Fucked up

Retour de mission. L’avion l’a ramené de Floride, où Mark a éliminé une jolie couguar pour le compte de son richissime mari. Souvent, l’homme de main ne reçoit aucun indice sur les motivations de ses commanditaires. Cette fois, il a eu droit à la totale : madame s’envoyait en l’air avec un jeune artiste chargé de refaire son intérieur ; une sextape de 2h32, diablement énergique et ponctuée de cris d’orgasme, était jointe au contrat avec une série de clichés, le plan de la villa de luxe, ainsi qu’un horaire détaillé des activités du lieu. Le mari proche de la soixantaine était manifestement remonté – jaloux des performances de la jeunesse ? La minutie de sa revanche faisait cependant froid dans le dos. Quoi qu’il en soit, si Casanova s’était limité à la décoration de la spacieuse demeure au lieu de ramoner l’intérieur de son employeuse, cet abruti aurait sauvé sa peau.

Mark l’a buté un mois plus tôt.

C’était la première partie du contrat, qui laissait le temps à madame de pleurer la perte de son amant jusqu’à remplir la piscine (dimensions olympiques) de ses larmes. Elle a chialé de plus belle lorsque Mark lui a présenté une photo du visage méconnaissable de l’artiste, boursouflé par les coups de poing américain. La scène de l’effroi fut filmée. La caméra tournait encore tandis que Mark infligeait à la couguar le même traitement qu’à son étalon.

La vidéo fut transférée sur un serveur temporaire. Le lien envoyé au mari, ainsi qu’à Cortés. Éprouve-t-il le besoin de contrôler la besogne de son premier disciple ? Ou se délecte-t-il de vidéos sordides comme d’autres sont accros aux vidéos de chats sur internet ?

Fais chier.

Cela fait une demi-heure que Mark picole au bar de l’Hôtel-Casino. Chaque gorgée le rapproche de l’oubli, alors que les cris stridents de l’ancienne top model, remarquablement bien conservée grâce aux miracles de la médecine, résonnent encore à l’intérieur de son crâne. Le soldat a toujours trouvé étrange, et profondément injuste, qu’une femme séduisante soit plus difficile à tuer. Comme si la beauté bénéficiait d’une prime innée à la survie.
Pourtant il y a des cibles plus difficiles encore : les gosses. La prime de l’innocence est la plus lourde de toutes.

— Un autre whisky, commande-t-il au barman d’une voix éraillée.

L’homme de main se masse les tempes pour en extraire les mines souriantes d’Astrid et de la petite Alyssa. Elles étaient belles, et il les avaient assassinées d’une balle à l’arrière du crâne. Il les aimait, et avait jeté leurs cadavres dans un foutu incinérateur industriel. Philadelphie a respiré leurs cendres, sans le savoir.

Mark s’empare fébrilement du verre que lui sert le barman et le porte à ses lèvres. Combien lui en faudra-t-il pour trouver le sommeil ? Combien d’autres pour une nuit sans cauchemars ?

Fucked up

À la périphérie de son champ de vision, une gonzesse s’installe afin de lui pourrir la soirée un peu plus. Mark ne l’a pas véritablement regardée. Sa tête a repiqué dans l’ambre de son verre aux premiers reflets blonds de sa chevelure.

La même teinte qu’Astrid et sa fille Alyssa.

La même que la couguar. Autant d’esprits vengeurs qui semblent résolus à hanter leur assassin après la mort. Un mauvais karma avec les blondes ? Même Kali, la déesse hindoue qui pourrait le renseigner sur ces conneries spirituelles de causalité du destin, porte sur le crâne ces magnifiques fils d’or qui font chavirer les cœurs romantiques – et dresser la queue des soldats.

Whisky sec ?
Elle y va fort, Blondie. Ou alors, elle aussi cherche un remède contre l’insomnie sans recourir aux cachetons. Un traitement contre les flots de pensées acides. Comme disait son pote Marcus, avant qu’un éclat de mortier lui arrache la moitié de la gueule : « le bar, c’est une pharmacie sans ordonnance ».

Sa nouvelle partenaire de désespoir essaie d’engager la conversation après le deuxième verre. Elle a dû rater la mise en garde « ne pas faire chier un type qui boit seul, fixe son verre comme la Sainte Croix et dissimule un calibre .45 sous sa veste » dans le manuel de survie du citoyen américain. Néanmoins, Blondie confirme l’intuition du soldat.

Mark répond un « ouais » inarticulé qui s’assimile davantage à un grognement. Puis se racle la gorge, manquant de recracher l’alcool qui lui chauffe les boyaux.
La voix de cette femme sonne du velours, l’expression suave d’une féminité qui lui donne des fourmillements dans le bas-ventre.

Bordel.

Mark est accoutumé aux envies subites de sexe qui accompagnent l’adrénaline des combats. Ces pulsions que tous les soldats connaissent, et que certains d’entre eux assouvissent en prenant de force le premier cul baisable qui apparaît dans leur fenêtre de tir. Étrange que cette envie lui torde les entrailles maintenant, alors que son organisme a eu le temps d’évacuer l’excès d’hormones depuis l’exécution du contrat. Un contrat qui lui donne plus envie de gerber que de baiser.

Merde.

Voilà qu’elle retire sa veste, libérant des effluves que les narines de Mark captent avec délice. Cette nana produit plus de phéromones qu’une meute de chiennes en chaleur. Incapable de résister à l’appel, Mark tourne le visage dans sa direction.

Putain.

Le sourire de Blondie est plus éclatant qu’un lever de soleil au sommet du Kilimandjaro. Et Mark sait de quoi il parle : il a gravi la montagne jusqu’aux derniers mètres, avec pour guide le dieu des trois volcans sacrés. Des volcans éteints depuis des siècles, tandis que du feu liquide remonte le long de ses veines et que sa peau est saisie de picotements.

Cette nana ferait bander un cadavre enterré depuis la bataille de Little Bighorn.

Les lèvres de Mark s’étirent sans lui demander son avis. Son regard croise celui de la femme qu’il envoyait au diable deux minutes plus tôt. À l’avant de son pantalon, popol se la joue Pinochio venant de proférer un vilain mensonge.
Il commande le même whiskey sec que l’inconnue, lui propose de trinquer ensemble pour atténuer les pensées moroses qui les ont conduits au bar de l’Hôtel-Casino à une heure tardive.

— Aux rencontres surprenantes qui redonnent le sourire, lance-t-il en faisant tinter son verre contre celui de Blondie. Mauvaise journée ? Ou juste mauvaise nuit ?

Il avale le contenu de son verre d’une traite, ragaillardi. Cette femme le fascine, et pas seulement le corps dont son regard cherche à deviner les courbes sous un chemisier qui n’a pourtant rien d’affriolant.

— Au fait, moi c’est Mark, ajoute-t-il en appelant le barman d’un claquement de doigts.

Et j’ai encore sur les mains l’odeur d’un scalp de blonde, qui aurait pu être le tien si Huitzi me l’avait ordonné. Toujours envie de faire connaissance, Miss Univers ?

Fucked up

Après un siècle à nager dans la violence, à briser des vies et amputer des familles sur quatre continents, la vie apparaît à Mark comme une course effrénée vers l’obscurité silencieuse d’un tombeau. Que cette blonde se plaigne d’un rendez-vous manqué avec le parfait prototype du gland en costard, et il lui crachera des vacheries acides qu’elle ne soupçonne même pas. La vie, une grosse conasse ?

— Je vous l’fais pas dire.

Elle lui retourne la question sur sa journée, et curieusement Mark décèle plus que de la politesse dans le ton de sa voix. Une voix naturellement doucereuse, différente des putes racolant sur les trottoirs –ou aux bars des hôtels, pour les plus audacieuses.

J’ai à ce point une gueule de déterré ?

Mark catalogue Blondie dans les professions sociales, ou de santé. Ouais, c’est ça. Son visage a l’expression de ces infirmières à l’empathie exacerbée, qui prennent dans leurs bras chaque petit animal brisé qui croise leur route.

Tu peux rien pour moi, cocotte.

Si Mark picole à l’Hôtel-Casino, c’est pour chercher la paix qu’on ne trouve pas au Divina. Avoir la possibilité de se relâcher un peu, sans qu’une divinité ou une disciple lui plante une sonde psychique au derrière. Pas de bol, Blondie insiste et fait mouche.

— Parfois, c’est aussi une question d’homme, rétorque-t-il avec un regard appuyé sur les lèvres sensuelles, qu’il s’imagine réduire au silence en y enfournant sa langue.

Des lèvres au coin desquelles un pouce ramasse un filet de liquide épais avant de le sucer goulument.

Température interne : +2°C. Comme la fois où une fichue piqûre de serpent avait enflammé son corps sur une île indonésienne. Blondie ne peut imaginer qu’un dieu du soleil et des massacres soit à l’origine des maux qui l’accablent, mais ne risque pas de se tromper sur l’explosion de désir qu’elle génère en lui. Mille images licencieuses flottent devant ses yeux, à la manière des teasers qui défilent en boucle sur les bouquets adultes des chaînes câblées. Mark est contraint de réajuster l’avant de son pantalon devenu franchement inconfortable.
Il se racle la gorge, expire un bon coup afin d’évacuer un peu de pression, puis plonge le regard dans celui de la bombe qui porte à ébullition ses organes masculins.

— Au moins, il nous reste le whisky pour nous réchauffer, pas vrai ? Mais ça remplacera jamais un contact humain.

Mark vide son verre, guettant la réaction de Blondie du coin de l’œil. Celle-ci déboutonne lascivement le haut de son chemisier. Minaude comme une chatte en chaleur.

Température interne : +2°C. Au niveau d’une fièvre tropicale. Une petite voix émerge des brumes alcoolisées de son crâne pour lui lancer un avertissement.

Cette femme est trop bandante pour être une femme.

Une illusion comme Jay sait les faire ? La disciple d’un ennemi de Cortés ? Grâce au pouvoir octroyé par son dieu, Mark conserve assez de lucidité pour s’affranchir d’un piège aussi grotesque. Une indic aurait sorti le grand jeu, avec une tenue bien plus sexy qu’un jean-chemisier. Une assassin aurait aussitôt alerté son instinct – entre donneurs de mort, on se reconnaît au premier coup d’œil.
Parfois, les séductrices sont de simples femmes ordinaires qui éprouvent une furieuse envie de baiser.

Et moi donc.

Mark se tourne franchement vers Blondie, avance un bras le long du comptoir. Ses doigts s’allongent, appellent un contact. Une entente qui se scellera dans un lieu plus intime.

Au fond, l’audace de Blondie s’explique. En plus d’un physique épargné par l’usure de l’âge, Mark porte en lui un éclat d’essence divine qui fascine les humains ordinaires. En particulier les femmes empathiques, plus réceptives que les autres.

Si le sex-appeal de Blondie l’induit en erreur, si elle s’avise de lui jouer un mauvais tour, il suffira de lui briser sa nuque de putasse. Simple et efficace.

Le disciple de Huitzi se fend d’un sourire enjôleur, dévoilant ses canines de prédateur aux mille victimes.

— La clim’ de ma chambre est réglée à un niveau plus raisonnable, si ça peut vous éviter de choper une pneumonie dans une baignoire remplie de glaçons. (Il hoche la tête sur le côté.) Il doit aussi me rester un fond de Jack Daniel’s. Sans doute pas assez pour trouver le sommeil, mais je suis sûr qu’on trouvera le moyen de s’occuper.

Fucked up

La blonde ne se contente pas de jouer l’allumeuse, ses lèvres sont véritablement en feu. Mark le sent dans leur baiser. Impromptu. Avide. Brûlant. Chargé de promesses indécentes.

Moi aussi, je suis chargé.

Et prêt à tirer. La grande salle clairsemée de clients nocturnes le dissuade de la prendre sur le comptoir. Verdandi n’apprécierait pas. Ou elle apprécierait, qui sait ? La patronne de l’Hôtel-Casino se dérobe à toute analyse rationnelle. Ce que sait Mark avec certitude, c’est que la Norne bosse parfois avec BlackSun et qu’il faut éviter de cracher sur ses pieds.

Direction l’ascenseur. Son bras entoure la silhouette svelte, entreprenante. Mark la sent volontaire, énergique. Frémissante d’un désir demandant à être satisfait. Exigeant d’être satisfait.

Il jette négligemment un gros billet sur le comptoir. Son dernier contrat a rapporté gros. Le barman s’en empare avec un geste de gratitude ; sa main libre astique invariablement le vernis lisse comme un miroir. Leurs regards se croisent brièvement ; Mark s’étonne de n’y lire aucune envie ou jalousie.

Ce mec est miro, ou il est gay ?

Mark a les yeux en face des trous et aime les femmes depuis ses premières crises d’acné. L’ascenseur se trouve à quelques pas, assez pour que le déhanchement lascif de Blondie déclenche en lui une nouvelle poussée hormonale. Sa main glisse à l’arrière du jean, pince les fesses de rêve qu’il sent rouler sous ses doigts.

Sans la toile, ça va être terrible.

Malgré son jeune âge, cette femme sait ce qu’elle fait et elle sait ce qu’elle veut. La définition même du bon coup.

Un couple de sexagénaires bien fringués arrive par la droite. Point d’intersection : la cage d’ascenseur libre. Mark désigne du pouce la porte close d’à côté, où le panneau de commande indique que l’ascenseur monte au neuvième étage.

— À votre place, je prendrais celui-ci. Ma copine a chopé un truc et j’ai une fièvre de taureau depuis tout à l’heure.

Le genre de fièvre que t’attrapes en avalant une boîte de viagra, papy.

Peu importe l’âge, les gens réagissent toujours de la même manière devant la menace invisible d’un microbe ou d’un virus : geste de recul, crispation du visage, regard affolé comme si devant eux apparaissait un panneau portant l’inscription en lettres rouges : ATTENTION DANGER. MINES ANTIPERSONNELLES.

Mark fait entrer la responsable de sa fièvre – là-dessus, il n’a pas menti – dans la cage vide. Le revers de sa main traverse son front avec un air de olala tandis qu’il presse le bouton du treizième étage. L’étage du mauvais sort et des malheurs. L’étage où Mark se sent le mieux.
Le sourire du connard fier de son sale coup ourle ses lèvres tandis que la porte se ferme devant le regard déboussolé du vieux couple. Au milieu de son front, son majeur s’est déplié au milieu des autres doigts recourbés.

— On a 22 secondes de grimpette, annonce-t-il en se tournant vers sa partenaire. T’as pas le vertige, j’espère ?

Sans attendre la réponse, il plaque Blondie contre une paroi. Écrase ses lèvres contre la bouche au goût sucré. Au goût de toutes les saveurs qui ont jamais émoustillé ses papilles sur cette foutue planète, et qui se déploient sur la langue qu’il enroule avec une envie irrépressible.

— Bien sûr que non. T’es pas le genre de femme à craindre les hauteurs.

Mark le lit sur son visage pétulant, magistral comme le rêve d’un sculpteur. Dans les iris en feu de son regard provocateur. À travers la chaleur de ses joues rougies de passion, d’une douceur sidérante sous ses pouces rugueux.

Même Astrid ne m’a jamais regardé de cette façon.

Étrange, de ressentir plus d’amour de la part d’une inconnue que d’une femme choyée et dorlotée pendant des mois.
Les bras de Blondie glissent autour de sa nuque. Leurs nez se frôlent, se frottent. Leurs bouches s’entredévorent dans mille bruits de succion. Les jambes que soulève Mark s’enroulent autour de ses hanches.

Juste à temps pour le décollage, bébé.

Le ding de l’ascenseur retentit. Les amants s’échappent de leur cage tels des fauves recouvrant la liberté.

— Merde, grogne Mark en essayant de glisser une main à l’intérieur de sa veste, prise entre leurs poitrines collées l’une contre l’autre.

J’ai de la mousse au chocolat sur le visage ou quoi ?

Blondie lui bouffe littéralement le visage. Ponctue ses halètements érotiques de baisers qui l’empêchent de se concentrer.
Les doigts agiles et disciplinés de Mark parviennent il ne sait comment à récupérer la carte magnétique entre ses longs doigts. D’un geste vif, il insère le passe et pousse la porte avec empressement.

— Bienvenue dans mon palace, princesse.

La lumière artificielle éclaire une vaste pièce, au confort intermédiaire entre la chambre simple et la suite de luxe. Mobilier moderne, classe, sans élégance excessive. Fausses boiseries. Une porte indigo menant à la salle d’eau. Seule excentricité des lieux : un grand lit à baldaquin qui permet d’occulter les fantômes venant hanter Mark durant la nuit.
Sur une commode, une bouteille estampillée Jack Daniel’s repose à côté d’un verre à whisky.

Il dépose la furie devant le panneau de commande, refrène l’envie urgente d’arracher leurs pantalons et règle la climatisation à un… non, deux crans inférieurs en prévision de la moiteur tropicale à venir.

— Mets-toi à l’aise, je te rejoins dans deux secondes.

Et ça va rudement secouer.

Fucked up

L’excitation fait remonter des décharges électriques depuis son entrejambe jusqu’aux neurones. Coup de foudre puissance mille. Niveau zéro du romantisme. Les pulsions écrasantes de la chair oblitèrent l’esprit de Mark, mais aucune force naturelle ou surnaturelle ne saurait taire l’instinct de survie et de meurtre imprimé dans son ADN. Une fois la blonde passée derrière lui, Mark active le système de sécurité que les brillants techniciens de BlackSun ont installé dans sa chambre d’hôtel. Verrouillage renforcé des portes et fenêtres. Capteurs à chaque ouverture. Pointeur laser ajusté à un détecteur d’intrusion. Alarme stridulante. Épandage de glace carbonique en cas d’attaque.

Ma chambre n’est un palace, poupée, c’est un putain de fort.

Ses sens en alerte captent derrière lui le froissement des vêtements, distinguent le reflet d’une silhouette féminine sur la surface en verre renforcé du panneau de commande. Le renflement à l’avant de son pantalon gonfle d’anticipation. Sans se retourner, Mark ôte sa veste et l’accroche à la patère proche de l’entrée. Il en retire son flingue de service, qui échoue dans un coffre à combinaison avec d’autres attestations de sa vie officielle.
Pour les saignées officieuses, d’autres outils de mort sont à sa disposition.

Des pas légers traversent la pièce, pareils à des pétales de fleurs se posant avec délicatesse sur le sol. Un subtil parfum de rose vient à sa rencontre, l’enveloppe. L’exaltation de Mark franchit un palier supplémentaire. Son dernier contrat lui est sorti de la tête, et il ne s’est pas senti aussi bien depuis des semaines.

Ses godasses valdinguent. Mark, enfin, fait volte-face.
Ses mains se figent sur le col de son long t-shirt noir. Pétrifié, sa respiration se bloque devant la beauté incomparable qui s’expose devant lui. Des lignes parfaites ; une peau au teint légèrement mielleux, lisse et sans défaut. Les seins ronds et fermes appellent ses mains avides, leurs mamelons roses semblent vouloir accueillir sa bouche gourmande.
Les lèvres de Mark s’étirent dans un sourire libidineux.

— Heureusement que j’ai pas demandé à ce que tu te mettes à l’aise sur le comptoir du bar, on aurait déclenché une émeute.

Et Mark aurait été de la partie. Chaque fibre de ses muscles se tend en direction de la créature de rêve qui le fixe de son regard brûlant de désir.

Attends de voir la marchandise, ma jolie, tu seras pas déçue du voyage.

Le t-shirt de Mark vole jusqu’à la chaise où reposent les vêtements d’Odette, les recouvrant de son ombre noire. Sa haute stature domine la pièce tandis qu’il avance vers la femme parfaitement à l’aise dans sa nudité. Comme la plupart des femmes, elle dévore des yeux sa musculature d’athlète, forgée dans la transpiration d’entraînements intenses.

— Attention à ne pas attraper froid, j’ai encore baissé la clim’…

Odette avale une gorgée de whisky. Mark saisit le deuxième verre et fait machinalement tournoyer le liquide entre des doigts. Une chaleur incendiaire afflue contre ses tempes avec la puissance d’un typhon.

— Et je suis pas sûr que le whisky suffise à conserver ta température.

Séductrice, joueuse, Odette se fend d’un sourire mutin. Du liquide ambré s’attarde sur ses lèvres sensuelles. Le visage de Mark s’avance pour en saisir tous les arômes, quand un fin ruisseau d’alcool se met à descendre la vallée entre ses seins. Oups ? fait-elle avec malice.

— Il m’a pourtant semblé que t’étais habile avec ta bouche, rétorque-t-il en évoquant leurs baisers fougueux. En tout cas, j’espère que tu l’es encore plus avec tes hanches.

Fucked up

Mark sent au bout de ses doigts un changement subtil, indéfinissable. Son regard capte une brillance nouvelle, semblable à la combustion du soleil, au fond des yeux fascinants qui le contemplent. Aucun doute : cette femme brûle d’envie pour lui d’une manière qui ne peut être simulée. D’une manière qui balaie les résidus de méfiance dans le cœur aguerri de Mark, les consumant dans les flammes du désir.
Car lui aussi brûle d’envie pour elle.
Mark sent que leurs brasiers s’alimentent, s’entretiennent au-delà de leurs caresses lascives.

C’est pas normal.

Et c’est un fait. Mais il s’en contrefout. Peu importe qui est Odette, d’où elle vient, à quelle heure prendra fin leur nuit d’amour. Mark veut profiter de l’instant présent. Oublier la noirceur de son existence. Donner de l’oxygène au peu de lumière qui persiste à briller dans les tréfonds de son âme. Cette femme au charme incommensurable lui offre l’occasion de devenir un autre ; l’homme sous le masque du disciple dévoué à un dieu sanguinaire et cruel.

Fucked up



Sensation malaisante de faire une connerie.
Une de plus.

Mark occupe sa proie d’attentions lascives. Subrepticement, sa main droite glisse sur le côté afin de saisir un objet sous le sommier du lit.
Le disciple aguerri se redresse. L’éclat de l’acier luit au bout de ses doigts.

— Maintenant dis-moi qui tu es vraiment, déesse, grogne-t-il sur le ton de la menace. Le tranchant glacé d’un couteau de combat est appliqué sur la nuque d’Odette, entre la première et la seconde vertèbre. Fais la maline, et tu perdras totalement le contrôle de ton corps. Ce qui me laissera le temps de faire ce que je veux avant que tu régénères.

Fucked up

Évidemment, que je perds le contrôle de mon corps. Baiser avec une déesse, ça expédie le cerveau au fond des couilles. Ça gorge les veines de feu liquide.

L’épiderme de Mark brûle encore sous l’effet de leur passion ardente. C’est fichtrement bon, de se laisser submerger par une avalanche de plaisir. Et sur ce terrain, la blonde vorace a pris une longueur d’avance.

— Il m’a pourtant semblé que ton orgasme a pas mal secoué ton sublime corps divin, miss Je-me-contrôle-mieux-qu’un-pauvre-mortel. Si tu veux que je garde le contrôle de cette lame, réponds à ma question.

Malgré le déferlement d’hormones qui secoue son organisme, Mark tient le manteau du couteau d’une main sûre. L’absence de doute éloigne faiblesse et tremblements. Car le disciple est sûr d’une chose : il est trop tard pour se demander pourquoi il menace un être supérieur, vénéré par une armée de fidèles, avec une lame acérée de quinze centimètres.
L’option « enfoncer la lame dans la chair » ne lui a guère traversé l’esprit.
Seul un cinglé aurait envie de saigner à blanc cette femme-déesse. Pas seulement à cause de sa beauté à couper le souffle, ou des ondulations extatiques de ses hanches autour de sa virilité conquise.
Parce que l’amour ne se tue pas.
Mark s’en est rendu compte trop tard. Astrid, Camilla… L’ignominie de son double meurtre a ouvert des plaies larges et profondes à la surface de son âme meurtrie. Et la condescendance de la déesse agit comme du sel versé sur la chair à vif.

— C’est ça qu’on est pour toi, des jouets ? Une putain de distraction ? grogne-t-il avec méchanceté.

Mark est en colère, furieux. Envers lui-même. Envers ses fautes impardonnables. Envers son allégeance au mal.
Furieux au point d’en rajouter une couche.

— Je connais le secret de votre immortalité, déesse. On est l’oxygène que vous respirez. Vous vous êtes gavés de notre foi pendant des siècles, et maintenant la plupart d’entre vous survivez grâce aux miettes que des gens comme moi vous distribuent. Sans nous, toi et tes semblables tomberiez en poussière.

Le nom véritable d’Odette lui assène un coup violent au bas du ventre.

Aphrodite ? LA déesse de l’amour et de la sexualité ? Le fantasme d’innombrables générations d’hommes ?

Bordel de merde.

Mark fixe la pointe de son couteau avec dépit. Détournant le regard des magnifiques yeux célestes qui l’ont mené au Paradis. Il doit ressembler à un foutu clébard pris à faire une bêtise, oreilles écrasées sous le poids de la honte.

Quel con. Triple con. Lauréat de la connerie de l’année.

Sans connaître le panthéon grec sur le bout des doigts, Mark sait qu’Aphrodite est aussi hostile qu’un papillon battant gracieusement des ailes sous la lumière éclatante d’un soleil d’été.
Mais aussi que des guerres effroyables ont ravagé des cités par son entremise. À cause du pouvoir incommensurable de l’amour, racine du désir et de la convoitise.
Mark a ressenti dans sa chair et son âme l’influence de cette déesse. Une douce folie, une passion primordiale qui lui aurait fait massacrer toute forme de vie ambitionnant de les séparer. Et pourtant, l’Aphrodite qui minaude sous ses yeux est seulement l’ombre de la grande déesse qu’elle fut.

Pas étonnant qu’elle reste aussi calme.

Mark éloigne la lame menaçante. Détend le bras d’un geste vif et précis. Dans un sifflement, le couteau se fiche une boiserie.

Mark respire un grand coup, dissipant la tension de ses muscles. Ses larges épaules se redressent. Ses yeux plongent dans les iris bleutés de la déesse sans défaillir. Sans autre forme de procès, il colle une de ses grandes paumes au milieu de la poitrine d’Odette ; la plaque à nouveau contre le lit. Penche son visage au-dessus des lèvres humides.

— Ton truc, c’est l’amour et l’érotisme, hein ? Alors je vais te faire un cadeau, déesse. Une véritable offrande, que tu n’aurais jamais obtenue en baisant avec un inconnu. Je te consacre cette nuit. Consacrer au sens originel du terme. (Il se met à caresser la déesse avec une déférence décomplexée.) Ma jouissance – notre jouissance – t’apportera bien plus que mille prières d’abrutis à genoux. Après ça, on sera quittes et notre nuit de luxure restera notre petit secret. J’ai pas envie de semer les cadavres d’amants en pétard à chaque coin de rue, et il vaut mieux que tu ignores quel dieu je sers. Deal, Aphrodite ?

Fucked up

Mark comprend à peine un tiers du baragouinage que lui sert la déesse. Plutôt le quart. Les légendes chiadées de l’Illiade et l’Odyssée, de ceux qui émoustillent les lettrés et les historiens, recèlent des significations nébuleuses aux gens comme lui. Certes, le disciple rencontre parfois d’autres divins, il s’était même rendu à Sanctum avant sa destruction, mais toujours pour causer business. Le monde de Mark tourne autour de contrats sur du matériel ou des vies humaines ; on n’y parle jamais d’amour et de compassion.

En revanche, Mark saisit le langage des lèvres chaudes et aimantes. L’attention du corps gracile qui se love contre le sien, de la paume qui se colle à son torse guerrier.

Qu’est-ce qu’elle veut me faire, bordel ?

Mark déglutit. Aphrodite ne lui causera aucun mal, il en est persuadé, mais le disciple nage en eaux inconnues. Son cœur cogne contre sa poitrine, au rythme mystérieux du pouvoir sacré qui passe à travers la main irradiant d’une agréable chaleur. Les lèvres tendres d’Aphrodite capturent celles du disciple. Mark se laisse aller, ferme les yeux…

À la place de son myocarde, une foreuse se met en branle. Puissante, irrésistible comme la machinerie d’un puits de pétrole. Elle puise et extrait une huile noire, nauséabonde, lourde et visqueuse qui encombre chaque alvéole, chaque canalisation reliée au centre vital de son être. Par un mécanisme qui dépasse la compréhension de Mark, Aphrodite opère un nettoyage dans le dédale obstrué de ses sentiments.

Il rouvre les yeux, et ne voit plus de la même manière.

Toute noirceur ne l’a pas quitté, loin de là, mais sa vision semble plus claire, plus lumineuse. Le parfum d’Odette ravit ses narines comme des fleurs de printemps. Mark ne saurait le définir, mais quelque chose circule mieux en lui. Un sentiment d’euphorie le gagne. L’exaltation stimule ses sens. Il salive d’un appétit retrouvé. Perçois la peau féminine, soyeuse rouler contre la sienne avec une acuité inédite. Le corps du mortel réagit comme celui d’un adolescent accolé à une déesse de l’amour entièrement nue…

Nue, pâle et en larmes.

Une pression douloureuse serre son muscle cardiaque assaini. Ses pouces chassent les larmes de rosée coulant sur les joues de la déesse aux cheveux d’or. Mark ne sait pas quoi dire. Il connait les paroles menaçantes pour obtenir les aveux d’une cible, les ordres qui motivent les machines à tuer sous ses ordres, mais quels mots réconforteraient une femme-déesse ? Il a déjà essayé avec Astrid ; elle en est morte. Étrangement, le souvenir de la veuve assassinée de ses mains le fait moins souffrir.

À présent, c’est la douleur qui se lit sur le visage d’Odette-Aphrodite qui le préoccupe. Que Mark veut faire disparaître.
Mark le désire férocement et sait comment y parvenir, avant même que la déesse lui propose de faire l’amour.

La douceur d’Odette outrepasse les envies de luxure. Elle l’embrasse avec une puissance émotionnelle que Mark n’a jamais connue. Le disciple répond avec ardeur, enlaçant le sublime corps féminin devenu froid. Le mouvement de leurs langues entremêlées ravive le feu de la passion tel un incendie de prairie. Mark désire plus que tout réchauffer cette douce créature, lui redonner sa magnifique énergie. Ses gestes lascifs répondent à un besoin primaire, instinctif. Pas seulement de sexe, mais aussi de protection et don de soi. Mark étale son sourire, murmure des paroles de réconfort qui prennent vite une tournure érotique.

Il ne s’agit plus de respecter sa part du contrat. D’éviter les emmerdes.
Il s’agit de vivre une fois dans sa putain de vie une authentique nuit d’amour.
Il s’agit de vivre.