoudées à la table et détailla avec attention les traits de son grand père dans ce nouveau corps. Chose avait été de constater que malgré le fait qu’il change relativement d’apparence, il n’avait pas été difficile de reconnaître son grand père. La force de l’habitude ? Ou peut-être cette hésitation et cette fixation chez le plus vieux lorsqu’ils s’étaient retrouvés face à face. Et maintenant, l’enthousiasme et la bonne humeur se lisait sur le visage de Lugh qui retrouvait un proche. Un proche pour qui il avait toujours autant de respect.

«Hier, j’aurais dit y’a cinq minutes… C’est vrai que le temps passe vite.» Quand on est éternel. Que sont cinq années quand on peut en passer des milliers sur cette terre ?

Tellement éclair que Lugh n’avait même pas eut l’occasion de voir sa nouvelle apparence et, peut-être l’aider cette fois-ci. Mais, ça n’avait malheureusement pas été possible. Alors autant rattraper le temps quand on le pouvait. Et il comptait bien le faire. Kendall n’avait absolument pas changé d’apparence depuis sa décision d’arpenter la terre des hommes dans l’enveloppe du descendant des McLugh. Il arborait fièrement cette enveloppe et la soignait précautionneusement. Pourtant, il avait connu des mauvaises passes et des moments difficiles où il aurait pu se retrouver dans de fâcheuses conditions. Indubitablement, c’était souvent parce qu’il était prudent et qu’il était rapide et agile qu’il arrivait à toujours se sortir de mauvaises passes. Ça avait le don d’être utile quand on était plus rapide que les balles elles-mêmes. Pourtant, si Lugh avait tendance à être très conservateur, il n’avait pas à faire la morale à son grand-père bien malgré sa faiblesse. Ses pouvoirs n’avaient plus cette gloire d’entant, et tous les deux étaient arrivés à un stade critique. Même le petit fils n’avait plus autant de pouvoirs. Pourtant, il tentait comme il pouvait de faire en sorte d’avoir encore des gens qui croient aux divinités celtes. Et Lugh avait beau être inquiet, il ne pouvait en tenir rigueur à Diancecht.


«Parfois il y a du bon de se laisser aller dans une certaine forme de routine. Aujourd’hui, il y a des risques qu’il vaut mieux éviter de prendre sans s’y être préparé et avoir analysé toutes les situations pour s’en sortir.»

Même pour moi, je préférais éviter certains événements tant que je n’ais pas mis tous mes as dans mes manches. Histoire d’au moins avoir quelques coups en réserve si jamais il devait m’arriver quelque chose. Quant à Sanctum, moins je m’y rends, mieux c’est pour tout le monde. Je lâchais un petit ricanement aux propos de mon grand-père, pas de moquerie, non, je rejoignais suffisamment ses réflexions sur les différents avec certains divins. Je me redressais un peu, lissant ma serviette devant moi. Quand le serveur arriva pour prendre commande, je prenais quelque chose de salé, accompagné d’une pinte de bière et pour patienter, j’avais choisi un apéritif pour accompagner Diancecht. Lorsque le serveur revint avec la commande, je prenais mon verre entre les mains et remuais le fond du cocktail tout en fixant mon grand père.


«En même temps je te rejoins sur le fait qu’il vaut mieux rester à l’écart de certaines personnes là-bas. Moins je m’y rends, plus je pourrais me préoccuper de mes affaires et ma famille, et non celles des autres. C’est normal qu’ils soient conservateurs, il se sentent acculé par les changements de la société. Ils ont peur de disparaître donc tentent de garder le cap. Comme nous tous finalement.»

Buvant une gorgée de mon apéritif, tout en observant Diancecht et l’écoutant calmement. La question qu’il me retourna me fit hausser les sourcils. Que raconter quand il y a à la fois tellement de choses et rien. Je penchais la tête sur le côté et reposais mon verre calmement.

«Ho, tu sais, il y a à la fois tellement de choses que je pourrais te raconter. De mon côté je tente de faire perdurer notre famille, je joue dans un groupe de musique celte, et accessoirement je suis consultant pour la police entre deux analyses à l’hôpital. Ça me permet de ne pas trop m’ennuyer dans une certaine forme de routine. Tu sais comme j’ai du mal à tenir en place. J’ai posé mes bagages ici pour l’instant, à voir comment les choses vont évoluer par la suite. Mais pour l'instant, je me plais bien à faire tout ça, je rencontre pas mal de monde.»

Je reprenais mon apéritif et en buvait une nouvelle gorgée. Relevant calmement les yeux sur mon grand père.

«Je pourrais t'inviter à un de nos petits concerts. La plupart du temps on fait la tournée des pubs ou des bars, quelques fois on fait des salles de concert, mais l'ambiance des bars est plus familiale et c'est plus convivial, moins de prise de tête ou de stresse que des concerts.»